Une noisette, un
livre
Contre nature
Cathy Galliègue
Elles
sont trois. Loin des trois déesses, tout au moins comme celles de la légende.
Mais elles sont des femmes, des femmes qui vont voir leur destin basculer le
jour où chacune commet l’inénarrable. La case prison est inévitable. A
l’intérieur des murs, enfermement du corps, enfermement de l’âme dans un cadre
où il vaut mieux passer pour une dominante que pour une blessée de la vie.
Pascale, Vanessa, Leïla. C’est cette dernière qui va rapprocher les deux autres. Qui sont-elles ?
Pascale
est une mère infanticide que, forcément, la vox populi condamne à mort.
D’ailleurs elle se déteste. Enfermée dans un corps gigantesque, elle rejette
tout de sa personne. On peut la croire affabulatrice mais toutes les failles
vont progressivement être découvertes. En attendant, sa vie en prison est du même enfer que celui d’avant, toutes se moquent de cet aspect difforme qui
baisse la tête dès qu’un regard se pose sur elle.
Justement
Vanessa n’est pas la dernière à se foutre de sa gueule, et même, à lui porter
des coups. La belle jeune femme cache pourtant également son corps ; corps
souillé, détruit lors de tournantes à répétition. Pour éviter les multiples
viols dans la cave de l’immeuble elle a signé un pacte avec ses agresseurs
acceptant l’inacceptable. Elle seule se retrouvera condamnée.
Leïla,
elle, a un parcours sans histoire. Tout pour réussir jusqu’à son mariage...
Bibliothécaire de métier elle continue à exercer son savoir dans les murs,
parler avec les autres détenues, faire découvrir les livres, animer des rencontres.
Quand Vanessa semble irrécupérable, elle lui met d’office un roman dans les
mains : Vernon Subutex. Un choc ! Pour Pascale, ce sera Autant en
emporte le vent. Choc également. Le début de la résilience. Par la lecture et
par l’écriture. Les trois se mettent à raconter. A nous raconter.
Cathy Galliègue signe tout simplement une histoire bouleversante, une fiction aux teintes réelles et qui permet une immersion dans l’univers carcéral féminin. Elle nous guide progressivement à l’intérieur de ces trois femmes, nous ouvre des fenêtres pour voir au-delà des faits, au-delà des apparences.
Et
au-delà des qualités romanesques et scripturales, ce livre renferme de
salutaires valeurs : le rôle de la littérature, de la lecture dans les
prisons, l’urgence d’aider les prisonniers à entamer une réinsertion et la
nécessité pour chacun d’entre nous à ne pas subir : ces trois femmes ont
trop accepté, ont trop caché les coups reçus, ont trop gardé pour elles les
intimidations, les humiliations, la violence physique et verbale. Ne pas se
taire pour ne pas se retrouver dans les ténèbres de l’enfermement.
Pour la forme, souligner encore la plume de Cathy Galliègue qui captive l’esprit comme un aimant, inclassable et singulière, une écrivaine que l’on aimerait voir entrer dans la cour des grands !
Un roman dur mais qui apporte une lueur d’espoir et un appel pour améliorer les conditions des femmes, celles qui sont encore libres, celles qui ne le sont plus. Puisse cette histoire traverser les couloirs éducatifs, les salles des pas perdus, les prétoires et tout simplement aller de mains en mains pour comprendre et arrêter de juger sans connaître.
« Me voilà de retour au bon vieux mitard. Cette fois, elles m’ont pas loupée. Sept jour ! J’ai même pas lutté, même pas protesté, je me suis laissé embarquer dans leur cloaque, où je suis supposée apprendre par cœur ce que le mot discipline veut dire, et m’y plier désormais. Il faudra qu’un jour on m’explique comment on peut devenir meilleure en étant enfermée, seule, vingt-trois heures sur vingt-quatre, couchée sur le flanc, les yeux balayant neuf mètres carrés, où le lit, l’unique chaise et la table sont rivetés au sol, où l’esprit ne peut que devenir fou, occupé à rien d’autre qu’à sa propre observation dans une mise en abyme des pensées qui s’affrontent les unes aux autres, qui se parlent, s’inventent des histoires, fouillent le passé en espérant y retrouver un vieux truc oublié. Pas de télé, pas de livre. Un cahier et un stylo. Comment ne pas perdre la boule pour de bon, quand une journée ne signifie plus que trois repas par jour, une heure de promenade solitaire, dans une cour à part, à ruminer la haine, à la mastiquer, comme un vieux morceau de barbaque plein de gras, et à même pas pouvoir la cracher ? »
Contre nature – Cathy Galliègue – Editions Seuil – Octobre 2020
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