Une noisette, une
interview
Marc Voltenauer
« Au-delà de l’intrigue,
cela m’intéresse de creuser au plus profond de la nature humaine pour voir ce
qu’il s’y cache. »
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Photo prise lors d'une rencontre au siège des Editions Slatkine & Cie |
En
2016 est né un nouveau personnage dans la littérature noire : sur les
hauteurs des Alpes vaudoises, l’inspecteur Auer va mener des enquêtes mais sur
fond de psychologie singulière. Après « Le dragon de Muveran », en
2017 un nouvel opus est publié aux Editions Slatkine & Cie :
« Qui a tué Heidi ? », un thriller qui mélange les genres et où les
surprises vont de cascades en cascades (Chronique à retrouver ici ) Le lecteur glisse sur les mots avec la
frénésie d’une descente sur les pentes de l’âme humaine.
Rencontre
avec Marc Voltenauer, l’horloger d’une nouvelle forme de romans policiers.
Mère suédoise, père
allemand, né et vivant en Suisse, vous êtes la neutralité absolue ?
Je
parle les trois langues et ces trois origines sont pour moi autant de cultures
qui m’enrichissent. Je suis né en Suisse et j’y ai toujours vécu, mais j’ai un
petit faible pour la Suède, mon pays de cœur.
Au départ, vous pensiez
davantage à faire virevolter le ballon rond plutôt que la plume ?
Oui,
jeune j’étais fan de foot. Je passais presque toutes mes soirées sur les
terrains. Et l’écriture était alors pour moi en lien avec l’école et les études
et je n’y prenais pas vraiment de plaisir. Jusqu’à mon premier polar, je
n’avais jamais rien écrit au-delà de ce qui m’était imposé.
L’écriture
s’est imposée à moi sur le tard, à la suite du voyage autour du monde que j’ai
fait avec mon compagnon en 2011-2012. C’est Gryon, petit village paisible des
Alpes suisses qui m’a inspiré et donné l’envie d’écrire. Gryon – tout comme Fjällbacka pour Camilla Läckberg - était
le parfait décor d’un polar : l’atmosphère singulière d’un petit village
pittoresque, le savoir-vivre montagnard, l’ambiance chaleureuse des chalets,
les différents lieux publics, la vie villageoise, le découpage impressionnant
des massifs alentour, les hivers rudes.
Comment est né le
personnage de l’inspecteur Auer ? Un peu de vous, un peu des autres, un peu
de tout ?
Bien que
Harry Hole ou Wallander soient deux personnages de flic que j’apprécie
particulièrement, j’avais envie de sortir du schéma du flic bourru, alcoolique
et dépressif. Plus sérieusement, étant gay je voulais un inspecteur gay. C’est
à la fois plus proche de ma réalité et aussi original dans le monde des polars.
Mais Andreas
Auer est un personnage à part entière. Toute ressemblance… (rire). Au fil des
pages, nous avons établi une relation proche et on a appris à mieux se
connaître. Nous avons d’ailleurs décidé d’un commun accord que l’aventure
allait se poursuivre... (rire). Il y a bien sûr des ressemblances. Je dirais
même qu’il y a un peu de moi dans chaque personnage. Grâce à Andreas Auer, je
suis en quelque sorte devenu flic (rire) avec le gros avantage que je peux
moi-même décider des enquêtes à mener…
Très créatif vous l’avez
été car il est bien différent des personnages de flics que l’on a l’habitude de
rencontrer dans les fictions. En plus, toute l’histoire ne s’articule pas
autour de lui, mais autour de tous les autres, à la limite du roman choral,
non ?
Andreas
est un flic homo qui cultive un style de bad boy. Il a toujours détesté les
catégories, en particulier pour lui-même. Il se sent inclassable et n’a pas
peur de laisser paraître ses contradictions. Bien plus, il n’aime pas la
conformité, et fait, ce qu’il faut pour donner de lui une image toute en
contraste. Épicurien dans l’âme, il fume le cigare et est un grand amateur de
whisky. Il est passionné par les enquêtes criminelles. C’est l’humain qui
l’intéresse et sa dimension psychologique. Il aime la démarche qui le conduit à
tenter de pénétrer un esprit criminel et de comprendre ses motivations.
Découvrir l’identité d’un meurtrier, tenter d’approcher son ombre et cerner son
inconscient.
Tout
comme Andreas Auer, mes personnages sont devenus des amis intimes que
j’apprends à connaître au fil de l’écriture. Lorsque j’écris, je me mets dans
leur tête, c’est ainsi qu’ils prennent corps et évoluent. Je trouve intéressant
non seulement de donner de la profondeur à chaque personnage, du moins les
principaux. On peut les accompagner au fil de l’histoire, tenter de comprendre
ce qui les habite, d’entendre leurs préoccupations. C’est ainsi qu’on est
parfois avec le flic, parfois son compagnon, mais aussi les
« méchants », si on peut dire.
La
fiction nous offre des vies par procuration : elle nous permet de nous
retrouver tour à tour dans la peau d’un détective, d’une victime et pourquoi
pas d’un criminel. En ce sens, elle agit comme un multiplicateur d’expériences.
Elle nous met en contact avec la complexité de nos propres vies, comme de
celles des autres.
Avez-vous eu des
lecteurs qui ont été surpris lors de la découverte de qui est Heidi, le
personnage autour duquel commence véritablement l’enquête ?
Oui
(rire) ! C’était un peu l’effet recherché. La vraie question est en
fait : « Qui est Heidi ? » dans mon roman. Heidi est pour
beaucoup de monde une référence qui symbolise la Suisse et ses paisibles
alpages. Et dans « Qui a tué Heidi ? » on se retrouve aussi sur
un alpage suisse, mais qui n’est pas tout aussi idyllique que celui qu’on
retrouve chez Johanna Spyri…
Vous relatez une fiction
où s’accumulent toutes les noirceurs de l’âme humaine et pourtant aucun
ressenti morbide, vous avez le souci de mettre des limites dans la narration de
faits sanglants ?
Je
ne m’impose pas de limites, mais je ne cherche pas à faire de la surenchère
dans la narration des faits morbides et sanglants. Cela m’intéresse lorsque
cela sert l’intrigue. Et ce qui me passionne plus que l’hémoglobine, c’est la
profondeur psychologique des personnages.
Vos romans policiers
vont bien au-delà du genre habituel. Est-ce votre principal but ? Celui
d’ajouter des nuances et de ne pas s’enfermer dans une logique littéraire ?
« Ni noir.
Ni blanc.
Des nuances de gris. » : c’est un point de
vue de mon personnage principal que je partage pleinement. Dans mes polars, les ressorts de
l’intrigue nous plongent au plus profond de l’être humain, là où se rencontrent
l’ombre et la lumière, au cœur du fragile équilibre qui nous constitue. Là où
rien n’est noir ou blanc, mais où tout est nuances de gris. Au-delà de l’intrigue, cela m’intéresse de creuser au plus profond de la
nature humaine pour voir ce qu’il s’y cache. Et c’est sans doute ma formation
théologique qui déteint. Ce qui m’intéresse dans un crime, c’est de sonder les
âmes des protagonistes et voir commet chaque personnage se confronte à ce genre
de situation. Il y est question de valeurs existentielles. Le lecteur chemine avec
les personnages, voyage, découvre et vit des intrigues palpitantes; et avec eux
il éprouve ce qu’ils sont en train de vivre. Les personnages parlent et
agissent « en nous ». Une intimité se crée.
C’est une expérience si particulière qu’elle peut s’avérer tantôt dérangeante,
tantôt réjouissante, mais toujours fascinante. De lecteur, nous devenons acteur convié à nous confronter à diverses
questions qui nous renvoient à nous-mêmes, appelés à nous mettre à la place des
protagonistes, invités à interpréter des messages qui nous interpellent, ou
encore incités à prendre position. Lire
un polar, c’est partir à la découverte de la part sombre de l’être humain, se
confronter à sa face dissimulée. Celle de l’autre que je rencontre dans ma
lecture, mais aussi la mienne.
« Sic transit
gloria mundi ». Vous y faites référence dans votre thriller, une réflexion
sur le temps qui passe et où, en réalité, tout est éphémère ?
En
quelque sorte… Cette locution était prononcée lors de l’intronisation des papes
pour leur rappeler de se garder de la vanité et de l’orgueil et que même pape
il n’en demeurait pas moins un homme. C’est un rappel de la condition fragile
et éphémère de la vie humaine. Andreas Auer songe à cette phrase et fait le
lien avec la rapidité avec laquelle les choses peuvent changer dans la vie et
parfois même nous échapper. Et l’ultime moment qui nous renvoie à cela, est la
mort. Andreas y est confronté dans le cadre de son travail. Elle est pour lui
une source d’angoisse existentielle. Mais même ayant peur de ce moment
fatidique, cela le renvoie aussi à sa vie et à l’urgence de la vivre le plus
pleinement possible.
Alfred Hitchcock ne
serait-il pas l’un de vos cinéastes favoris ?
Très
certainement. C’est un des maitres du suspense et il excelle dans la construction
des intrigues et la narration. Il sait maintenir la tension tout au long de ses
films. J’aime particulièrement sa manière de créer l’ambiance – souvent à
l’aide de la musique - autour des excellents acteurs qu’il a mis en scène.
Je m’éloigne un peu
du sujet, mais à votre façon de décrire la montagne helvète, ses villages, ses
paysages, n’est-ce pas une façon de promouvoir subtilement la Suisse et
d’inviter les lecteurs à y séjourner ?
Ce n’est
pas un but en soi. Tout est parti d’un coup de cœur. En 2011-2012, après avoir pris quelques mois sabbatiques
pour voyager dans le monde, nous sommes rentrés à Gryon et c’est à ce moment
que j’ai eu le « flash ». Ici se trouvaient tous les ingrédients pour
créer et mettre en place les personnages et intrigues de mon roman : un
village, un peu comme un huis clos, l’atmosphère de la campagne, la montagne
qui recèle beaucoup d’endroits pour se cacher, dissimuler. Gryon était
décidément parfait, j’avais le cadre idéal.
Gryon et la région sont déjà bien connus
par les Romands et beaucoup de gens y sont attachés parce qu’ils skient dans la
région, qu’ils y ont un chalet, qu’ils y ont fait des camps dans leur enfance.
Pour ces personnes, retrouver ce cadre dans un roman est sans aucun doute un
intérêt supplémentaire lors de la lecture. Mais il est vrai aussi que des
personnes qui ne connaissaient pas la région y sont venues après avoir
découvert le Dragon du Muveran. C’est ce qui explique aussi le succès des
randonnées-lectures sur les lieux du crime.
Je souhaitais que les gens de la région
puissent s’identifier à la description des lieux et des ambiances que j’ai
décrites. Et il semble que ce soit le cas. J’ai eu de nombreux retours très
enthousiastes des habitants.
Gryon est dans le livre un personnage. Et ce personnage vit au travers de
ces lieux, ces maisons, ses montagnes, les gens qui y habitent, leur culture,
la gastronomie, etc… C’est peut-être cette manière d’ancrer les intrigues dans
la réalité qui donne envie aux gens de découvrir par eux-mêmes les lieux.
Qu’est-ce qui vous rend
heureux ? Malheureux ?
La
vie me rend heureux. Et ce qui me rend malheureux, c’est lorsque la liberté de
quelqu’un est bafouée ou quand quelqu’un n’est pas respecté pour la personne
qu’il est.
À nouvelle année, on ne
change pas les bonnes habitudes, le traditionnel questionnaire pour en savoir
un peu plus sur vous :
Un roman : Il
m’est difficile
de citer un
titre en particulier. Mais
mes préférences vont
vers les auteurs
de polars nordiques.
Mes auteurs de
polars préférés sont
Henning Mankell, Jo Nesbo,
Mari Jungstedt et
Camilla Läckberg.
Un personnage : James Bond, mon héros
favori.
Un(e) écrivain(e) : Henning Mankell, l’un des
meilleurs auteurs de polars avec sa série autour de l’inspecteur Wallander.
Une musique : Le Requiem de
Mozert, une œuvre intense et tragique. J’aime beaucoup écouter de la musique
classique en écrivant.
Un film : Le festin
de Babette, un film
danois de Gabriel
Axel qui est
une magnifique parabole
invitant à célébrer
et savourer la
vie. Le film
se termine par
cette phrase : « j’ai compris ce soir que tout était possible ».
Un peintre : Henri Chouet, un peintre bordelais dont j’ai
quelques œuvres à la maison. Ses toiles, peintes au couteau, donnent un effet
de relief et de mouvement. Et les contrastes d’épaisseur permettent de saisir
les nuances subtiles de la lumière sur les couleurs vives et franches qu’il
utilise pour peindre ses paysages et natures mortes.
Une photo : Celle d’une mère kangourou et de son petit que
nous avons rencontrés sur une plage en Australie. Elle m’évoque le voyage que
nous avons fait autour du monde et surtout « un rêve qui s’est
réalisé ».
Un animal : un wombat
Un dessert : le Saffranspankaka,
un dessert typique de l’île de Gotland en Suède
Une devise/citation : "L'aventure est dans chaque souffle de
vent." Charles Lindbergh