Une noisette, une interview
Graziella Nardini
"J’ai acquis la force de me battre dès mon plus jeune âge"
Myopathie.
Diabète. Cancer
Assistance
respiratoire. Invalidité à 100%C’est le chemin de vie d’une femme, celui de Graziella Nardini. Derrière chaque souffrance, elle a un rêve, celui de voyager. Comme aurait dit Antoine de Saint-Exupéry, "le voyage n’est pas parcourir le désert, de grandes distances, c’est de parvenir en un point exceptionnel où la saveur de l’instant baigne tous les contours de la vie intérieure". Mais pour que cette baignade de l’esprit se réalise, il faut à Graziella, un camping-car aménagé. Et des aides.
1 –
Graziella, il est difficile et délicat de résumer votre parcours.
Mais vous, pouvez-vous nous dire qu’elle est votre existence à
bientôt 57 ans ?
Aujourd'hui mon seul objectif est
de profiter de chaque moment que la rémission me permet de déguster.
Je savoure les heures, les minutes qui défilent, chaque seconde est
précieuse lorsqu'on vit avec une épée de Damoclès au dessus de sa
tête en permanence. Le temps passe tellement vite que j'en ai
raccourci mes heures de sommeil. Tous les 6 mois je dois subir un
scanner de contrôle pour surveiller mon cancer. Dans le mois qui
précède cet examen, une terrible angoisse commence à m'envahir
d'images des terribles moments vécus lors de la découverte de ce
cancer fin 2012. Cette angoisse atteint des sommets lorsque mon
cancérologue me fait entrer dans son cabinet pour consulter les
clichés du scanner, et là, je guette la moindre expression de son
visage en attendant le résultat. Le dernier scanner date de
septembre 2015. Je suis en sursis pour le moment, mais pour combien
de temps.... Je dois aussi gérer la trachéotomie quotidiennement,
car de temps en temps le petit tuyau de 8mm, implanté dans ma
trachée, se bouche, ce qui a pour conséquence de m'empêcher de
respirer, et si je n'ai pas quelqu'un près de moi qui intervient
immédiatement, avec un appareil médical adapté à cette
pathologie, je meurs par étouffement.
Une journée type commence à 8h
par l'arrivée de l'infirmière qui me fait les soins pour le
diabète, la trachéotomie et l'anticoagulant. Puis on enchaîne
avec les aides-soignantes qui viennent faire ma toilette et me
lever. Arrive ensuite la kiné et enfin, je peux me poser un peu
avant le déjeuner. Mes journées sont intenses et souvent on me dit
: "mais comment tu fais pour être en forme comme ça !".
2 – Quelles sont les personnes qui vous permettent de continuer votre combat ?
Dans
ma vie, j'ai eu l'immense chance de rencontrer deux personnes
formidables, sans lesquelles j'aurais été placée dans une
structure médicalisée.
En effet, mon père
est décédé en 1975 d'un infarctus, ma mère étant elle-même
myopathe est décédée de cette maladie en 2001 et mon frère lui
aussi étant myopathe, le reste de la famille dans ces cas là,
abandonne le navire. Que ce soit les oncles, les tantes etc....2 – Quelles sont les personnes qui vous permettent de continuer votre combat ?
J'ai rencontré mon amie Leila,
qui était aide-soignante à l'époque, il y a 34 ans. Elle m'a
permis de réaliser un de mes rêves : vivre dans le sud près de la
mer. Elle a fait construire une maison, dont elle m'a donné,
pour la réalisation du plan, entièrement carte blanche. Leila est
tombée gravement malade et en 1992, le hasard m'a permis de
rencontrer son amie et compagne Monique, qui à l'époque était
chauffeur de bus à Paris. Elle a tout quitté pour s'occuper de moi
24h/24h. Sans ces deux personnes, qui m'offrent une qualité de vie
aujourd'hui inégalée, je ne serais sûrement plus de ce monde.
3 – Comment faites-vous pour ne pas sombrer, quelle est cette force intérieure qui vous parle quotidiennement ? Une volonté plus forte que tout ?
Je crois que cette force de me
battre, le l'ai acquise dès
mon plus jeune âge. Avant d'être en fauteuil roulant, j'ai marché
un peu, avec d'énormes difficultés à monter et descendre les
marches, me relever, m'asseoir, je tombais souvent, ma démarche
était claudicante avec une allure extrêmement cambrée et très
tôt, j'ai été confrontée au regard des autres, à la moquerie
des enfants à l'école, aux réflexions des parents qui disaient à
leurs gamins : "ne t'approche pas d'elle, tu vas attraper sa
maladie ». Je n'en parlais à personne. Toutes ces épreuves
vous amènent à vous forger une carapace blindée à toutes
informations négatives.
4 –
Lorsque les sens sont touchés par le handicap, quel est celui qui
reste pour donner l’envie de vivre ?
L'amour
de mes proches, mes deux petites caniches qui me donnent tant de
bonheur, assister à de magnifiques couchers de soleil face à la
mer, sentir l'odeur des pins l'été, écouter le chant des cigales,
des choses toutes simples que l'on ressent quand la vie vous rappelle
sans cesse, que chaque instant de notre existence est si
précieux.
L'amitié est quelque chose de
très important pour moi. J'aime recevoir des amis et faire en sorte
de passer de très bons moments avec eux et qu'ils se sentent bien,
partager un bon petit repas, des discussions tardives jusqu'au bout
de la nuit, mais ce qui me motive par-dessus tout, c'est cette envie
d'accomplir un tour du monde en camping-car. Pendant ces longs mois
passés à l'hôpital, je m'évadais en pensant à ces voyages.
5 –
Votre cas est exceptionnel en nombre d’entraves. Quel est le
message que vous pouvez apporter aux personnes rencontrant des
situations de grande détresse ?Encore une fois, l'entourage est un facteur déterminant lorsque l'on est confronté à une situation extrême qui nous touche dans notre corps, dans notre âme et dans la vie tout simplement.
Je ne vais pas vous
mentir en vous disant que je ne suis pas passée par des moments de
doutes, de désespoir ou toutes autres pensées sombres. Mais
l'envie de vivre, de m'accrocher même à 0 chance de m'en sortir a
été plus forte que tout. Sur 7 anesthésistes, les 7 étaient
contre l'opération, les médecins me déconseillaient fortement
cette intervention car ils n'avaient aucune référence sur mon cas.
Et finalement j'ai subi trois chirurgies en six mois et je suis
toujours là. Moralité, tant que l'on est en vie, il faut n'écouter
que son instinct, se battre, pour soi, pour tous ceux que l'on aime
et y croire jusqu'au bout. Je suis un peu comme Saint-Thomas : "je
ne crois que ce que je vois" lol ! Et preuve en est, si j'avais
écouté ceux qui me préconisaient de ne rien faire et attendre que
le cancer me ronge à petit feu, je ne serais plus de ce monde.
J'ai joué
ma vie
à pile ou face !
6 – Et
comment réagissez-vous face à celles et ceux qui se lamentent à la
moindre petite défaillance ?
Vous
savez, dans un premier temps je me dis : "si tu étais passé
par où je suis passée....." et puis finalement je pense que
les personnes qui ne sont pas confrontées à ces événements ne
peuvent pas réagir de la même façon, ni même imaginer le calvaire
que l'on vit au quotidien. La souffrance morale est souvent bien plus
néfaste que la douleur physique. La douleur, j'ai appris à vivre
avec depuis mon plus jeune âge, je la côtoie tous les jours, donc
je m'y suis habituée. Si je devais vous énumérer la liste de mes
maux ou de mes frayeurs journalières, la vie serait impossible pour
moi.
7 –
Vous avez un rêve, celui de voyager. Pour découvrir, partager. Mais
la seule possibilité que vous ayez est de vous déplacer en
camping-car aménagé. Comment peut-il devenir réalité ?
J'ai
besoin d'un véhicule sur mesure, qui soit adapté et fonctionnel
pour transporter tout mon matériel médical et me déplacer dans
tous les pays en parfaite autonomie. Pour cela j'ai créé une
cagnotte sur ce lienIl est bien évident que ce projet à un coût : environ 60.000€ pour ce camping-car. Donc chacun peut verser ne serait-ce qu'un euro ! C'est entièrement anonyme et sécurisé.
8 -
Enfin, pour mieux vous connaître, le traditionnel questionnaire...
- Un roman : Pour l’amour, de Marie Salat
- Un personnage : Paul Watson
- Un(e) écrivain(e) : Régine Desforges
- Une musique : Bagdad Café
- Un film : Beignets de tomates vertes, de Jon Avnet
- Une peinture : Le pont d’Argenteuil, de Monet
- Une photographie : Kim, la jeune vietnamienne fuyant le napalm
- Un animal : Le dauphin
- Un dessert : L’île flottante
- Une devise/une citation : quand on veut, on peut
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