Une noisette, un livre
Sales guerres
De prof de philo à grand
reporter
Laura-Maï Gaveriaux
A
l’esprit belliqueux, on a envie de déclamer les paroles de Zeus
« Je te hais plus qu’aucun des dieux vivants
sur l’Olympe
Car tu ne rêves que
discordes, guerres et combats ».
Vers
adressés à Arès, dieu de la guerre, de la brutalité, de la destruction, sa soif
de batailles, de vengeances, en fait un dieu des larmes… L’histoire et même la
mythologie ne sont que réalité.
Pourtant,
il y a des guerres plus ou moins médiatisées, des guerres parfois pratiquement
occultées, comme si l’horreur devait être graduée sur une échelle du ressenti…
ou de l’audience… Heureusement, il existe des personnes intrépides qui veulent
absolument rendre compte de la réalité, ce sont ces courageux journalistes
« tout terrain » qui, parfois, au péril de leur vie, relatent,
interrogent et apportent les témoignages des populations que l’on veut étouffer
dans le silence.
La
jeune journaliste Laura-Maï Gaveriaux fait partie de cette race des seigneurs.
Diplômée de philosophie, enseignante, elle décide un jour d’abandonner le
professorat et de partir sur les zones de conflit pour relater ce que personne
ne veut voir, elle veut ouvrir des fenêtres sur les murs des portes fermées.
Elle
part seule avec pour bagage quelques affaires indispensables (dont des
livres) et une sacrée dose de courage, mais ne cesse de répéter dans son
ouvrage, qu’être une femme est un atout dans les situations périlleuses…
Le
livre est consacré à la Turquie, à ses dérives totalitaires, à son putsch de
juillet 2016, et surtout, à cette guerre oubliée dans cette partie du Kurdistan
où pourtant chaque jour des gens sont massacrés ou torturés parce
qu’appartenant à une minorité. Les paragraphes consacrés à la descente eux
enfers dans les villes de Cizre et Silopi sont effrayants. Un long reportage a d’ailleurs été
écrit par la journaliste pour Le Monde Diplomatique et il est à retrouver ici. Ces
cités d’Anatolie qui sont des nouvelles Tolède, des nouvelles guerres
d’Espagne, fratricides, idéologiques…
A
côté des chapitres consacrés à ses pérégrinations journalistiques, Laura-Maï
Gaveriaux se raconte un peu, brièvement, mais ce qui permet d’en savoir plus
sur ces débuts dans la profession, sur sa conception de l’information, sur ses
techniques pour éviter la peur, la panique. Le tout avec une plume vive,
directe, concrète, sans états d’âme, seul le souci de diffuser ce qu’elle voit
la préoccupe. Tout en prenant un peu de bon temps (et nous aussi à la lire) à
Istanbul, entre un verre de vin et des sonorités jazzy. J’y retrouve beaucoup
de « Rapporteur de guerre » de Patrick Chauvel.
De
nombreux références et explications permettent de mieux comprendre encore les
dessous des imbroglios bellicistes et de replonger dans des faits que l’on
pourrait délaisser, comme les guerres du Liban (1975 – 1990) ou le carnage du
gazage de Halabja.
Un
témoignage remarquable de cette jeune femme qui veut montrer l’ineptie de ces
« guerres multinationales » et qui brave les dangers en solitaire
mais comme le dit un proverbe kurde « la
solitude est le nid des pensées ».
Une
existence choisie parce que « la liberté est un vertige et qu’il faut
savoir aimer son vertige ». Sales guerres – Laura-Maï Gaveriaux – Editions de l’Observatoire – Mars 2018