Une noisette, un
livre
Les pépins de
grenade
Sarah Briand
Lorsque
Salomé fait couler de la pulpe de grenade sur sa robe blanche dans un train qui
la mène à Carthage, elle ne se doute pas un seul instant que sa vie va basculer
soudainement. Quelques heures plus tard, le hasard fait mettre sur ses pas un
jeune homme athlétique et souriant, Andrew ; avec lui elle va déambuler le
long des colonnes antiques, lieu mythique et carrefour des civilisations. Coup
de foudre réciproque, ils vont se retrouver jusqu’à Washington où il habite et
exerce son métier, tout au moins celui qu’il lui révèle. Rien au sujet de son autre
activité plus secrète. Lors de ce séjour nord-américain Andrew lui apprend par
hasard l’existence d’un aïeul ardéchois – région natale de Salomé – qui a sauvé
une famille juive pendant la seconde guerre mondiale et qui fut nommé en 1979
« Juste parmi les nations ».
La jeune femme, journaliste pour une grande chaîne de télévision française, va alors remonter le fil du temps, appeler sa mère, fouiller les archives, contacter tous les services possibles pour retrouver l’histoire d’André, un héros anonyme parmi les autres qui avait réussi à s’évader d’un camp de travail allemand. Mais, un soir, pendant qu’elle surveille le déroulement du journal télévisé et scrute toutes les dépêches son cœur tressaille : un attentat en Afghanistan a visé des militaires américains. Sur une civière elle reconnait le visage d’Andrew.
Deux histoires en parallèle mais qui se rejoignent sur le fil de l’amour en temps de guerre. Guerres éloignées, guerres à nos portes, guerres d’hier, guerres d’aujourd’hui. Responsables de destins brisés, de rêves envolés, de corps mutilés, de ruines parsemées tant dans les paysages que dans les esprits mais où s’affirme le courage de l’humanité dans la déshumanité.
La journaliste – et désormais romancière – Sarah Briand signe un récit d’une émotion extrême ayant choisi de dessiner chaque mot avec une encre sensible et une plume pudique. Le tout dans cette délicatesse bienveillante qui l’avait caractérisée lors de la parution de ses précédentes biographies consacrés à Simone Veil et Romy Schneider. Raconter en y mettant toute son âme pour faire scintiller les étoiles des disparus et envoyer une onde lumineuse à ce qui est vivant.
Hommage à ceux qui résistent aux forces destructrices, hommage à ceux qui luttent pour sauver leur nation – ou celles des autres – hommage à ceux qui risquent leur vie pour soulager l’existence d’inconnus. Sans oublier cette ode à l’amour qui n’a pas de pays, n’a pas de frontière ; la passion amoureuse n’a qu'une noble conquête : celle d’atteindre les cœurs quoi qu’il arrive et faire battre les pulsions de vie. Sarah Briand l’exprime à merveille dans cette littérature qu’elle sait si bien habiller de belles lettres baignées de noblesse humaine.
« Salomé se tait, l’horloge indique 19H57. Dans une minute à peine, le générique sera lancé depuis la régie, sa musique envahira le plateau pour s’introduire dans chaque foyer, tous prêts à entendre le murmure du monde. Certains l’écoutent religieusement, installés dans leur canapé, d’autres s’en servent comme compagnon de leur solitude, d’autres encore comme bruit de fond du repas familial et font silence lorsque les images indiquent un événement à ne pas manquer. Soit parce qu’il s’est passé tout près de chez eux, soit au contraire parce qu’il augure des soubresauts du monde et chacun sait, à l’heure de la mondialisation, qu’un battement d’aile de papillon en Asie peut avoir des répercussions sur le quotidien d’un habitant de la Creuse ».
« Pourquoi est-ce si difficile de conserver dans son emploi du temps les petits moments que l’on sait pourtant essentiels, les moments doux, les moments secrets, les moments où l’on décide de ne rien faire jute pour le plaisir de goûter au silence, de boire un thé, d’écouter un morceau de musique, de prendre un bain, de marcher dans les feuilles mortes, de danser ou encore de cuisiner. Il est si facile de se laisser détourner. Il y a toujours une bonne excuse pour les reporter. Voire les occulter. Ne pas se laisser happer par la course du quotidien demande de la force, du courage aussi. C’est savoir dire non. Et à soi d’abord ».
« L’attente est interminable. L’attente, c’est le silence des armes avant la violence des combats dans les plaines venteuses de l’est de la France, c’est le mutisme de Blanche en attendant ses lettres, c’est le temps ralenti dans cet espace où le corps est enfermé, mais c’est aussi l’espoir de s’évader par l’esprit. Et c’est l’espoir d’avoir été entendu par le commandant du camp ».
Les pépins de grenade – Sarah Briand – Editions Fayard – Avril 2022
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