mardi 23 août 2022

 

Une noisette, un livre
 
Les liens artificiels
Nathan Devers

 


Julien Libérat n’a pas la vie qu’il espérait. En rupture avec sa compagne May, il survit dans son petit appartement de Rungis avec ses maigres revenus de pianiste. Admirateur inconditionnel de Serge Gainsbourg il ose franchir le pas du monde virtuel lors de la création du plus grand Métavers du monde, Heaven, tout juste créé par un ogre des temps modernes Adrien Sterner dont les états d’âme sont depuis longtemps enfouis sous des millions de gigaoctets. Julien devient Vangel et la course à la reconnaissance commence. Vangel rencontre le fantome de Gainsbourg, voyage, devient riche, loge dans des palaces et… devient célèbre grâce à un poème sulfureux. Mais jusqu’où le virtuel peut aller ? Jusqu’où ce Narcisse du XXI° siècle va pousser la contemplation de son image créée en un click ? Icare n’est sans doute pas loin…

Brillante dystopie écrite par le non moins brillant Nathan Devers et qui met en mode alerte notre course effrénée vers la technologie et ses dérives en analysant méticuleusement les ficelles agitées par des diables cherchant celles et ceux prêts à vendre leur âme pour quelques heures de reconnaissance et d’évasion dans cette société où l’humain devient progressivement un élément jetable sous la caméra des égos. Pas évident de se chercher, de se trouver dans cet univers ou les rives de la réalité et du virtuel se rejoignent inexorablement.

L’écrivain philosophe invente un mot judicieux pour décrire combien l’homme et son ordinateur longent un couloir dont le fil entre les deux est de plus en plus ténu : « homminateur ». Avec le risque que ce soit la machine qui engloutisse la personne. Cette vie plongée à l’intérieur de l’autre vie est bien plus qu’une double vie. Elle est le début de la fin dans une société où l’homme est le contraire de lui-même ; refusant l’aliénation il se jette dans les griffes du virtuel dans une mythomanie encouragée.

Noisette sur le livre, la plume de Devers est pétillante, fait preuve de légèreté pour un sujet qui ne l’est point et saupoudre d’humour les errances de ce monde.

« Qu’il s’agît des Évangiles ou de Platon, de saint Thomas ou de Marx, la civilisation occidentale n’avait fait que sublimer son désir de paradis. Tantôt ce paradis prenait la forme du monde des idées, tantôt d’un tableau de Michel-Ange ou d’une utopie collectiviste. Parfois on l’appelait sagesse, parfois démocratie directe et parfois cité de Dieu. Mais le principe demeurait identique : l’espèce humaine habitait l’univers en essayant par tous les moyens de modifier les conditions de son existence. De génération en génération, elle s’était un peu arrogé la place de ses dieux, tâchant d’aller au-delà de la réalité, d’accéder à une autre existence. Surmontant les entraves terrestres, elle se construisait en permanence en monde substitution : une sorte d’antimonde. Seulement, ce que Jean et les penseurs d’hier ne pouvaient pas savoir, c’était que cette apocalypse ne serait pas l’œuvre d’une quelconque providence, mais qu’elle émanerait de la programmation informatique. L’écran était le ciel, internet incarnait le Tout-Puissant et le numérique déployait la genèse d’une nouvelle histoire. D’ici quelques années, l’Antimonde sortirait du néant où il avait germé ».

Les liens artificiels – Nathan Devers – Éditions Albin Michel – Août 2022

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