Autodidacte,
Patrick Cargnelutti découvre la littérature, la musique, la peinture et plonge
avec passion dans l’ensemble de ces univers. Animateur de l’émission « Des Polars et des Notes » sur Radion Evasion, en 2013, il co-fonde le webszine
incontournable pour tout amateur de polars (mais pas que) : « Quatre sans Quatre » et, et… en septembre 2017 sort aux Editions Jigal son
premier bébé « Peace and Death » une fresque policière mais aussi
sentimentale depuis une maison de retraire jusqu’au Etats-Unis d’après-guerre.
De la noirceur mais aussi beaucoup de tendresse et une vaste réflexion
sur le temps qui passe.
A force de lire les auteurs et
d’émettre des critiques, l’envie d’écrire votre propre polar a germé comme un
noisetier dans un domaine arboricole ?
Pas
vraiment. Je ne me suis pas dit tout à coup que j’allais écrire un roman. Au
départ, Colette et Céleste étaient les personnages d’une nouvelle à quatre
mains qui devait paraître dans Quatre Sans Quatre. Nous en avions élaboré les
grandes lignes du scénario et les personnages avec ma complice, Dance Flore.
Petit à petit, je me suis laissé envahir par le personnage de Colette et
“voyais” de nombreux morceaux de sa vie qui me hantaient. Une nouvelle n’aurait
pas suffit à tout raconter, elle m’a encouragé à exploiter ces personnages et à
aller au bout de leur parcours.
Je
voulais absolument me raconter cette histoire, en savoir plus sur cette femme
qui me fascinait. J’ai donc commencé à rédiger des sortes de pièces de puzzle,
sans véritable cohérence chronologique, des épisodes de l’existence de cette
vieille dame singulière, et l’enquête de Céleste m’a permis de les mettre dans
le bon ordre et de trouver un sens à tous ces événements dans le chaos.
Mais,
pour répondre précisément à la question, non, il n’y a pas de corrélation entre
mon activité dans le webzine et ce roman, ce sont deux aventures bien
distinctes. Lire ne m’a pas donné envie d’écrire. Je n’ai pas voulu rédiger MON
polar, plus un roman noir d’ailleurs, je m’en sentais bien incapable. J’ai
juste souhaité me raconter l’histoire de cette femme parce que je ne pouvais
pas ne pas le faire. Plus une nécessité que de la volonté d’avoir mon nom sur
une couverture de bouquin. J’apprenais à la connaître à chaque chapitre, en
découvrait de nouvelles facettes, des réactions qui m’étonnaient. J’étais plus
spectateur qu’acteur, en définitive.
Pourquoi avoir choisi
une maison de retraite comme lieu du crime ? Pour pouvoir décrire les
conditions de fin de vie, pour juguler passé et présent ? Ou encore parce
que derrière chaque vie, il y en a une autre, avec ses secrets, ses ombres, ses
lumières ?
Ce
qui était plaisant, c’est le décalage entre Colette et l’image d’Épinal qui est
véhiculée sur la vieillesse. Les personnes qui arrivent aujourd’hui dans les
établissements de ce type ont vécu, pour certaines, les grandes heures du rock,
fumé du shit, testé du LSD et la pseudo-libération sexuelle, on est loin des
petits vieux se régalant des airs de musette en évoquant Jean Gabin. La
vieillesse en tant que telle est bannie ou presque des médias, l’heure est au
jeunisme à tout prix. Tout le monde, à la télé ou dans les magazines, est jeune
et en pleine forme parce que tout le monde avale les bonnes pilules, suit les
cours de gym ou se fait charcuter en Tunisie. J’ai voulu montrer un autre
visage de la sénescence.
Alors,
oui, bien sûr, il y a la fin de vie, il faut s’y confronter. Nous y sommes de
moins en moins préparés puisque la mort revêt désormais presque la forme d’une
injustice, d’un accident que la science
n’a pas su régler. Mais surtout, je voulais remonter l’existence de Colette et
y dénicher tout ce qui faisait qu’elle était la personne énigmatique qu’a
découverte Céleste ce matin de janvier.
Odette et Colette. Une
redondance volontaire pour mieux entrecroiser les noisettes ?
Ce
n’est pas aussi construit que cela. Je décide d’un nom de personnage sans, la
plupart du temps, analyser ce choix. Ensuite, au fur et à mesure du récit, il
se trouve que ces noms deviennent parfois signifiant, dégagent du sens, mais il
n’y a pas réellement de préméditation.
Ces
deux femmes ne se connaissaient pas, elles sont nées à la même époque, ont eu
des vies très différentes, Colette, toujours à la marge, Odette, sur une voie
sociale plus traditionnelle, acceptable. Elles ont connu des deuils mais ne les
ont pas gérés de la même manière. Des choix qui auraient dû ne jamais les faire
se rencontrer et qui, pourtant, les réunissent dans le même drame par une
facétie du destin.
L’action se passe en
2017 mais avec un retour constant sur la passé. Notamment sur la seconde guerre
mondiale, la résistance… Est-ce aussi le rôle d’un écrivain que de transmettre
par la fiction ces traces qui ne peuvent être effacées ?
Je
ne suis pas certain que l'écrivain ait un rôle autre que celui de raconter des
histoires et de laisser ses lecteurs en faire ce qu’ils voudront. Assigner des
tâches à la littérature, c'est déjà la contraindre et en perturber la liberté.
Dans le meilleur des cas, l’auteur peut souligner un point d’histoire, donner
envie au lecteur de creuser davantage le sujet ou réfléchir à la situation
présente à la lumière des événements passés.
Je
parle d'événements qui ont marqué ma vie. D'autres, nés en même temps que moi,
en auraient souligné de totalement différents. C'est ce qui est passionnant
dans l'aventure humaine, chacun a son prisme et la richesse vient de l'échange
de ces différents points de vue.
Pour
en revenir à ces traces, elles sont, hélas, déjà bien pâlichonnes et, à mon
avis, s'estompent un peu plus de jour en jour, au même rythme qu’en disparaissent
les témoins directs. Je ne crois pas qu’elles soient permanentes, ineffaçables,
elles sont utilisées, manipulées, façonnées dans le sens souhaité par les
pouvoirs en place, mais du néo libéralisme aux nationalismes, la bête peut
prendre de multiples visages pour réapparaître si les possédants se sentent
menacés.
C’est
du devoir de chacun, quel que soit son rôle et sa place dans la société, de
veiller, de lutter, d’expliquer. L’auteur en tant que citoyen n’est bien
entendu pas exclu de ce devoir, mais pas obligatoirement dans ses livres.
Pourquoi avoir voulu
consacrer une large partie de récit outre-Atlantique ? Parce que les
Etats-Unis sont la source de tous les rêves même si certains se tournent en
cauchemar ?
Chacun
voit, aux USA, le rêve qui l’intéresse. Le pays est immense et multiple qu’il
peut les abriter tous. Les cauchemars aussi. Il n’y a rien de commun entre
Boston, Dallas, Miami ou Los Angeles, ce sont des univers très différents. Les
Américains ou l’Amérique sont des concepts qui n’existent pas réellement, pas
plus que celui d'Européens ou d'Africains, ils recouvrent des réalités
tellement diverses.
C’est
pour moi, avant tout, le pays qui a mené la danse après la chute de Berlin en
1945, l’apogée de son influence politique et culturelle. Le compagnon de
Colette était américain, il fallait qu’ils se trouvent, ensuite se demander
pourquoi ils étaient rentrés en France, comment ils s’y étaient pris pour
revenir. La longueur du voyage me permettait de faire progresser l’enquête de Céleste
parallèlement et de faire rencontrer à mon héroïne des gens qui avaient vécu la
face un peu cachée du siècle. Personne ne se souvient de la guerre de Corée, le
Vietnam s’éloigne peu à peu.
Le
récit se passe dans toute la seconde moitié du vingtième siècle pour
l’essentiel de ce qui marque Colette, mon héroïne, j’ai choisi de borner sa vie
par les conflits, elle en est une victime collatérale, comme on dit
aujourd’hui. Plus que les États-Unis, ce sont les guerres qui ont été menées
dans les trente années qui ont suivi la reddition nazie qui m’ont intéressé.
Les grandes guerres impérialistes, les débuts de la mondialisation du
capitalisme financier annonçant la fin voulue de la solidarité et le début de
l’individualisme triomphant. Et, bien évidemment, les conséquences de ces
soubresauts de l’histoire sur des individus tels que Colette, Robert, la
famille de Colette et même Céleste qui est en France parce que sa famille
républicaine a dû fuir Franco. Les batailles, même lointaines, même ignorées,
secrètes ont des répercussion sur la vie des gens ordinaires, bouleversent leur
quotidien, modifient leur destin en profondeur, les blessent tout autant que
les balles. Colette est une femme blessée avant tout.
Pour
être complet, il se trouve que je me suis beaucoup intéressé à cette période,
le mouvement hippy, et j’avais envie d’en parler. Il m'a toujours semblé que
c'était une formidable escroquerie que d'essayer de faire croire que ceux qui y
ont participé revendiquaient un monde plus juste, plus humain, une sorte de
paradis zen. Ils ne voulaient surtout plus de règles, plus de contraintes, pas
la liberté, le libéralisme, la fin de l’État. Ce qui est, pour moi, très
différent que de réclamer une société plus juste. Leur combat était avant tout
individualiste, pas collectif. Colette suit un peu le même chemin. Elle, fille
d’un militant communiste déçu, va peu à peu se recentrer sur un objectif
personnel et très instinctif : protéger celui qu’elle aime. Parce qu’elle n’a
pas su sauver son frère, parce qu’elle ne fait guère confiance aux promesses
des hommes.
Céleste Alvarez est la
lieutenant chargée de l’enquête. Comment avez-vous construit son
personnage ? Il fallait une femme pour pouvoir filtrer l’histoire d’amour
de la protagoniste ?
Céleste
est un témoin. Un révélateur exigeant, pointilleux, qui n’hésite pas à regarder
de l’autre côté des évidences, à examiner ses “pensées magiques” et à s’en
nourrir. Nous le faisons tous, souvent sans nous l’avouer, elle, elle y fait
face. Plus que sa féminité, c’est son ouverture d’esprit qui m’intéresse, sa
faculté de s’imprégner du discours de l’autre comme elle s’imprègne des
paysages pour les dessiner. Pour comprendre Colette, il me fallait cette part
d’irrationnel, de sensitivité perspicace qu’elle abrite. Son destin a également
été modifié par la guerre, la fuite d’Espagne de ses grand-parents, leur vie de
réfugiés politiques. Sa sensibilité lui permet d’appréhender les non-dits de
Colette, de les distiller pour en recueillir l’essence. Céleste est grosse du
monde qui l’entoure, parce qu’elle se remplit de son environnement, elle est
une éponge, elle avale l’univers où elle évolue.
Je
ne pense pas qu’elles soient si éloignées que cela l’une et l’autre, au-delà de
leurs histoires personnelles, elles présentent des points communs, ne serait-ce
que dans l’obstination qui est la leur à aller au bout, quelles qu’en soient
les conséquences, sans tenir trop compte des règles communément admises, quitte
à déraper du mauvais côté. Il ne me fallait pas particulièrement une femme, un
homme aurait pu avoir des qualités équivalentes, il me fallait Céleste très
précisément. Hors des codes de séduction, des poncifs de super flic, un
tempérament d’artiste, volontaire mais également ouverte au monde, sans vie
privée trop parasitante. Une histoire d’amour comme celle de Colette est par
essence irrationnelle, j’avais besoin de quelqu’un ayant accès à cet aspect de
l’humain.
Sur votre webzine
littéraire « Quatre sans Quatre » et votre émission « Des Polars
et des Notes » sur Radio Evasion, la musique prend une part considérable
dans vos critiques de romans noirs. La musique est indéniablement une source
d’inspiration mais peut-elle être aussi un fil conducteur entre l’auteur et son
lecteur ?
Aussi
bien dans le webzine qu’à la radio, je ne fais que proposer en écoute ce que
l’auteur a lui-même mis dans son livre. C’est comme ça que m’est venue l’idée
de l’émission, en constatant le nombre de plus en plus important de morceaux de
musique cité dans les romans que je lisais. Ces titres ne sont pas forcément
ceux que l’auteur aime ou écoute, ils servent à souligner une ambiance, au même
titre que la bande originale d’un film, à typer un personnage ou une situation.
S’ils sont des liens, c’est vers le récit, pas vers l’auteur, à mon sens. Dans
Peace and Death, même si j’en ai écrit une bonne partie un casque réglé à fond
sur les oreilles, la musique citée est celle de l’époque, pas celle que
j’écoutais. Hormis les Seeds qui me sont chers - j’ai cherché en vain leurs
albums très longtemps dans mes jeunes années avant de les dénicher par hasard
chez un disquaire parisien - les autres chansons sont là au même titre que le
reste des descriptions, pour nourrir le récit, ajouter à l’atmosphère. La
musique est partout, de plus en plus, tout le temps, il est naturel qu’elle se
retrouve dans les romans.
La misère humaine semble
vous affecter profondément. La littérature permet de la relater, de mobiliser
l’opinion, mais peut-elle également aider à trouver des solutions ?
Je
ne dirais pas qu’elle m’affecte, il faut toujours garder une distance qui
permet de réfléchir quand on en est le témoin. L’émotion est mauvaise
conseillère et favorise toutes les manipulations possibles, la misère humaine
mérite mieux qu’une réaction épidermique. De l’empathie, certes, de la
compassion envers ceux qui subissent, mais il est aussi important d’en analyser
les causes et cela doit se faire hors contexte émotionnel et demande du temps.
La
misère m’indigne le plus souvent lorsqu’elle est évitable, la conséquence d’actions
d’autres individus ou lorsqu’elle est sujet de mépris de la part ceux qui n’en
souffrent pas, comme c’est devenu manifestement une habitude depuis peu. Pour
ce qui est de la pauvreté, de l’abandon des populations déshéritées, la
solution est évidemment politique, un roman peut apporter un point de vue,
soutenir une vision, celle de l’auteur, mais apporter une solution, je ne pense
pas. Quant aux misères inhérentes à la condition humaine, aux souffrances de
l’être, elles sont tellement multiples que tout est possible, alors, dans
certains cas, oui, un roman peut aider son lecteur à se sentir moins seul ou à
entrevoir une solution, mais je pense toutefois que rien ne remplace un
véritable contact avec un autre être humain.
Votre parcours est multifonctions,
d’Est en Ouest, aucun risque de perdre le Nord ?
Si
on regarde bien, je suis tout le temps la même latitude, je me déplace vers
l’ouest, donc non, le nord ou le sud ne me manquent pas. Plus sérieusement,
j’ai besoin d’avoir plusieurs projets et idées en même temps. Un unique
objectif m’ennuie très rapidement, je ne sais pas faire dans la monomanie. Si
je me perds, ce n’est pas important, je découvrirai certainement des choses
passionnantes là où j’arriverai. Au pire, je rebrousserai chemin ou changerai
de direction, ce n’est pas très important. Les chemins de traverse sont bien
plus riches, à mon avis, que les autoroutes balisées : la musique peut m’amener
à la littérature, le contraire tout autant, ou à la peinture, la politique,
l’économie... J’aime renifler à droite et à gauche - surtout à gauche - et
musarder. Mes pensées ressemblent plus aux trajectoires d’une bille de flipper
qu’à celle d’une boule de bowling. Je pense que c’est un des plaisirs de la vie
que de perdre le nord et de passer du temps à le retrouver.
Pas de questions de
commissariat mais un bref quizz afin de mieux connaître votre pedigree ?
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Un roman : Le voyage au bout de la nuit
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Le Thérapeute (Magritte) - un peintre :
Otto Dix
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Un animal : le bonobo, pour sa parfaite manière de régler
les conflits.
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Un dessert : la tarte aux mirabelles
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Une devise/citation : « Les tyrans ne sont grands que parce que
nous sommes à genoux. » (La Boétie) - (Je me serais bien tenté « Au
15 août, les noisettes ont le cul roux », mais je sais que nous avons tous
deux un profond désaccord idéologique sur ce point...)
La critique de « Peath and Death »
est à retrouver ici