Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 28 janvier 2018


Une noisette, un livre

 

La femme est une dandy comme les autres

Alister

 

 


Accrochez-vous aux branches, ça souffle fort dans ce compendium sur le dandysme au féminin que l’auteur Alister définit dès les premières pages comme « un punk sans épingle à nourrice » !

Vous êtes prévenus, aucun risque d’endormissement à la lecture de ce document qui décoiffe des noisettes. Mais derrière (dans le sens de la préposition et non du postérieur) cette très soutenable légèreté de l’écrit, se cache une savante description du dandy version chromosome XX, avec définitions diverses, recherches historiques, citations pertinentes et exemples révélateurs de la chanson à la littérature en passant par le cinéma.  Des noms ? En voilà, et pas forcément par ordre d’arrivée : Colette, Joséphine Baker, Sarah Bernhardt, Louise Brooks, Nina Simone, Françoise Sagan, Luisa Casati.. sans oublier les personnages de fiction comme, allez au hasard, la Marquise de Merteuil.

Tout est vu, corrigé (oui enfin presque), analysé, de la pointe de la chaussure au galurin dernier modèle, dans la réalité ou la fiction, dans les vérités et les mensonges (avec ou sans vidéos), dans le secret des alcôves (mais amateurs de sensations glauques vous resterez bien affamés, et toc !) and so on…

Parce qu’être dandy, homme ou femme, est bien plus compliqué que l’on pourrait croire et c’est une perpétuelle course, pas seulement au paraitre, mais à la petite phrase qui fera mouche (parfois avec un dard d’hyménoptère) et à la revendication (souvent bien plus appuyée chez mesdames).

En parlant des petites phrases vipérines, quel régal de fin gourmet que de lire les petites baballes lancées entre Marlene Dietrich et Greta Garbo… Dandysme, ton univers impitoyable mais ô combien ensorcelant.

Dandy, cette femme différente mais qui n’est pas forcément féministe. Elle est elle, dans son extravagance, dans son arrogance, dans son élégance, dans cette aisance pour le meilleur ou pour le pire, car souvent si leurs vies (oui, parlons au pluriel) ont commencé dans la lumière c’est une tragédie qui les accompagne vers la dernière porte de sortie.

Maintenant, hop, enivrez-vous des mots d’Alister pour ces divinités « dandiennes » (si vocable repris j’exige le copyright)  au son (encore au hasard) de « Parallélébipèdes » de Juliette Gréco (avec texte de Françoise Sagan s’il vous plait) !

Mais au fait, le dandysme a existé ou existe-t-il chez les écureuils ?

La femme est une dandy comme les autres – Alister – Editions Pauvert (Fayard) – Janvier 2018

vendredi 26 janvier 2018


Une noisette, un livre

 

Arabie Saoudite 3.0

Clarence Rodriguez

 


L’Arabie Saoudite. On entend, on lit tout et son contraire. Royaume vaste, contrôlé depuis sa création par les familles Saoud et Wahhab.
Suite au décès du roi Abdallah en janvier 2015, c’est Salmane ben Abdelaziz al Saoud qui règne sur cet état de la péninsule arabique. Mais s’est son fils, le prince héritier Mohammed ben Salmane (dit MBS), vice-premier ministre depuis juin 2017 qui assure en réalité le pouvoir.

L’Arabie Saoudite étant une nation jeune de seulement 86 ans, c’est vers sa jeunesse qu’il faut s’orienter pour prendre le pouls du pays. La journaliste Clarence Rodriguez y a vécu douze ans et a été la correspondante de plusieurs médias français. Après un premier livre où elle donnait la parole aux femmes, « Révolution sous le voile » suivi d’un documentaire diffusé sur France 5 ( vous pouvez retrouver l'interview accordé au blog ici ). Dans ce nouvel opus, elle a réalisé une série d’entretiens auprès de jeunes hommes et femmes pour sonder leurs espoirs, leurs craintes, leurs sentiments afin de gommer tous les préjugés et amalgames qui peuvent courir dans l’esprit des occidentaux.

Après une brève description du pays, les deux premiers chapitres ne portent pas directement sur la jeunesse. L’auteure dresse d’abord un portrait du prince MBS, puis apporte un long et bouleversant témoignage sur le sort de Raïf Badawi, regrettant de n’avoir pas continué à médiatiser sa situation. Pour celles et ceux qui suivent le travail de Clarence Rodriguez, elle ne cesse depuis des mois d’alerter l’opinion sur le bloggeur et c’est important de le souligner.

Ensuite, ce sont des discussions avec cette frange de population qui fera l’avenir. Le choix des intervenants est éclectique, ce qui permet d’avoir une large ouverture sur la vision de ces jeunes par rapport au pays, à leurs gouvernants, à la famille, à la religion, au travail et, évidemment à l’amour. Des questions parfois intimes  et la franchise des réponses laisse le lecteur impressionné. Pas de jugements apportés sur les uns et  les autres mais simplement quelques réflexions, la plupart du temps écrites avec un certain sens de l’humour.

Un livre indispensable pour mieux comprendre cette Arabie Saoudite avec ses contradictions, son fonctionnement et ce sans haine ou angélisme. Juste transcrire les attentes d’une jeunesse qui ne demande qu’à s’épanouir et être considérée comme cultivée et dynamique.

Depuis la sortie de ce livre, certains nouveaux décrets ont été promulgués, comme celui d’autoriser les femmes à conduire à partir de juin prochain. D’autres mesures suivront probablement et peut-être que beau rêve que fait Clarence Rodriquez, pendant qu’elle arpente les rues de Riyad, deviendra réalité.

Arabie Saoudite 3.0 – Clarence Rodriguez – Editions Erick Bonnier – Octobre 2017  

Vous pouvez retrouver une interview de Clarence Rodriguez de décembre 2015 ici

 

 

jeudi 25 janvier 2018


Une noisette, un livre

 

Et soudain la liberté

 

Evelyne Pisier

Caroline Laurent





Evelyne Pisier. Un prénom et un nom qui disent déjà beaucoup : professeure, écrivaine, politologue, scénariste… On connait ses combats, son engagement en faveur des femmes et de la tolérance universelle. Mais sait-on qui elle était réellement ? Pourquoi ce militantisme qui n’a jamais failli ? D’où vient-il ?

Née au Viêt Nam où son père était en poste à Hanoï. Justement son père… Un homme autoritaire, défenseur de la race supérieure à laquelle il pense appartenir, admirateur de Pétain et opposant farouche à De Gaulle, il ne jure que pas son mentor : Maurras ! A ses côtés, son épouse essaie de rendre sa famille heureuse malgré sa soumission. Elle est belle, il est beau, ils sont amoureux. Suite à l’invasion japonaise en Indochine, la famille va vivre ses pire moments : la petite Evelyne est internée avec sa maman dans un camp de concentration japonais : les privations, les humiliations, la faim, les maladies et cette terrible heure où la mère sera emmenés par les geôliers, on devine ce qu’ils vont lui faire subir. Le père est prisonnier dans un autre camp. Ils se retrouvent mais rien ne sera jamais comme avant. Après un séjour en France, puis à nouveau en Asie, la famille pose ses valises à Nouméa. Là, tout va basculer : Evelyne (Lucie) grandit et s’éloigne de la religion, le père (André) devient de plus en plus irritable et sectaire, la maman (Mona) s’émancipe progressivement au contact d’une bibliothécaire (Martha, seul personnage fictif) qui lui fait découvrir « Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir et prend un amant. Un divorce, un remariage avec le même homme puis la rupture définitive. Mère et fille vont désormais être unies, solidaires et mener tous les combats (contraception, avortement, droit des homosexuels, droit de mourir dans la dignité,…) tout en choisissant cette liberté de vivre pleinement, au gré de leurs envies, de leurs désirs, que leur corps respectif soit enfin à elle tout en travaillant pour ne plus dépendre d’un conjoint ou d’un protecteur.

Décédée en février 2017, Evelyne Pisier ne pourra pas partager l’émotion de milliers de lecteurs ni  lire son livre co-écrit avec son éditrice Caroline Laurent, cette dernière ayant continué la rédaction afin de rendre le meilleur hommage possible à celle qui était devenue son amie. Le résultat est inouï car on voudrait que le roman soit perpétuel, chaque page est une révélation et on ne peut prendre une pause, on veut en savoir plus, découvrir ces vies qui ne se vivaient pas que pour soi-même mais aussi pour les autres. Un récit éthéré où dominent la pudeur des sentiments malgré les détails intimes comme, par exemple, la liaison entre Evelyne Pisier et Fidel Castro.

Deux destins qui auraient pu être ineffables, mais par la magie du roman et de la plume des auteurs, vont demeurer en mémoire. Caroline Laurent a eu la maestria d’alterner le récit avec des passages personnels, révélant les instants partagés avec Evelyne Pisier, le tout avec une délicatesse que même les pages relatant des faits tragiques paraissent avoir été écrites sur du velours. Peut-être parce que ce roman est un peu cathartique…

Prodigieux portraits de femmes, une mère et sa fille. Seul bémol, l' autre pilier familial, la sœur Marie-France Pisier, n’apparait pas car Evelyne ne voulait pas la faire entrer dans un personnage de roman comme l'indique une note en fin de livre. Regrettable...

 Toutes sont réunies et, de leur monde impalpable puissent-elles encore savourer ces désirs d’évasion, cette « chose enivrante » qu’est la liberté…  

Et soudain, la liberté – Evelyne Pisier/Caroline Laurent – Editions Les Escales – Août  2017 / Editions Pocket - Août 2018

Livre lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2018


Prix Elle des Lycéennes - Prix Marguerite Duras - Prix première Plume

mercredi 24 janvier 2018


Une noisette, une interview

Marc Voltenauer


 

« Au-delà de l’intrigue, cela m’intéresse de creuser au plus profond de la nature humaine pour voir ce qu’il s’y cache. »
 
Photo prise lors d'une rencontre au siège des Editions Slatkine & Cie
 

 
En 2016 est né un nouveau personnage dans la littérature noire : sur les hauteurs des Alpes vaudoises, l’inspecteur Auer va mener des enquêtes mais sur fond de psychologie singulière. Après « Le dragon de Muveran », en 2017 un nouvel opus est publié aux Editions Slatkine & Cie : « Qui a tué Heidi ? », un thriller qui mélange les genres et où les surprises vont de cascades en cascades (Chronique à retrouver ici ) Le lecteur glisse sur les mots avec la frénésie d’une descente sur les pentes de l’âme humaine.
Rencontre avec Marc Voltenauer, l’horloger d’une nouvelle forme de romans policiers.

 
Mère suédoise, père allemand, né et vivant en Suisse, vous êtes la neutralité absolue ?
Je parle les trois langues et ces trois origines sont pour moi autant de cultures qui m’enrichissent. Je suis né en Suisse et j’y ai toujours vécu, mais j’ai un petit faible pour la Suède, mon pays de cœur.

Au départ, vous pensiez davantage à faire virevolter le ballon rond plutôt que la plume ?
Oui, jeune j’étais fan de foot. Je passais presque toutes mes soirées sur les terrains. Et l’écriture était alors pour moi en lien avec l’école et les études et je n’y prenais pas vraiment de plaisir. Jusqu’à mon premier polar, je n’avais jamais rien écrit au-delà de ce qui m’était imposé.

L’écriture s’est imposée à moi sur le tard, à la suite du voyage autour du monde que j’ai fait avec mon compagnon en 2011-2012. C’est Gryon, petit village paisible des Alpes suisses qui m’a inspiré et donné l’envie d’écrire. Gryon – tout comme Fjällbacka pour Camilla Läckberg - était le parfait décor d’un polar : l’atmosphère singulière d’un petit village pittoresque, le savoir-vivre montagnard, l’ambiance chaleureuse des chalets, les différents lieux publics, la vie villageoise, le découpage impressionnant des massifs alentour, les hivers rudes.

Juste avant Noël, en 2012, je me suis réveillé au milieu de la nuit et j’ai commencé à mettre sur papier les grandes lignes de l’intrigue du « Dragon du Muveran ».
Après quelques nuits, j’ai commencé à écrire. Jamais je n’avais décrit des personnages, des lieux, des ambiances et encore moins eu l’occasion de m’entrainer à l’exercice redoutable de rédiger des dialogues.
Très vite, l’écriture est devenue un savoureux mélange entre envie et besoin. Une sorte de drogue douce à laquelle j’avais succombé sans même m’en rendre compte. Une année et demie après cette nuit de Noël de 2012, j’ai écrit la dernière ligne de mon roman avec en prime un sentiment vagabond qui vacillait entre la satisfaction d’être arrivé au bout et un début de mélancolie.

Comment est né le personnage de l’inspecteur Auer ? Un peu de vous, un peu des autres, un peu de tout ?
Bien que Harry Hole ou Wallander soient deux personnages de flic que j’apprécie particulièrement, j’avais envie de sortir du schéma du flic bourru, alcoolique et dépressif. Plus sérieusement, étant gay je voulais un inspecteur gay. C’est à la fois plus proche de ma réalité et aussi original dans le monde des polars.

Mais Andreas Auer est un personnage à part entière. Toute ressemblance… (rire). Au fil des pages, nous avons établi une relation proche et on a appris à mieux se connaître. Nous avons d’ailleurs décidé d’un commun accord que l’aventure allait se poursuivre... (rire). Il y a bien sûr des ressemblances. Je dirais même qu’il y a un peu de moi dans chaque personnage. Grâce à Andreas Auer, je suis en quelque sorte devenu flic (rire) avec le gros avantage que je peux moi-même décider des enquêtes à mener…

Très créatif vous l’avez été car il est bien différent des personnages de flics que l’on a l’habitude de rencontrer dans les fictions. En plus, toute l’histoire ne s’articule pas autour de lui, mais autour de tous les autres, à la limite du roman choral, non ?
Andreas est un flic homo qui cultive un style de bad boy. Il a toujours détesté les catégories, en particulier pour lui-même. Il se sent inclassable et n’a pas peur de laisser paraître ses contradictions. Bien plus, il n’aime pas la conformité, et fait, ce qu’il faut pour donner de lui une image toute en contraste. Épicurien dans l’âme, il fume le cigare et est un grand amateur de whisky. Il est passionné par les enquêtes criminelles. C’est l’humain qui l’intéresse et sa dimension psychologique. Il aime la démarche qui le conduit à tenter de pénétrer un esprit criminel et de comprendre ses motivations. Découvrir l’identité d’un meurtrier, tenter d’approcher son ombre et cerner son inconscient.

Tout comme Andreas Auer, mes personnages sont devenus des amis intimes que j’apprends à connaître au fil de l’écriture. Lorsque j’écris, je me mets dans leur tête, c’est ainsi qu’ils prennent corps et évoluent. Je trouve intéressant non seulement de donner de la profondeur à chaque personnage, du moins les principaux. On peut les accompagner au fil de l’histoire, tenter de comprendre ce qui les habite, d’entendre leurs préoccupations. C’est ainsi qu’on est parfois avec le flic, parfois son compagnon, mais aussi les « méchants », si on peut dire.

La fiction nous offre des vies par procuration : elle nous permet de nous retrouver tour à tour dans la peau d’un détective, d’une victime et pourquoi pas d’un criminel. En ce sens, elle agit comme un multiplicateur d’expériences. Elle nous met en contact avec la complexité de nos propres vies, comme de celles des autres.

Avez-vous eu des lecteurs qui ont été surpris lors de la découverte de qui est Heidi, le personnage autour duquel commence véritablement l’enquête ?
Oui (rire) ! C’était un peu l’effet recherché. La vraie question est en fait : « Qui est Heidi ? » dans mon roman. Heidi est pour beaucoup de monde une référence qui symbolise la Suisse et ses paisibles alpages. Et dans « Qui a tué Heidi ? » on se retrouve aussi sur un alpage suisse, mais qui n’est pas tout aussi idyllique que celui qu’on retrouve chez Johanna Spyri…

Vous relatez une fiction où s’accumulent toutes les noirceurs de l’âme humaine et pourtant aucun ressenti morbide, vous avez le souci de mettre des limites dans la narration de faits sanglants ?
Je ne m’impose pas de limites, mais je ne cherche pas à faire de la surenchère dans la narration des faits morbides et sanglants. Cela m’intéresse lorsque cela sert l’intrigue. Et ce qui me passionne plus que l’hémoglobine, c’est la profondeur psychologique des personnages.

Vos romans policiers vont bien au-delà du genre habituel. Est-ce votre principal but ? Celui d’ajouter des nuances et de ne pas s’enfermer dans une logique littéraire ?
« Ni noir.Ni blanc.Des nuances de gris. » : c’est un point de vue de mon personnage principal que je partage pleinement. Dans mes polars, les ressorts de l’intrigue nous plongent au plus profond de l’être humain, là où se rencontrent l’ombre et la lumière, au cœur du fragile équilibre qui nous constitue. Là où rien n’est noir ou blanc, mais où tout est nuances de gris. Au-delà de l’intrigue, cela m’intéresse de creuser au plus profond de la nature humaine pour voir ce qu’il s’y cache. Et c’est sans doute ma formation théologique qui déteint. Ce qui m’intéresse dans un crime, c’est de sonder les âmes des protagonistes et voir commet chaque personnage se confronte à ce genre de situation. Il y est question de valeurs existentielles. Le lecteur chemine avec les personnages, voyage, découvre et vit des intrigues palpitantes; et avec eux il éprouve ce qu’ils sont en train de vivre. Les personnages parlent et agissent « en nous ». Une intimité se crée. C’est une expérience si particulière qu’elle peut s’avérer tantôt dérangeante, tantôt réjouissante, mais toujours fascinante. De lecteur, nous devenons acteur convié à nous confronter à diverses questions qui nous renvoient à nous-mêmes, appelés à nous mettre à la place des protagonistes, invités à interpréter des messages qui nous interpellent, ou encore incités à prendre position. Lire un polar, c’est partir à la découverte de la part sombre de l’être humain, se confronter à sa face dissimulée. Celle de l’autre que je rencontre dans ma lecture, mais aussi la mienne.

« Sic transit gloria mundi ». Vous y faites référence dans votre thriller, une réflexion sur le temps qui passe et où, en réalité, tout est éphémère ?
En quelque sorte… Cette locution était prononcée lors de l’intronisation des papes pour leur rappeler de se garder de la vanité et de l’orgueil et que même pape il n’en demeurait pas moins un homme. C’est un rappel de la condition fragile et éphémère de la vie humaine. Andreas Auer songe à cette phrase et fait le lien avec la rapidité avec laquelle les choses peuvent changer dans la vie et parfois même nous échapper. Et l’ultime moment qui nous renvoie à cela, est la mort. Andreas y est confronté dans le cadre de son travail. Elle est pour lui une source d’angoisse existentielle. Mais même ayant peur de ce moment fatidique, cela le renvoie aussi à sa vie et à l’urgence de la vivre le plus pleinement possible.

Alfred Hitchcock ne serait-il pas l’un de vos cinéastes favoris ?
Très certainement. C’est un des maitres du suspense et il excelle dans la construction des intrigues et la narration. Il sait maintenir la tension tout au long de ses films. J’aime particulièrement sa manière de créer l’ambiance – souvent à l’aide de la musique - autour des excellents acteurs qu’il a mis en scène.

Je m’éloigne un peu du sujet, mais à votre façon de décrire la montagne helvète, ses villages, ses paysages, n’est-ce pas une façon de promouvoir subtilement la Suisse et d’inviter les lecteurs à y séjourner ?
Ce n’est pas un but en soi. Tout est parti d’un coup de cœur. En 2011-2012, après avoir pris quelques mois sabbatiques pour voyager dans le monde, nous sommes rentrés à Gryon et c’est à ce moment que j’ai eu le « flash ». Ici se trouvaient tous les ingrédients pour créer et mettre en place les personnages et intrigues de mon roman : un village, un peu comme un huis clos, l’atmosphère de la campagne, la montagne qui recèle beaucoup d’endroits pour se cacher, dissimuler. Gryon était décidément parfait, j’avais le cadre idéal.

Gryon et la région sont déjà bien connus par les Romands et beaucoup de gens y sont attachés parce qu’ils skient dans la région, qu’ils y ont un chalet, qu’ils y ont fait des camps dans leur enfance. Pour ces personnes, retrouver ce cadre dans un roman est sans aucun doute un intérêt supplémentaire lors de la lecture. Mais il est vrai aussi que des personnes qui ne connaissaient pas la région y sont venues après avoir découvert le Dragon du Muveran. C’est ce qui explique aussi le succès des randonnées-lectures sur les lieux du crime.
Je souhaitais que les gens de la région puissent s’identifier à la description des lieux et des ambiances que j’ai décrites. Et il semble que ce soit le cas. J’ai eu de nombreux retours très enthousiastes des habitants.

Gryon est dans le livre un personnage. Et ce personnage vit au travers de ces lieux, ces maisons, ses montagnes, les gens qui y habitent, leur culture, la gastronomie, etc… C’est peut-être cette manière d’ancrer les intrigues dans la réalité qui donne envie aux gens de découvrir par eux-mêmes les lieux. 

Qu’est-ce qui vous rend heureux ? Malheureux ?
La vie me rend heureux. Et ce qui me rend malheureux, c’est lorsque la liberté de quelqu’un est bafouée ou quand quelqu’un n’est pas respecté pour la personne qu’il est.

À nouvelle année, on ne change pas les bonnes habitudes, le traditionnel questionnaire pour en savoir un peu plus sur vous :

Un roman : Il mest difficile de citer un titre en particulier. Mais mes préférences vont vers les auteurs de polars nordiques. Mes auteurs de polars préférés sont Henning Mankell, Jo Nesbo, Mari Jungstedt et Camilla Läckberg.
Un personnage : James Bond, mon héros favori.
Un(e) écrivain(e) : Henning Mankell, l’un des meilleurs auteurs de polars avec sa série autour de l’inspecteur Wallander.
Une musique : Le Requiem de Mozert, une œuvre intense et tragique. J’aime beaucoup écouter de la musique classique en écrivant.
Un film : Le festin de Babette, un film danois de Gabriel Axel qui est une magnifique parabole invitant à célébrer et savourer la vie. Le film se termine par cette phrase : « jai compris ce soir que tout était possible ».
Un peintre : Henri Chouet, un peintre bordelais dont j’ai quelques œuvres à la maison. Ses toiles, peintes au couteau, donnent un effet de relief et de mouvement. Et les contrastes d’épaisseur permettent de saisir les nuances subtiles de la lumière sur les couleurs vives et franches qu’il utilise pour peindre ses paysages et natures mortes.
Une photo : Celle d’une mère kangourou et de son petit que nous avons rencontrés sur une plage en Australie. Elle m’évoque le voyage que nous avons fait autour du monde et surtout « un rêve qui s’est réalisé ».
Un animal : un wombat
Un dessert : le Saffranspankaka, un dessert typique de lîle de Gotland en Suède
Une devise/citation : "L'aventure est dans chaque souffle de vent." Charles Lindbergh        













 

 

 

 

mardi 23 janvier 2018


Une noisette, un livre

 

L’express de Bénarès

Frédéric Vitoux


 

« L’Ecosse s’est voilée de ses brumes classiques,
Nos plages et nos lacs sont abandonnés ;
Novembre, tribunal suprême des phtisiques,
M’exile sur les bords de la Méditerranée… »

Dans cette « carte postale » de Nice, le poète Henry Jean-Marie Levet exprime ses sentiments crépusculaires à l’aube de sa mort prochaine, à l’âge absurde de 32 ans.

Mais qui était donc Henri J.M. Levet ? Un idéaliste, un jeune homme sage comme le souhaitait ses parents ou bien un être inclassable, anticonformiste, ivre d’extravagance, de rêves, de fantasmes…
« Fantaisie aux divins mensonges, tu reviens m’égarer encor,
Va retourne aux pays des songes,
Ô Fantaisie, aux ailes d’or… »
… tel un Gérard pour Lakmé, histoire qui se déroule justement en Inde, Inde imaginée ou bien réellement vécue par Henry Levet.

Une gageure pour l’académicien Frédéric Vitoux que de retracer le bref parcours de vie d’un homme enfoui dans le cercle des poètes disparus, seuls quelques écrits et témoignages subsistent grâce surtout à deux de ses amis de l’époque Montmartre : Valery Larbaud et Léon-Paul Fargue ; ses parents ayant détruit lettres et manuscrits.

C’est donc un ectoplasme littéraire que l’auteur essaie de reconstituer, de donner forme, de faire revivre, tel ‘l’Express de Bénarès », ébauche d’Henry Levet perdue à jamais dans l’océan des oublis et les vagues de l’effacement.

Mais au-delà de la qualité de la poésie de Levet, pourquoi s’intéresser à décortiquer à la fois ce personnage et cette période de l’histoire ? L’écrivain y répond et ô combien on souscrit à ses mots : « une envie d’écrire des livres qu’en forme de longue et tranquille conversation. (…) Une conversation pour parler d’autres choses que de ce qui assaille et martyrise notre actualité ».

Et ce monologue est brillant. Brillant parce qu’il est respectueux, on n’invente pas, on suppute, on essaie de comprendre le pourquoi du comment ; brillant parce que pas de cours magistral mais plutôt un badinage, parfois vraiment taquin quand il s’agit de se pencher sur ces fameuses « têtes de circonstances » lors de sépultures ; il est brillant parce que délassant, telle cette visite particulière de Montbrison, beaucoup de nostalgie sur ce « temps qui va où tout s’en va… » ; il est brillant parce que tout simplement Henry Levet passe devant vos yeux : de l’opacité totale tout s’éclaircit et hélas on s’aperçoit qu’au moment où le poète a vraiment trouvé sa personnalité il ne lui reste que peu de temps à vivre… Belle leçon d’humilité d’ailleurs, ne pas chercher à être quelqu’un mais être soi…

« Au moment où Henry Levet se croyait perdu pour la poésie, il venait enfin de la trouver ».

L’Express de Bénarès – Frédéric Vitoux – Editions Fayard – Janvier 2018

lundi 15 janvier 2018


Une noisette, un livre

 

Et moi, je vis toujours

Jean d’Ormesson


 

Chaque livre est différent, chaque livre s’ouvre avec un sentiment distinct, parfois intense, parfois craintif, parfois neutre. Mais pour le dernier roman de Jean d’Ormesson c’est une approche bien étrange. Dans ses mains, on sait que l’on détient un objet rare, un bien précieux qu’il faut manipuler avec précaution. Le regarder, le retourner, le feuilleter, fermer les yeux pour se souvenir. Puis, commencer la lecture, tout doucement, prendre son temps parce que c’est justement de lui qu’il s’agit, ce temps qui passe et qui ne revient pas, ces hommes et ces femmes qui vivent et trépassent inéluctablement. C’est l’Histoire, la nôtre, la vôtre, cette histoire universelle que nous conte l’académicien et qui, par son écriture, personnalise ce qui nous lie tous : l’humanité et sa fuite en avant.  

C’est le récit d’un voyage qui a commencé un jour ou une nuit, et personne ne sait quand il se terminera. Il a débuté sans les animaux, sans les hommes. Puis, progressivement, les êtres vivants sont apparus, ont évolués jusqu’au moment de la découverte du feu qui a été un grand pas en avant vers les civilisations. C’est là que s’ouvre « Et moi, je vis toujours » où l’auteur nous entraîne à travers les siècles, les continents, où l’auteur se transforme en 1001 personnages, tantôt homme, tantôt femme afin de faire vibrer les vies qui font le roman de l’épopée humaine commencée il y a des milliers d’années en Afrique.

En seulement 280 pages vous détenez la plus précieuse des bibles, Jean d’Ormesson étant à lui seul une encyclopédie et tel un Ulysse c’est une invitation à une odyssée perpétuelle entre larmes et rires, entre guerre et paix, entre haine et amour, le tout englobé dans l’ivresse de l’art, de la philosophie, d’anecdotes et de découvertes comme, par exemple, celle de la brioche de Bianca Cappello.

Cette publication posthume de Jean d’Ormesson est une profonde émotion. Le bonheur de le lire encore, de s’enivrer de sa verve, de savourer son humilité, de sourire face à un humour qu’il a dû pratiquement garder jusqu’à son dernier souffle. La tristesse aussi, en sachant que c’est le dernier opus (à moins que certains soient cachés et qu’un jour…), et que Monsieur Jean n’est plus là pour nous épater.

Pourtant, écoutez :

« Longtemps je m’étais déplacé de bas en haut et de haut en bas. Maintenant je marchais droit devant moi, la tête haute, impatient et curieux. Le soleil n’en finissait pas de se lever devant nous. Je découvrais avec ahurissement, avec admiration un monde nouveau dont je n’avais aucune idée ; des peuples, des langues, des villes, des religions, des philosophes et des rois ».

Ou encore :

« J’ai pleuré et j’ai ri. Il y a de quoi rire : rien ne m’a autant amusé que la vie. Et il y a de quoi pleurer : je suis aussi la faim, la soif, la pauvreté, l’ignorance, la maladie, les chagrins d’amour, la dépression, la folie. »

Son timbre nous berce, ses mots resplendissent. Sacha Guitry disait « quand on a entendu du Mozart, le silence qui suit est encore du Mozart ». Pour ce Guépard de l’atticisme, désormais « loin de tout, qui a rejoint le domaine des certitudes éternelles », c’est exactement ce même silence. Un silence vivant.

Et moi, je vis toujours – Jean d’Ormesson – Editions Gallimard – Janvier 2018

lundi 8 janvier 2018


Une noisette, un livre

 

La salle de bal

Anna Hope


 


Francis Galton, Leonard Darwin, Ronald Fisher, Arthur Balfour, Winston Churchill… médecins, scientifiques, politiques… ils font partie de l’Angleterre de la fin du XIX° siècle et du début de XX°. Leur point commun : l’eugénisme, un concept qui voulait améliorer l’espèce humaine, sélectionner les races supérieures et éliminer tout ce qui pouvait empêcher le développement de l’Homo Sapiens, c’est-à-dire, les aliénés, les indigents, les inférieurs… bref autant de termes pour abaisser la condition humaine dans la plus humiliante des classifications. Une thèse qui sera hélas récupérée quelques décennies plus tard par le III° Reich…

C’est dans cette ambiance sombre et maléfique que se situe le dernier roman d’Anna Hope « La salle de bal », cette anxiogène atmosphère de l’asile Sharston, en référence à celui de Menston, qui a existé et où avait été interné l’arrière-arrière grand-père de l’écrivaine. Ainsi « La salle de bal » est non seulement un roman mais un émouvant récit en la mémoire de son aïeul.

Trois personnages alternent la narration : Ella, John et Charles.
Ella s’est échappée de la filature où elle travaillait et John devient patient  dans cet hôpital psychiatrique après un drame familial. Mais tous ces hommes et ces femmes se retrouvent souvent enfermés sans vraiment savoir le comment du pourquoi, les accidents de vie faisant arriver dans cet enclos des êtres sans lendemain… Et ils sont nombreux à errer dans l’incertitude, le néant, à être considérés comme des animaux, voire pire…

Entre le directeur et l’ensemble du personnel encadrant, il y a ce personnage de médecin : Charles… le déroutant… Mais il est fascinant de perversité scientifique. Médecin raté, musicien rêveur, peu considéré par ses géniteurs, il est ambitieux, très ambitieux et n’espère qu’une chose : se faire remarquer pour devenir quelqu’un, et ce, en essayant d’atteindre le Graal par une rencontre avec Winston Churchill plutôt favorable aux thèses eugénistes. Il va créer un orchestre amateur au sein de l’asile et ainsi, chaque vendredi, lors d’un bal, les hommes et les femmes désignés pourront se côtoyer. Ce qui semble être un geste de bonté, d’humanité de sa part va se révéler n’être qu’une fourbe manipulation. C’est là que le roman trouve son rythme dans une danse, non pas macabre, mais terriblement funeste. Pourtant l’amour entre Ella et Charles rode, intensément…

 A ce trio, s’ajoute Clem. Elle est bien différente, elle sait lire, n’a pas de problème d’argent, a de plus beaux vêtements que les autres. Elle est tombée dans cet enfer pour avoir refusé la main d’un homme… tout « simplement ». Elle a, en plus, accès aux livres, car elle sait lire et rêve d’aller un jour étudier à l’université. La lecture, encore et toujours… sauf que le « bon Dr Charles », ne voit pas cette addiction comme une thérapie, il veille pour le pire et jamais pour le meilleur… cruauté des destins…

Quel parcours livresque poignant ! Comment rester insensible à la condition de vie de ces personnages, fictifs, certes, mais en sachant que des centaines d’êtres humains ont subi le même sort entre brimades, humiliations, châtiments, sans aucune liberté et corvéable à merci. Même dans la mort, ils étaient malmenés. Pourtant, on ne cessait de leur répéter que tout était fait pour leur bien dans le meilleur des mondes… vaste hypocrisie.

L’écriture d’Anna Hope est flamboyante, tant par la justesse du déroulement de l’action que par la poésie qui apporte une lumière au fil des pages ténébreuses défilant sous nos yeux. Le tout avec un leitmotiv qui ne peut que séduire le lecteur : la présence de Dame Nature. La nature sous toutes ses formes, sous toutes ses saisons, sous toutes ses déclinaisons. Et dans toute sa générosité.  Loin des âmes noires des scientifiques qui voudraient tout régenter à leur façon et qui, parfois, sont les seuls à perdre la raison…

Dans ce tableau d’une noirceur déconcertante, les effluves bucoliques nous entraînent vers un dénouement surprenant et surtout sublime. Sublime par sa délicatesse, sublime par l’espoir qu’elle engendre. Mais après tout, l’auteur se nomme « Hope ».

La salle de bal – Anna Hope – Traduction Elodie Leplat – Editions Gallimard – Août 2017

Livre reçu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle
 
 

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