Souvenirs d'un médecin d'autrefois

mardi 4 décembre 2018



Une noisette, un film



Monsieur de Laurent Delahousse




Un regard bleu horizon, une main tenant un stylo, une voix au phrasé unique. C’est un petit garçon devenu grand, très grand, puisqu’il est devenu immortel, un dieu des lettres sur l’Olympe de la Pléiade. C’est Monsieur. Monsieur Jean d’Ormesson. Le journaliste emblématique de France2 lui consacre un documentaire, une œuvre lumineuse qui apporte toute l’espérance que l’écrivain avait en lui. Un tournage de plus de deux ans, effectué au crépuscule de sa vie mais qui est l’aube de toute la richesse humaine.
C’est toute une dimension symbolique avec cet élément qui ouvre et clôt le film : l’eau. L’eau et ses merveilles comme l’a chanté Pline. C’est le plongeon d’un jeune enfant, un garçon bouillant de jeunesse dans les tourbillons aquatiques, c’est le mythe de Jean d’Ormesson se baignant nu dans les eaux de la Méditerranée, les séquences débutant d’ailleurs en Corse, au milieu de la Mare Nostrum que Jean d’O vénérait tant, là où les sources jaillissent à la lumière. L’eau, cette nature féminine, cette femme, ces femmes que l’académicien a séduit, charmé, loué. Cette eau qui rejoint l’amour, telle Aphrodite, née de l’écume des flots, recevant le message d’Hera dans L’Iliade : « Donne-moi l’amour et le désir, à l’ordre desquels tu domptes les Dieux immortels et les hommes mortels. Je vais voir, aux limites de la terre, Okéanos, origine des Dieux ».

Le ton est donné, le piano de Julien Doré fait galoper les notes, le film peut continuer sur le grand théâtre de la vie de Jean D’Ormesson. Ce dernier s’est laissé filmer pendant des heures, seul, en famille, avec ses amis ou avec son public, ce public qui lui seul décide du succès et de la valeur d’un livre. On le retrouve avec son éternel discours du bonheur, ses modesties plus ou moins vraies, ses coquetteries, ses idéaux, sa sagesse, son humour mais aussi, curieusement, ses blessures, surtout celles d’un père aimé, d’un père aimant, mais où est toujours restée une certaine incompréhension. Ce père qui gifla une seule fois son fils en lui faisant comprendre qu’on se devait d’être tolérant mais qu’il y avait l’intolérable. C’était en 1931, les troupes nazies défilaient en Allemagne et le jeune Jean s’était mis à faire comme tout le monde : les applaudir… Une claque reçue, une leçon de vie retenue. 

Des scènes attendrissantes comme ce dialogue avec sa petite-fille Marie-Sarah, là où il raconte ce qu’il faisait à vingt ans, là ou Sarah narre qu’elle était tellement heureuse que son grand-père l’emmena à l’école qu’elle en avait oublié son cartable. Ces petits riens qui forment un énorme tout.
La caméra s’est portée également sur sa fille Héloïse et leurs marches dans la nature, parfois sous le regard bienveillant de la tendre et discrète épouse Françoise, sans oublier le fidèle majordome Olivier qui veille sur cette famille pas comme les autres. Et puis, il y a Dominique, la secrétaire, celle qui transcrit les textes de Monsieur mais qui manie le verbe avec une aisance prodigieuse, sachant détecter les péchés mignons de son patron. 

Côté vie publique, ce sont les séances à l’Académie française, avec, entre autres, cette pastille incroyable où Jean d’Ormesson se transforme en un Louis de Funés pour arriver le premier devant son filleul. Impayable ! Puis, l’épisode de la Pléiade avec Antoine Gallimard et enfin, cette séquence avec Fabrice Luchini, fidèle à lui-même où se mêlent littérature et politique. La politique justement, avec l’instant archives, en 1969, lorsque Georges Pompidou cite les vers de Paul Eluard suite à une question sur le suicide de Gabrielle Russier : « moi mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés ».

Retour en 2016, Jean d’Ormesson souhaite rencontrer un jeune ministre : Emmanuel Macron. De la longue discussion est extrait un dialogue qui devient soudainement surréaliste en décembre 2018… Tout part d’une fable de La Fontaine, lui-même inspiré par Esope, écrite sous Mazarin et la fronde approchante. Une chauve-souris, avec des ailes comme un oiseau, seul manque le passage  « Jupiter confonde les chats »…

Un long-métrage à l’image de Jean d’Ormesson : pudeur et élégance. Réalisé avec une délicatesse inouïe, des images de Dame Nature dans tout son univers mirifique ; c’est un portrait peint aux mille nuances et surtout un chant d’espoir, un hymne à la vieillesse. Des prises de vue extrêmement rapprochées montrent les rides, les signes du temps qui passe sur les passants que nous sommes tous. Ces rides sont tout simplement belles et sont la preuve que nous vieillissons, que nous sommes en vie jusqu’à ce qu’un autre chemin nous appelle au firmament de l’éternité. 
Désormais Jean d’Ormesson est une étoile au royaume des cieux qui continuera à nous bercer de ses mots, de ses messages sur la vie. Astre qui brillera intensément ce 5 décembre pour remercier Laurent Delahousse de l’avoir fait scintiller dans toute sa noblesse et pour une deuxième immortalité.

« Malgré tout je vous dis que cette vie fut belle

Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici

N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle »

Louis Aragon

Monsieur – Film documentaire de Laurent Delahousse – Musique Julien Doré – 5 décembre 2018 




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