mercredi 28 août 2019


Une noisette, un livre


 A crier dans les ruines

Alexandra Koszelyk




Avril 1986. Un Vésuve nucléaire fait irruption dans l’air ukrainien, Pipriat devient le Pompéi du XX° siècle mais par la main de l’homme : la centrale de Tchernobyl a explosé. Quelques mètres plus loin, dans une forêt, le destin de deux adolescents, Léna et Ivan,  va basculer, leur fusion va devenir fission. La famille de Léna décide de partir en Europe de l’Ouest, en France précisément, celle d’Ivan va rester sur les lieux de la catastrophe. De part et d’autre, ils vont crier dans les ruines, dans ce Plutonium contemporain, comme si le dieu des enfers avait ouvert les portes pour un crépuscule des âmes ; ils vont crier dans les ruines et cracher sur ce qu'ils avaient aimé tous deux...

Léna va grandir loin d’Ivan, dans une famille qui rejette ses racines, puis étudier, travailler. Elle cherche à oublier et l'on pense aux vers d’Alphonse Allais qui se calquent à la perfection face au drame de l’exil :

« Partir c’est mourir un peu
C’est mourir à ce qu’on aime
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu »

Alors Léna, vingt ans plus tard décide de retourner sur les lieux de son enfance pour tenter de renouer avec le passé et retrouver Ivan. De son côté, Ivan n’a cessé de penser à son amour de jeunesse, lui a écrit des lettres conservées dans une boîte… Est-ce que ces deux atomes vont pouvoir redevenir un seul noyau ?

Alexandra Koszelyk signe un premier absolument flamboyant, une rencontre totale entre le lecteur et l’auteur rendue possible par une plume qui manie l’allégresse de la verve et jongle avec différents sujets qui peuvent sembler éloignés et, pourtant, ne vont en former qu’un.

Ce sont tour à tour, une description de l’explosion nucléaire rarement écrite avec de tels mots, une ode à la nature et à l’écologie, une réflexion ouverte sur la folie technologique, les tourments de l’exil et enfin l’amour, cet amour contre vents et marées. S’ajoutent une richesse du verbe et les maintes références à la mythologie, pas seulement grecque et romaine mais également celte.

Epopée romanesque où une ville ukrainienne va devenir une nouvelle Ithaque pour un roman qui dessine les errances humaines, le tragique mais aussi le rêve. Sans oublier l’espoir qui trace son destin face au danger et à la mort.

« Le chemin se ramifie dans trois directions. Les dix étrangers découvrent une steppe urbaine. Des fenêtres sans vitres, des portes arrachées et des blocs de béton, tombés des immeubles, se sont amoncelés au fil du temps. Des branches les traversent et les enlacent ».

« L’Ukraine était encore une fois au centre de l’histoire européenne. A chaque génération une nouvelle tare, une nouvelle mutilation apposée. Dans les années 30, la famine appelée « Holodomor » avait laissé une population défaite, des millions de morts silencieux, puis était venu le démantèlement du pays au début de la Seconde Guerre mondiale. Sans parler non plus de la Ruthénie, désintégrée au XIV° siècle sous l’influence mongole. Il est des terres où des hommes sont plus enclins à voir le destin s’acharner ».

« Le roman répondait à des questions laissées en suspens, une brèche s’ouvrait. Les livres n’étaient pas seulement des outils pour apprendre le français ou pour s’évader : ils comblaient cette absence qui la dévorait et étaient un pont de papier entre les rives de ses deux vies. La lueur d’une bougie blèche au fond d’une caverne ».

« Les arbres ne se touchent pas. Ils se regardent de loin, mais ils gardent leur distance. Ce n’est pas de la méfiance, mais du respect. La nature sait ce qui doit être. Les feuilles ne s’étouffent pas entre elles, tout le monde a sa place, de façon harmonieuse. Ni domination, ni soumission. La nature enseigne tout à celui qui la regarde vraiment ».

A crier dans les ruines – Alexandra Koszelyk – Editions Aux forges de vulcain – Août 2019

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