Une noisette, un livre
Les protégés de sainte Kinga
Marc Voltenauer
Il serait bien réducteur et simpliste de dire que cette nouvelle enquête de Marc Voltenauer via son inspecteur Andreas Auer ne manque pas de sel. Car elle ne manque pas non plus d’épices explosives et autres ingrédients gustatifs pour faire ce de thriller psychologique un plat de choix ; si l’œuvre de l’écrivain suisse commence à prendre de l’épaisseur, cet opus est encore plus réussi que les précédents, véritable chevauchée fantastique au cœur des Alpes et les profondeurs des âmes humaines.
Deux siècles séparent deux évènements : l’arrivée en 1826 d’un juif polonais à Bex pour travailler dans les mines de sel, et, dans les années 2010, une prise d’otages – des élèves d’une classe de l’enseignement secondaire et les membres d’un groupe identitaire – dans ces mêmes mines par un étrange personnage apparaissant sous les traits de Charlot. Apparemment rien ne peut présager que le deuxième est source du premier. Pourtant c’est ce que devra tenter d’élucider l’inspecteur Andreas Auer avec l’équipe mise en place pour négocier avec les terroristes et libérer les captifs. Quel est ce sibyllin Charlot qui au fur et à mesure ne semble pas correspondre à l’habituel profil des preneurs d’otages et qui forcerait presque l’empathie, notamment pour le négociateur en chef, Bakary ?
J’ignore où Marc Voltenauer puise son imagination mais le résultat est à vous couper la noisette ! D’une base qui s’avère classique – une prise d’otages - l’auteur transforme ce thriller en un condensé d’histoire et de psychologie, mettant en scène une myriade de personnages qui pourtant n’apparait jamais de trop, tous s’entrecroisent, du dix-neuvième au vingt-et-unième siècle.
Si les thrillers conventionnels m’ennuient ou m’horripilent lorsque l’hémoglobine coule à flots, autant ceux qui englobent autre chose qu’une simple enquête ou un chemin meurtrier d’horreurs me captivent. « Les protégés de sainte Kinga » est une descente historique dans ces mines de sel de Bex, un diaporama souterrain du travail des mineurs d’hier et d’aujourd’hui avec une multitude de thèmes qui ne peuvent qu’interpeler le lecteur : l’antisémitisme et le racisme sous toutes ses formes, l’homophobie, l’exil, l’extrémisme politique et les identitaires, la religion. Sans oublier l’hommage à Charlie Chaplin… Avec une écriture impeccable et un travail impressionnant de recherches Marc Voltenauer posent des mots comme des molécules chargées de transmettre des messages presque codés dans nos esprits pour dénoncer l’intolérance, la bureaucratie et apporter un noyau de tolérance dans nos petites cellules crises. Mais pour combattre les grandes causes, jusqu’où peut-on aller ? Si chacun endosse le costume de justicier, le risque est de tomber dans le même piège que celui que l’on combat avec la possibilité d’un mélange cacophonique ne faisant qu’un terrain de paradis pour les assassins.
Oscillant entre deux périodes, l’histoire met en relief que les événements d’aujourd’hui puisent très souvent dans les sources du passé, que les gènes sont transmissibles et que rien n’efface les blessures du temps. Tout se retrouve, tout s’enchevêtre à l’instar d’un immense ordinateur s’infiltrant dans les profondeurs des toiles humaines. Et rien de plus efficace qu’un Andreas Auer pour décrypter et nous emmener sur les hauteurs du frissonnement des âmes.
Ah j’oubliais, comme dans la Chauve-Souris et les invités du prince Orlofsky, une guest-star fait son apparition, tel un entracte avec le plus noble des mousquetaires, je nomme Alexandre Dumas !
Le sel de la terre en un roman…
Les protégés de sainte Kinga – Marc Voltenauer – Editions Slatkine & Cie – Octobre 2020
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