Une
noisette, un livre
Les
désordres du monde – Walter Benjamin à Port-Bou
Sébastien
Rongier
Comment rencontre-t-on un
auteur ? En en lisant un autre. Et par cette lecture, surgissent des
ombres, des fantômes peut-être. Ceux de Baudelaire, de Proust, de Klee.
Fasciné par Charles
Baudelaire, le narrateur découvre le philosophe, critique d’art et traducteur
Walter Benjamin. Il veut en savoir plus, examiner son parcours, et, par hasard
se retrouve dans la petite localité espagnole de Port-Bou. Port-Bou, poste frontière
dans la rebelle Catalogne, dernier lieu d’existence du philosophe allemand qui
a mis fin à ses jours un soir de septembre 1940. En plein conflit mondial, dans
une Europe qui n’existe plus et qui peut-être n’existera plus jamais. Walter
Benjamin est désorienté, abattu. Souffrant dans son corps, son esprit ne suit
plus, il est rejeté comme des centaines d’autres réfugiés allemands, espagnols,
interné puis libéré grâce au soutien de quelques amis fidèles, il craint d’être
définitivement embarqué vers la mort. Déchu, apatride, il n’a plus rien. Plutôt
que d’aller à la faucheuse, il préfère la faire venir…
C’est le récit
magistralement écrit par Sébastien Rongier qui nous permet de retracer le
sentiment de Walter Benjamin. Par une plume particulièrement saisissante, on
revit les derniers instants de cette personnalité allemande, de sa fuite d’Allemagne
jusqu’à la frontière franco-espagnole, en passant par Paris et Marseille. Mais
chaque paragraphe évoquant le monde d’hier
est en fait une vitre qui reflète le monde d’aujourd’hui. Avec ses
désordres. Ceux de la montée de l’extrémisme, sur les camps d’internement, sur
les idéologies belliqueuses, sur l’accueil des réfugiés (un écho plus que
brutal), sur le statut des apatrides avec le rappel de la décision du Maréchal
Pétain. Car forcément il est question du régime de Vichy dans toute son ignominie.
Et puis il y a la visite de
Port-Bou. Oh rien de touristique. Non, que de l’authentique. Sur la vie qui
passe, où chacun repasse quand d’autres trépassent. Une réflexion sur le
changement d’une ville au gré de l’évolution d’une société, sur l’abolition
(relative) des frontières, sur l’absurdité des systèmes, sur la fragilité de la
vie. La vie et son issue, celle d’un cimetière, en hauteur où les morts ne sont
pas enterrés mais dans des tiroirs de pierre, parfois avec l’impression que les
morts sont plus vivants que ceux qui franchissent ce lieu de repos éternel…
quand ils les franchissent… Walter Benjamin n’a pas de tombe, pas de corps
retrouvé. Une fosse commune, anonyme et synonyme de double mort. Mais il y
« Passagen » un monument érigé en la mémoire du philosophe et créé
par Dani Karavan. Là, surgit « Namenlosen » et la pensée de Benjamin
« C’est bien plus difficile
d’honorer la mémoire des anonymes que celle des personnes célèbres. La
construction historique est consacrée à la mémoire de ceux qui n’ont pas de nom ».
Un concept de l’histoire tel
un ange pris dans une tempête…
Les
désordres du monde – Sébastien Rongier – Editions Pauvert – Septembre 2017Paul Klee - Angelus novus |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire