Une noisette, un livre
La femme révélée
Gaëlle Nohant
Paris,
fin des années 1940. Une femme se retrouve seule dans un hôtel vétuste du
neuvième arrondissement. Elle a été Eliza Donnelley, elle est devenue Violet
Lee. Elle songe à cette autre femme dont elle a pris l’identité, si elle va hériter
de sa vie qui a probablement été triste et dure. Elle culpabilise d’avoir
récupéré le passeport d’une disparue. Tout comme d’avoir abandonné son fils,
son unique et cher enfant, son petit Tom avec qui elle échangeait des messages
secrets. Pourtant, elle n’avait plus le choix. Elle devait laisser derrière
elle le luxe, l’argent, un époux sans cœur, séducteur, raciste et manipulateur.
Quitter Chicago et fuir sans se retourner, ne pas faire comme Orphée.
A
Paris, Eliza/Violet va survivre comme elle peut et grâce à une prostituée,
Rosa, elle va pouvoir intégrer un foyer avec une chambre plus décente. Et
essayer de vivre, revivre. Sans avoir de réel objectif de carrière vu sa
situation elle va photographier tout ce qu’elle voit, les gens qu’elle
rencontre ; elle n’avait que peu de bagages lors de la traversée de
l’Atlantique mais elle a toujours gardé à son cou son bien le plus
précieux : un Rolleiflex. De son regard elle accrochera celui des autres. Bien
que mère au foyer, elle a toujours photographié et c’est ainsi qu’elle a fixé
sur le papier les errances humaines, car Chicago, bien qu’au nord des
Etats-Unis, était aussi le théâtre de la ségrégation et de nombreux ghettos.
Une injustice qui a choqué et qui continue à choquer la jeune femme. Elle
aimerait tant pouvoir montrer au monde la souffrance de ses oubliés. Peut-être
qu’en rencontrant des compatriotes, elle arrivera à forcer le destin :
avec le photographe Robert ou bien avec l’énigmatique Sam rencontré dans une cave de
St-Germain des Près. Rive droite, rive gauche, sa vie parisienne ne sera pas un
long fleuve tranquille.
L’auteure
Gaëlle Nohant signe à nouveau un roman qui vous gardera éveillé jusqu’à la
dernière page, et même le livre refermé, le parfum de la protagoniste enivrera
encore votre esprit pendant de longs jours. Eliza/Violet, une femme libre,
révoltée, sacrifiée mais jamais résignée. Elle va se battre dans cette France
qui l’accueille et renaîtra de ses cendres dans une Amérique qui ne veut plus
d’injustice contre les plus faibles. Des années 50 à la fin des années 60,
c’est non seulement le combat d’une femme que raconte la romancière mais celui
d’une jeunesse engagée refusant le bruit des armes et le silence des opprimés.
De
l’action, du mystère, de l’amour, des idéaux. Tous les ingrédients sont réunis
pour que cette fiction tienne dans la réalité d’un monde d’hier mais qui
subsiste encore aujourd’hui. C’est à la fois poignant et réconfortant, brutal
et apaisant. Une écriture qui coule dans les veines de la sensibilité, une
musique de vocables qui donne le rythme pour un hymne à l’humanité. En un mot,
cette femme ne se révèle pas uniquement, c’est une révélation.
« Robert était entré en
photographie en comprenant qu’elle lui permettrait de choisir son camp. A
travers son travail, il exprimait sa rage devant les injustices et sa tendresse
pour les petites gens, témoignait que leur vies n’étaient pas dépourvus de
lumière ni de fraternité ».
« Henry connaissait bien ces
arrière-cours et ces terrains vagues jonchés d’ordures, ces pièces sans lumière
dont une petite cuisine était le seul confort. Il avait passé des années à
rendre visite à ceux qui y vivaient, nourrissant la première enquête
sociologique réalisée sur la vie du ghetto noir ».
« Si on veut contrôler les
pauvres, il faut commencer par les diviser ».
« Quelquefois se perdre est le
seul moyen de se retrouver ».
La femme révélée – Gaëlle Nohant –
Editions Grasset – Janvier 2020
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