Une noisette, un
livre
La domestication
Nuno Gomes
Garcia
Autant
prévenir, ce roman est une dystopie effrayante mais avec l’immense mérite de
décrire à la perfection le cercle vicieux et incontrôlable de tout extrémisme
idéologique, et, de soulever moult interrogations, notamment celle de la
réactivité lorsque les rôles sont inversés.
Une Nouvelle République est née dans l’ancienne France après l’hécatombe du Grand Fléau avec une nouvelle devise : sécurité, uniformité, sororité. Césarine dirige le pays avec une main de fer sans y mettre un morceau de velours. Mais c’est pour le bien-être de ses habitantes. Habitantes car l’homme est devenu quantité négligeable ne servant qu’à donner sa semence – par procréation artificielle dans des bocaux puisque toute fornication est devenue un crime –, être au service de la femme pour toutes les tâches subalternes en devant porter un cache-tout dès qu’il apparait en public, même si accompagné d’une femme. La musique est considéré comme antisociale, rire est mal vu, le patrimoine détruit pour purification, et, cela va sans dire, l’amour n’existe plus. Toute ressemblance avec un ou des pays existant(s) n’est absolument pas fortuit…
Francine Bonne est apparemment une citoyenne heureuse dans ce qui est considéré comme le meilleur des mondes. Jusqu’au jour où la stérilité de Pierre, son mari, ne fait aucun doute. Moyennant des pièces sonnantes et trébuchantes Francine va pourvoir le garder lorsqu’elle va aller en choisir un second au marché des hommes. Sauf que les problèmes vont commencer : Jean est un homme différent : apparence masculine, beau et avec une virilité qui détonne dans ce monde sans sensualité. Dans cet état où toute liberté de penser est sévèrement réprimé, où le droit de vie et de mort pour les hommes est légal, comment Francine et ses deux maris vont pouvoir transgresser les codes…
Un roman – sur fond de thriller politique – engagé, résolument féministe qui maltraite la gent masculine pour mieux dresser les conditions de vie des femmes soumises et interdites de vie sociale. Combien l’effet contraire se produit lorsque des dirigeants décident de surprotéger sa population et de mettre à l’index un sexe, une religion, une ethnie. La dictature est l’unique gagnante. Nuno Gomes Garcia réalise une œuvre dérangeante mais ô combien percutante ! Même la forme d’écriture est poussée à l’extrême, le retour de la règle de proximité est judicieuse mais l’ultra féminisation de la sémantique montre ses limites comme page 152 avec « journaleuse » pour journaliste alors que ce mot est épicène et que « journaleux » porte un tout autre sens. Cela dit, existe-t-il encore des journalistes dignes de ce nom au sein de ce nouvel État indignement nommé "République" ?
« Francine se demanda si l’ironie qui aigrissait sa voix avait été correctement interprétée par la médicienne. Le paiement des vingt mille francs exigés pour l’établissement du faux rapport médical avait moins entamé ses finances que sa dignité de femme ».
« L’Institut des maris le plus proche d’Andrésy se trouvait à Versailles, près de l’ancine château transformé en hôpital. Avec ses statues obscènes de mâles exposant leurs attributs virils, l’extravagance dorée du passé témoignait par trop de la décadence dans laquelle était tombée l’humanité avant le Grand Fléau. L’édifice monumental avait donc été purifié et débarrassé de ses ornements honteux ».
« Les femmes d’Andrésy et du reste de la France se ressemblaient toutes avec leurs cheveux invariablement blonds et leurs yeux unanimement bleus. A l’âge adulte, elles atteignaient le calibre réglementaire déterminé en laboratoire : un mètre soixante-quinze pour un maximum de soixante-cinq kilos. Quiconque excédait ce poids était envoyée en Centre de rééducation jusqu’au retour de la norme ».
La domestication – Nuno Gomes Garcia – Traduction : Clara Domingues - Éditions iX – Mai 2022
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