vendredi 8 avril 2022

 

Une noisette, un livre
 
Mes révoltes
Jean-Marie Rouart

 


Même si le mot roman apparait en couverture du nouvel opus de l’académicien tout porte vers un recueil de souvenirs – comme d’ailleurs l’écrivain le souligne en début d’ouvrage – et ce, dans un style littéraire à souhait. Et puis, chaque vie n’est-elle pas un roman…

Si d’aucuns jugent encore Jean-Marie Rouart comme un bourgeois d’allure lisse déambulant dans les couloirs de la tradition et du conservatisme, qu’ils lisent ces « révoltes » pour se faire une toute autre opinion. Pour ma part – même si non évoqué dans l’ouvrage – j’ai toujours eu de la gratitude pour ce personnage d’avoir eu la sagacité de remarquer Karine Tuil pour la qualité de son écriture et de sa pertinence à décortiquer la société.

Des embruns marins aux effluves d’un journal, des injustices de la justice aux destructions humaines, des difficultés scolaires à la réception académique, le parcours de l’écrivain est prodigieux et inclassable, mêlant échecs et réussites – progressivement plus nombreuses – avec un socle indestructible qui a été sa marmite de potion de magique : les belles lettres. Avant toute chose.

Si le corps humain est composé à 65% d’eau, point d’élucubrations que de soupçonner celui de l’auteur d’être agrémenté d’huile et de gouache vu le trempage génétique : Augustion Rouart était son père, Ernest Rouart son grand-père qui épousa Julie Manet fille de Berthe Morisot et Eugène Manet, et Henri Rouart son arrière-grand père et grand ami d’Edgar Degas. Seulement, les artistes ne sont pas toujours de brillants négociants et dans la famille on tirait plutôt le diable par la queue ; sans quelques généreux alliés le sieur Rouart aurait côtoyé moult impasses supplémentaires. De cette généalogie, le plus acrobatique était de ce faire un prénom. Mission réussie.

De ses débuts de romancier – acrobatiques – à ses fonctions au quotidien Le Figaro – certaines descriptions valent leur pesant de noisettes – Jean-Marie Rouart égrène une histoire française à la fois littéraire et journalistique. Mais ce qui reste néanmoins le plus marquant est sa prise de position pour défendre Omar Raddad – les pages consacrées à l’instruction sont implacables – et ses enquêtes sur la prostitution et les compagnies pétrolières, enquêtes criantes de vérité et, hélas, résonnant de contemporanéité.

Plume remarquable pour révoltes louables.

« Serrant les poings du désir de dominer ma vie, je fis le serment de ne pas me laisser imposer la loi de la réalité qui toujours du côté des puissants écrase les faibles, détruit non leur vie mais tout ce qui la rend douce, humaine.

Je me promis de ne plus subir la dictature du malheur. Là, dans mon impuissance face à cette ruine, est peut-être l’explication de ce que je suis. L’origine de ma mélancolie dans cette promesse de bonheur à jamais détruite. Et détruite pour rien. Par ce hasard imbécile de la guerre qui ne choisit pas ses cibles lorsqu’il s’agit des civils, cette quantité négligeable qu’on sacrifie sans scrupule. Là, aussi, ce sentiment qui m’étreignit dés mon plus jeune âge, à peine cinq ans, que cette adversité si amère, loin de me nuire, m’obligerait, à la manière des plantes dans une terre aride, à plonger mes racines plus profondément pour survivre.

Devant ce tas de pierres, c’est vrai, j’éprouvai ma première révolte. Et l’impatience de lui donner un jour une issue. Pourquoi mon père ne s’était-il pas attelé à la tâche de relever cette maison ? Pourquoi avait-il baissé les bras face à l’adversité, acceptant avec fatalisme son verdict ? Sans doute jugeait-il dans sa sagesse d’artiste qu’il valait mieux faire son deuil de ce bien matériel, que sa vraie vie était ailleurs. Cette maison, il me semble que c’est elle que je n’ai jamais cessé de reconstruire ».

« Magie de la littérature, elle créait un lien entre les générations, apaisait les oppositions, donnait un horizon aussi bien à ceux qui allaient mourir qu’à ceux dont elle serait la raison de vivre ».

Mes révoltes – Jean-Marie Rouart – Editions Gallimard – Mars 2022


Exposition Augustion Rouart "La peinture en héritage" au Petit Palais en 2021à l'occasion de la donation d'une dizaine d'œuvre issues de la famille Rouart, grâce à la généroisté de Jean-Marie Rouart


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