Une noisette, un livre
L’homme qui dépeuplait les collines
Alain Lallemand
Mario
Vargas Llosa raconte dans « Le rêve du Celte » comment l’expérience
congolaise avait humanisé Roger Casement. En découvrant la cupidité, la
cruauté, la corruption, ses yeux s’étaient ouverts sur les noirceurs de la vie
provoquées par l’être humain. De ce Congo, restent toujours des blessures
entretenues par des âmes peu scrupuleuses venant aussi bien de l’intérieur que
de l’extérieur. De la colonisation belge à Mobutu en passant par Kabila, cette
région des Grands Lacs est la proie de tous les vautours humains, en
particulier pour les richesses du sous-sol de cet état appelé pendant 25 ans
Zaïre : or, cuivre, diamants, cobalt, coltan… avec toutes conséquences
désastreuses que l’on connait.
C’est
dans ce contexte que se situe l’intrigue du nouveau roman d’Alain Lallemand qui
a parcouru pendant trente ans les zones de guerre et conflits divers. Pour
faire simple au moment où va sortir un nouveau scandale sur un Africaleak suite
à un travail d’enquête mené par un groupement de journalistes européens, des
oligarques russes tentent d’infiltrer via le pouvoir en place une société
minière canadienne basée dans le Sud-Kivu, société minière qui est loin de
respecter les conditions de travail, la majorité des orpailleurs étant des
enfants et des adolescents. L’un deux, Jean de Dieu va trouver par inadvertance
une pépite, ou plutôt beaucoup plus précieux qu’une pépite, un énorme diamant.
Malgré son jeune âge il s’occupe de son père qui, comme l’ensemble de la
population, a été chassé de ses terres pour permettre l’exploitation minière,
et décide de cacher ce trésor pour rejoindre les rebelles dont le
« cousin » Siméon. Pendant ce temps-là, un jeune ingénieur français,
Lucas, originaire du Burundi voisin, débarque dans la région et rencontre dés
son arrivée Xahra, une jeune femme travaillant pour une organisation
humanitaire.
En
350 pages, cette fiction offre un panorama sur une situation à la fois connue
de tous et ignorée par le plus grand nombre : les tractations obscures
entre organisations criminelles, le rapt des richesses africaines et de ses
enfants – car la référence aux adoptions forcées et bébés volés n’est pas
occultée – l’imbroglio informatique du deep web pour masquer le labyrinthe des
échanges financiers, les agents, parfois doubles, infiltrés à la fois dans des
zones neutres et d’anciens territoires de guerre, le travail des humanitaire et
enfin le rôle des journalistes de terrain pour enquêter sur toutes ces bombes à
retardement.
Le
menu est copieux mais aucun risque d’indigestion, le roman se lisant avec
autant de force que la plume qui s’est jetée corps et âme sur ces sujets à la
fois captivants et déroutants. Une écriture qui entraîne le lecteur dans le
dédale des arrangements entre amis et ennemis et qui ne laisse aucun moment de
répit pour le plus grand plaisir. Et pourtant, au milieu de ces imbroglios
obscurs, surgissent la beauté de sentiments, le miracle de l’amitié, la
vaillance des combattants de la vie et les hasards de l’amour. Sur fond de
géographie africaine, continent du meilleur et du pire mais aux couleurs qui
jamais ne s’effaceront, surtout quand des récits rendent, avec tant de
noblesse, hommage à ces âmes solaires qui affrontent multiples personnages
ténébreux.
Un
roman d’investigation, parfois proche de l’espionnage, qui claque à chaque page
et qui ne pourra s’oublier quand la dernière feuille se tournera. Dans l’ombre
des mots, se glissent toute la richesse journalistique d’un Albert Londres et
la prestidigitation d’un Joseph Kessel.
Irrésistiblement
foisonnant, foisonnement irrésistible.
« A mesure qu’il approchait du
camp rebelle, Jean de Dieu sentait monter dans sa poitrine un malaise dont il
ne parvenait pas à deviner l’origine. Certes, il y avait ce diamant dans sa
poche, bien plus lourd que la somme des atomes qui le composaient, plus lourd
que ces récits de bonnes fortunes noyées dans le sang. Mais ses yeux, son nez,
la plante de ses pieds lui confirmaient un bouleversement plus profond. Tout au
long de ce périple, il découvrait un Congo plat et aride qui lui était
inconnu ».
« Lucas aurait tant voulu
retrouver la magie naïve du matin, son émoi lors du passage de la rivière.
Hélas, l’enchantement s’était dissipé. Le véhicule renoua avec la lumière, la
forêt s’éclaircit. A présent, Lucas voyait défiler des champs en déshérence,
des bananeraies à l’abandon, des villages en ruine. Son regard s’accoutumait à
la complexité du paysage, aux indices de misère glissés sous la canopée.
L’héritage tenace de guerres pourtant lointaines. La découverte de ces
blessures infligées à l’Afrique l’empêchait de goûter à la complicité nouvelle
que lui offrait Xahra. »
« Ce bruit de l’information était
celui d’un monde tournant trop vite, la grande roue des hamsters de l’actualité
(…) Laura connaissait trop bien ce métier pour le mépriser. L’info est le
ciment de la planète, et si elle nous tourne la tête c’est que nous en
consommons trop ou que nous l’achetons frelatée. Face aux trafiquants de la
com’, dealers de réputations reliftées et fourgueurs de désinformations, elle
savait que les journalistes à l’ancienne étaient des résistants, presque des
artistes. Achetez un journal, et votre cerveau vous remerciera ».
« Jamais Juju n’a pu expliquer
les larmes d’impuissance qu’il versa à cet instant. En grand péril, il pleurait
de rage pour trois autres enfants qu’il avait localisés et ne pouvait sauver.
Une nouvelle fois cette terre d’Afrique l’empêchait de sauver ses jeunes
frères, et ses larmes se changeaient en boue. Jamais le commandant n’oserait
avouer cet instant de faiblesse. Son âme en sortait pourtant grandie. Quel
genre d’homme pleure la perte d’un autre lorsqu’il est lui-même encore sous
terre ? Des ondes colorées animèrent peu à peu la nuit de ses paupières,
des images d’enfance, de paradis perdu, de parents aimants. Soudain, la
lumière ! Une trouée se forma, l’air vint l’effleurer. A travers la boue
qui recouvrait ses yeux, Juju aperçut, là, au but de ses mains, le regard
victorieux de Lucas ».
L’homme qui dépeuplait les collines –
Alain Lallemand – Editions JC Lattès – Mai 2020
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