Une noisette, un livre
J’apprends le français
Marie-France Etchegoin
« J’apprends
le français » ou comment apprendre à connaitre l’autre, les autres, apprendre
à partager, apprendre à comprendre, apprendre à s’engager. Ils viennent de
partout et ont la sensation d’être nulle part. Ils ont une langue vernaculaire,
la plupart ont de bonnes notions en anglais, certains sont même polyglottes,
mais maitrisent peu ou pas du tout le français. Ils s’appellent Abdullah,
Aldon, Ibrahim, Mohamed, Salomon, Mounir, Suleyman, ensemble et pourtant tous
sont isolés dans ce centre d’hébergement d’urgence pour les réfugiés masculins
dans le XIX° arrondissement de Paris.
La
journaliste Marie-France Etchegoin raconte leurs histoires. Elle les côtoie
parce qu’elle est bénévole dans ce centre pour apprendre aux migrants la langue
de Molière, de Proust, de Baudelaire, de Sand ; étape indispensable pour
permettre à ces errants de la vie de pouvoir tenter leur chance d’un avenir
meilleur. Par la connaissance de la langue et ses subtilités, ils pourront
mieux expliquer leur exil forcé, ils pourront espérer un travail, seule la
communication entre les peuples permet l’intégration et l’entente les uns
envers les autres.
Malgré
le terrible thème, je dirai que ce livre est beau. Un témoignage salutaire où
Marie-France Etchegoin explique simplement, sans fioritures, sans angélisme,
son travail de bénévole, comment elle donne ses cours entre quelques
hésitations d’ordre culturel (car elle a le souci permanent de prendre soin de
ne blesser personne) et beaucoup d’espoir, de convictions. Offrir un peu de son
temps, palier au manque des autorités pour redonner le goût de vivre et d’entreprendre
à des êtres humains qui ont tout, mais absolument tout perdu. Au fur et à
mesure, ils dévoilent à leur professeure leurs parcours, ce qu’ils ont
abandonné, ce qu’ils ont subi, de l’humiliation à la torture. Certains se confient
plus rapidement, d’autres avec difficulté, mais toujours avec pudeur.
Lire
cet ouvrage vous permettra en quelques centaines de pages de vous rendre compte
concrètement de la situation au Soudan, au Darfour, en Afghanistan (à l’heure
où j’écris ces lignes, un attentat dans un centre électoral Kaboul fait plus de
30 morts et 50 blessés), en Erythrée. J’ajoute même, ce qui est rare, une
mention spéciale. Pour saluer le courage de l’auteure en dénonçant l’hypocrisie
des dirigeants, des hauts dirigeants, qui promettent mais ne font rien ou le
contraire de leurs promesses et, qui s’associent avec des dictateurs pour
soi-disant une bonne cause…
Par
le ton direct employé, on perçoit très clairement la stricte réalité de la
condition des migrants, ce parcours du combattant nécessaire pour obtenir un
statut, les 1001 obstacles administratifs pour limiter l’accueil et donc l’insertion,
par exemple, celui de cette interdiction de travailler tant qu’il n’y a pas de
régularisation de papiers (alors que d’autres pays européens n’ont pas voté une
telle loi absurde), le labyrinthe des acronymes...
On
découvre également certains mots, oui, des mots créés spécifiquement pour les
migrants, celui de « dubliné » néologisme suite aux accords de Dublin
et toutes les aberrations pour empêcher ces humains de retrouver le sourire (qu’ils
gardent d’ailleurs malgré tout).
Des
chapitres courts, de l’humour, car c’est la politesse du désespoir mais
peut-être aussi de l’espoir, des portraits touchants, c’est un document que je
recommande aussi bien à ceux qui ne doutent pas de l’humanité à apporter aux
naufragés de la vie, mais aussi à ceux qui doutent ou refusent de tendre la
main. Marie-France Etchegoin, tel un funambule des mots livre un témoignage
exemplaire sur ces équilibristes de la vie, de la survie et, qui, hélas,
risquent de devenir de plus en plus nombreux. La solidarité ne sera jamais un
vain vocable…
J’apprends le français –
Marie-France Etchegoin – Editions Jean-Claude Lattès – Mars 2018
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