Une noisette, un livre
Le syndrome de Petrouchka
Dina Rubina
(Photo de fond © Valerii Tkachenko)
Un héros de roman marionnettiste qui a pour prénom une marionnette, qui dit mieux ? Petia voue sa vie au théâtre de marionnettes. Il vit pour ses poupées, pour le jeu qu’il va inventer, les scènes qu’il va créer. Depuis son enfance il s’occupe de Liza, un bout de femme, toute petite, irrésistible, une chevelure à l’image de la flamboyance du personnage. Enfant, puis adolescent il l’a promenée sur son dos, a pris soin de cette jeune enfant dont la mère s’est jetée par la fenêtre sous les yeux de Petia. En grandissant, Liza est devenue son épouse et l’amour entre les deux est étrange et tout devient encore plus singulier lorsque Petia fabrique une poupée à l’effigie de sa femme de plus en plus happée par les tourments de la folie. Pourtant, dans le couple qui est le plus explosif ?
Sur cette grande scène livresque, il fallait un autre personnage pour tirer les fils : ce sera un médecin. Psychiatre de son état. Tout est parfaitement orchestré – de Mozart à Django Reinhardt – pour une histoire aux limites abracadabrantesques mais d’un foisonnement folâtre irrésistible. S’ensuit un défilé de personnages fantasques, tous plus ou moins liés les uns les autres et qui offrent une chorégraphie à la fois absurde, mystérieuse, imprévisible, sombre mais terriblement vivante.
Ce roman pourrait être le pendant du fameux ballet d’Igor Stravinski qui a pour nom cette figurine russe, ce pantin éternellement en souffrance qui fait frémir et sursauter de joie. D’une narration abstraite on se rapproche continuellement de la musique et surtout de la peinture, telle une polychromie posée sur cet art populaire du théâtre des marionnettes. C’est l’énergie du verbe pour colorer les âmes, ce sont des luttes en couleurs, une profusion de mots, de métaphores. C’est un crayon transformé en pinceau, une page aux allures de partition, un Tchaikovsky posant pour un André Lanskoy.
L’écriture de Dina Rubina rassemble toute la grandeur de la Russie et de ses alentours. Si Petia nous fait voyager de Samara, à Jérusalem, c’est pourtant Prague qui reste le socle de cette épopée entre le réel et l’imaginaire ; depuis le Pont Charles s’envolent des sonorités incandescentes, la luxuriance de la créativité, l’exubérance des passions, le tragique des destins. Et quelques baisers d’amour d’une Russie captivante et imprévisible. A l’image de ces éclairs bleus lors d’un orage d’hiver sous les averses de neige.
Follement théâtral, théâtralement fou.
« Assis sur son petit tabouret dans la remise du théâtre, Petia dévorait des yeux Youra qui jouait Pierrot, la marionnette brisée, et il repensait à son père. C’était lui, en tous points. Romka avait exactement, et de la même façon, coupé un à un tous les fils de la vie, les fils de l’amour familial qui le liaient à sa femme, à son gamin, en se laissant balloter uniquement sur le fil d’or, le dernier fil ténu qui lui restait (…) Le petit garçon savait déjà que le monde des marionnettes est aussi varié, vaste et peuplé que le globe terrestre, avec tous ses pays, ses peuples, ses fleurs et ses arbres, ses animaux et ses oiseaux, ses nuages, sa neige et sa pluie. Il savait que s’y cachait le secret de la vie, d’une autre vie, et que ce secret, il fallait sans relâche chercher à le découvrir, à le faire sortir ».
Le syndrome de Petrouchka – Dina Rubina – Traduction : Marie Lhuillier – Préface de Yves Gauthier – Editions Macha – Janvier 2020
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