Une noisette, un livre, une interview
"Claude. C’était ma mère"
Alain Pompidou
Un prénom, deux noms :
Claude Pompidou née Cahour
Claude, incontournable Claude
Pompidou. Avec son mari Georges, ils ne faisaient qu’un. Ont lutté la main dans
la main, cœur dans le cœur lors des tempêtes immondes comme celle de l’affaire
Markovic. Ont partagé un amour commun pour l’art.
Leurs fils Alain a repris la
plume pour honorer sa mère et retracer un chapitre de l’histoire française. Un
hommage sous forme de récit dont le ton est donné dès les premières pages avec
cette très gracieuse définition d’un fils pour sa maman : "Sa vie
illustre une profonde interaction entre la tête et le cœur".
Au fil des pages, à travers
la vie de cette femme hors du commun, on redécouvre les riches heures du
patrimoine culturel français ainsi que les méandres (évidemment moins
harmonieux) de la politique . Car Claude n’aimait pas ce monde, rejetant
le Palais de l’Elysée qui pour elle n’avait été qu’une tragique demeure. Quelle
délicieuse promenade vous ferez, une visite personnalisée de tout ce que le 20°
siècle a créé en richesses artistiques : de Nicolas de Staël à Marc
Chagall, d’André Malraux à Françoise Sagan, de Pierre Boulez à Guy Béart ,
de Coco Chanel à Marc Bohan en passant par Aimé Maeght, Alberto Giacometti sans
oublier le 7° art comme, par exemple, la généreuse Jacqueline Delubac.
A l’élégance permanente s’est
mariée l’attention portée aux autres via la création de la Fondation Claude Pompidou œuvrant pour apporter soutien/réconfort aux enfants handicapés et
personnes âgées.
Un livre que l’on referme
avec la ferme conviction que les plus belles âmes ont cette pudeur des
sentiments pour mieux approcher la sensibilité des autres.
Mais c’est son fils qui en
parle le mieux. Entretien passion avec le Professeur Alain Pompidou.
1 –
Alain Pompidou, en 2012 vous publiez la correspondance de votre père.
Aujourd’hui vous offrez un portrait galvanisant de votre mère. Un hommage, mais
est-ce aussi le désir de vouloir perpétuer la mémoire de vos parents et une
partie de l’histoire française du 20° siècle ?
Surtout la mémoire de Claude Pompidou que je cherche à
perpétuer. Comme vous le soulignez, j’ai écrit un ouvrage sur mon père en 2012
et, ensuite, je désirais faire de même pour ma mère. J’ai songé, au départ, à
un album avec des photos illustrant son chemin de vie. Mais les éditions
Flammarion m’ont appelé pour que j’apporte un témoignage sur elle. Forcément
j’ai accepté de suite. J’offre aujourd’hui ce récit, avec une partie historique
et une partie intimiste de ce parcours inhabituel d’une première dame
résolument indépendante.
2 –
Est-ce facile de s’effacer, comme vous l’avez fait, pour raconter le destin de
sa mère alors que l’histoire commune est si vive ?
D’abord ce n’est pas une autobiographie et ensuite j’arrive
désormais à prendre du recul (mon âge aidant) pour non seulement narrer ce
parcours mais en le faisant avec plus d’indépendance. Je ne me suis pas effacé
mais seulement pris de la distance.
3–
Georges Pompidou disait « L’art est comme l’épée de l’archange, il faut
qu’elle nous transperce » (p.87). L’art était-il le premier dénominateur
commun du couple Pompidou ?
Au départ ils n’avaient pas la même formation. Ma mère était
passionnée de littérature, dès l’âge de 8/10 ans elle lisait Flaubert (entre
autres) et désirait faire une licence de lettres. Mais due à la présence d’un notaire dans la famille, la
condition sine qua non de son père était que sa fille fasse du droit si elle
voulait étudier sur Paris.
Et un beau jour de 1933, dans un cinéma du Quartier Latin, un
jeune homme la remarque et déclare "quelque chose est passé". Sur
le moment Maman a cru en un incongru mais en fait c’était un brillant étudiant
en lettres classiques, 1er Prix de grec au Concours Général. C’était
mon père avec une vision très large sur la littérature classique. Le coup de
foudre était évident et allait perdurer… Ils développeront leur amour pour la
littérature en particulier et la création artistique en général. Ils avaient en
commun ce don d’anticipation artistique, de voir l’art comme une provocation.
Mon père avait d’ailleurs l’habitude de rappeler "L’art doit interpeller
et provoquer".
4 – En 1946, Georges Pompidou devient le
Secrétaire Général de la Fondation Anne de Gaulle. Il était évident pour son
épouse de créer une association pour aider les personnes fragiles. Un
engagement de tous les instants jusqu’à ces derniers jours ? Un
évènement considérable fait que mes
parents seront fidèles et en admiration envers le Général de Gaulle : la
Libération de Paris et son rôle primordial pendant la 2° guerre mondiale. En
1944, Georges Pompidou décide que c’est avec lui qu’il veut travailler et
s’engager.
En 1946, le Général demande à mon père de devenir le Secrétaire
Général de la Fondation Anne de Gaulle, il accepte et assurera la fonction de
trésorier jusqu’au décès de Charles de Gaulle. En 1969, Georges Pompidou
devient le 2° président élu de la V° République et Claude voulait travailler
mais c’était impossible étant donné son statut. Elle décide de créer une
association en aide aux enfants handicapés et aux personnes âgées, une
expérience qu’elle avait vécue pour s’être occupée dans sa jeunesse de
personnes déficientes. Elle a fondé cette entité sur le même modèle que celui
de la Fondation Anne de Gaulle.
En 1974, devenue veuve, elle prend la présidence de la
Fondation. Une fondation très novatrice dans le fonctionnement en faisant appel
au bénévolat comme cela se pratiquait déjà aux Etats-Unis.
Jusqu’à son décès en 2007, elle s’occupera personnellement de sa
Fondation (avec 14 établissements sur le territoire sans compter les nombreux
relais) et c’est son amie Bernadette qui deviendra ensuite la présidente de la
Fondation Claude Pompidou.
5 –
Le Dr Cahour, père de Claude, était l’archétype du praticien d’autrefois.
Quelle fut la réaction de votre mère le
jour où elle a appris que vous alliez entrer à la Faculté de Médecine ?
J’ai toujours voulu être médecin du fait d’avoir eu des
relations particulièrement intenses avec mon grand-père. Pendant les vacances,
je l’accompagnais lors de ses visites (j’ouvrais et refermais les grilles des
fermes) ou à l’hôpital, son image "en blanc" avec sa toque, blouse
et tablier, reste encore dans mon esprit.
A ce but que je m’étais fixé, ma mère était plus que
ravie : "Au moins, il ne fera pas de politique" ! Elle
voulait tant m’en protéger…
6 –
Et pourtant, la politique vous a interpellé ?
Elle souhaitait que je reste médecin. Mais j’avais des
convictions européennes et je suis devenu député européen en écartant la
« politique politicienne » et en me consacrant aux programmes de
recherche et de développement technique auprès du Parlement.
7-
"Ne pas être autre chose que ce que l’on est, mais l’être pleinement,
honnête vis-à-vis de soi-même et des autres".(p.43) Avec une telle
philosophie, personne de son entourage ne devait être étonné de l’aversion de Claude
Pompidou envers la politique ?
Ma mère a énormément souffert de la politique et, d’ailleurs,
elle n’était pas heureuse que je prenne le chemin des cabinets ministériels. L’affaire
Markovic l’a profondément marquée, a profondément marqué mes parents. Ils ont
opté pour le silence face à cette jalousie destructrice et ils ont eu raison
car mon père a été élu en 1969 à près de 60%. Cependant, combien de fois j’ai
entendu mon père parler de ce complot comme "la bombe Markovic".
8 –
Et pourtant, elle avait une profonde admiration et amitié pour certains
politiques. Lesquels en particulier ?
Oui. Tout d’abord une admiration totale pour le Général de
Gaulle ainsi que pour toute sa famille. Pour mon père, Charles de Gaulle a
sauvé la France.
Quant à l’amitié sincère et durable, deux couples ont été
exemplaires : les Chirac et les Balladur. Edouard Balladur s’est beaucoup
occupé de l’Association Georges Pompidou, devenue depuis l’Institut Pompidou.
Jacques et Bernadette Chirac, tous deux très proches de ma mère en sachant que
Jacques a fait le maximum pour concrétiser le projet du Centre Pompidou qui a
abouti en 1977 malgré l’avis défavorable de certains représentants politiques…
9 –
André Malraux, personnage haut en couleurs. Indispensable peut-être ?
Oui, absolument. Un personnage central. Dès les années 50, le
couple Pompidou se lie d’amitié avec le couple Malraux. Au-delà de la politique, l’art était la
préoccupation majeure d’André Malraux, comme en témoignent les fulgurantes
conversations sur le sens artistique avec le Père Couturier, dominicain,
artiste et théoricien de l’art.
10
– Une impression se profile que votre mère n’aimait guère la compagnie des
femmes. Cette impression est confirmée en milieu de lecture. Pas d’esprit
féministe ou une accumulation de déceptions ?
Pour ma mère, les conversations avec les femmes étaient trop
futiles. Claude a été une très bonne mère, une très bonne épouse. Mais les
discussions avec les amis devaient aller au-delà de la vie familiale, il
fallait qu’elles soient élevées vers d’autres domaines que ceux du quotidien
sinon elle s’ennuyait.
Cela dit, des femmes pouvaient l’éblouir, comme, par exemple,
Dominique de Ménil, collectionneuse d’art et proche du Père Couturier, ensemble
elles avaient tant à partager !
11
– Claude, une amatrice d’art qui incarnait l’élégance ?
Oui, l’élégance pour l’élégance. Pas pour elle car elle n’était
pas coquette. L’élégance pour la France, pour les créateurs de mode avec qui
elle s’entendait très bien, pour les autres. L’élégance mais sans étiquette,
parce qu’une éternelle indépendance l’entourait toujours.
12
– Beaucoup de références résonnent à titre personnel et quel plaisir de voir
confirmer par écrit combien Claude Pompidou à aider l’un des plus illustres directeurs
de l’Opéra National de Paris : Rolf Liebermann. Pouvez-nous en dire encore
un peu plus ?
Je n’ai, hélas, jamais rencontré Rofl Liebermann. Mais je sais
que ma mère a œuvré pour le faire venir de l’Opéra de Hambourg pour qu’il
dirige celui de Paris, après en avoir longuement discuté avec le Ministre de la
Culture de l’époque, Jacques Duhamel. Et par effet de ricochet, sont arrivés de
nouveaux chorégraphes dont Maurice Béjart et Carolyn Carlson.
13
– Pour poursuivre en musique, quel est votre souvenir le plus marquant entre
votre mère et Pierre Boulez ?
Pas un, mais des souvenirs. En fait les relations entre ma mère
et Pierre Boulez remontent aux années 50. Quand il était étudiant, Pierre
Boulez habite un modeste logement à l’Ile Saint-Louis et jouait comme pianiste…
aux Folies Bergères ! Par un
heureux hasard, il rencontra le couple mythique Jean-Louis Barrault/Madeleine
Renaud qui est au Théâtre Marigny. Avec l’aide de Suzanne Tézenas (connue du
Tout-Paris et même au-delà) il va donner naissance au « Domaine
Musical » avec une série de concerts, d’abord au Petit Marigny (l’actuelle
salle Popesco), puis Salle Gaveau et enfin à l’Odéon.
En 1955, il crée « Le Marteau sans Maître » à
Baden-Baden, œuvre qui marqua profondément ma mère et elle fit appel à lui pour
participer des années plus tard à la préfiguration du Centre Pompidou et en
même temps pour fonder l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination
Acoustique/Musique).
Ils sont devenus très amis, une amitié s’appuyant sur la
création artistique et la musique contemporaine. Bien que solitaire, il invita
ma mère à Baden-Baden et dans sa maison du Lubéron pour discuter sur
l’évolution artistique tout en partageant cette infinie passion musicale. Comme
je le souligne dans mon livre "Une rencontre qui va transfigurer ma mère
et sans dépasser la limite de la pudeur, elle se rend indispensable".
14
– Suite à une célèbre conférence de presse de Georges Pompidou, l’écrivain Paul
Eluard devient une référence de sa carrière politique. Quel est l’écrivain qui
pourrait être associé à la vie de Claude Pompidou ?
C’est une excellente question ! Ma mère était férue de
Proust, Diderot, Saint-Simon, Giraudoux, Camus, Shakespeare… mais deux auteurs
la bouleversent, l’entrainent dans un autre monde : Robert Musil et Friedrich
Hölderlin.
De Musil, un titre m’interpelle particulièrement, une œuvre
majeure de l’écriture musilienne "L’homme sans qualités", roman
puissant et original. Un côté surréaliste, un côté avant-gardiste pour une
démarche intellectuelle qui correspondait à l’esprit de ma mère.
Friedrich Hölderlin est aussi l’un des fondateurs de la
littérature contemporaine. Par ses poèmes il a inspiré de nombreux compositeurs,
Brahms entre autres, avec une essence anticipatrice : tragédie et poésie
enveloppées d’une force constructrice de l’art moderne
15
– L’intégralité des droits d’auteur sera reversée à la Fondation Claude
Pompidou, partagez vous cette idée que tant que l’on honore l’œuvre d’une
personne, la lumière apportée ne s’éteint jamais ?
Tout à fait. D’où mon désir de continuer à suivre ce combat qui
était dans le cœur de ma mère. J’ai souhaité verser l’intégralité des droits
d’auteur à sa Fondation en prenant humblement exemple sur le Général de Gaulle
qui avait donné ses droits littéraires à la Fondation Anne de Gaulle.
16
– Pour clore cet entretien, non pas un questionnaire de Proust, mais un petit
quizz qui permettra aux lecteurs de mieux vous connaître.
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Un roman : "Le rivage des Syrthes" de Julien Gracq, un roman
et une évocation poétique.
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Un personnage : Charles de Gaulle
-
Un(e) écrivain(e) : Marcel Proust
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Une musique : Les quatuors de Ludwig van Beethoven, un monument de la musique
classique que le maestro a composé à la fin de sa vie en…étant sourd !
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Un film : "Alceste à bicyclette" de Philippe le Guay avec
Fabrice Lucchini et Lambert Wilson, une balade avec Molière pour l’un des
meilleurs films de ces dernières années.
-
Une peinture : "Le concert" de Nicolas de Staël, peint en 1955
à Antibes quelques jours avant de se suicider. Un tableau d’une puissance
extraordinaire, tourné vers l’avenir, cet avenir qui lui faisait peur…
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Un photographe : Man Ray, du dadaïsme au surréalisme. Un Maître.
-
Un animal : le chien
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Un dessert : la charlotte aux poires, parce que c’est délicat
-
Une devise ou une citation : "Eviter de se mentir à soi-même"
"Claude, c’était ma mère" – Alain Pompidou – Editions
Flammarion – Octobre 2016
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