Une noisette, une
rentrée littéraire #14
Hourra l’Oural encore
Bernard Chambaz
Qui mène le diable et son train
Quel est le secret de ce monde
Où le travail n’a pas de frein
Comme l’enthousiasme inonde
Son incompréhensible cœur
L’avenir ici qui se fonde
Ce sont les poèmes de Louis Aragon dans « Hourra l’Oural », écrits lors du long séjour en URSS du poète, qui ont inspiré Bernard Chambaz pour son voyage à travers la Russie, principalement dans la région de l’Oural, en train et en car. Mais d’Aragon, la critique est parfois rude notamment par rapport à son aveuglement sur le régime soviétique et ses piques contre Boris Pasternak. Ce sont donc les empreintes de l’auteur du Docteur Jivago qui vont davantage accompagner le lecteur dans un récit où se mêlent les références incontournables de l’histoire russe avec ses œuvres d’art se comptant à l’infini, l'histoire politique et la vie des citoyens russes d’aujourd’hui.
Point de vélo mais des déplacements en train, car, tramways et taxis pour parcourir l’immense région où se trouve l’invisible frontière entre Europe et Asie établie par Pierre le Grand. Cette façon de voyager permet à l’auteur de faire des rencontres inattendues et d’avoir une vision authentique sur la société russe d’aujourd’hui, toujours confronté à son histoire avec cette âme tant tournée vers la tragédie.
Des
monts Oural, peu de sommets vertigineux – aucun ne dépasse les 2000 mètres –
mais cette vieille formation géologique regorge de richesses dans son sous-sol
et d’histoires sur sa partie émergée.
Un périple totalement dépaysant et narré de façon directe, sans fioritures et effets de plume. Même sans connaître la région on imagine des paysages façonnés à l’image du peuple russe, entre magnificence et résignation, entre richesse et désespoir. Sans langue de bois aucune, sont abordés les années « rouge » les années Eltsine, avec la visite soit de musées, soit l’immersion dans des lieux où se sont formés les personnages, soit sur des sites où ont coulé et coulent encore la sueur ouvrière.
Empruntons
avec Bernard Chambaz les chemins des vestiges du camp de Perm-36, des lieux
saints comme le monastère de Verkhotourié, de l’assassinat des Romanov ou des
fantômes radioactifs de la centrale de Majak, première catastrophe nucléaire de
l’empire soviétique.
Entre deux trajets, entre un paysage de neige ou quelques mois plus tard une atmosphère pluvieuse, c’est un Kalinka qui sonne à nos oreilles – son auteur Larionov étant né à Perm – ou bien la voix de Chaliapine, ami de Gorki
Mais reste avant tout Boris Pasternak et sa descente aux enfers, de ses lieux d’écriture jusqu’à sa dernière demeure où frémissent encore les ultimes instants du poète maudit.
Un voyage par monts et par mots.
« L’Oural sera pour Pasternak une sorte de renaissance et, au passage, il y puisa certainement les sensations qui feront de son roman, Le Docteur Jivago, un chef-d’œuvre. Lui qui voulait parler au nom de la forêt, il y acquis la qualité d’écoute nécessaire. Lui qui aimait tant la neige, il y découvrit sa dimension épiphanique ».
« La nuit avance au rythme de Chalamov. A l’approche de l’arrivée, un brin de mélancolie nous saisit. On va se quitter, on sait que, selon toute probabilité, nous n’aurons plus l’occasion de nous rencontrer. Oleg nous offre une carte postale pieuse, « en ma mémoire ». La dernière image que j’emporte de lui me serre encore le cœur : il est en retrait, au bout du quai, il s’assure que la personne qui doit venir nous chercher est bien là ».
Hourra l’Oural encore – Bernard Chambaz – Editions Paulsen – Août 2020 – Rentrée littéraire 2020
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