Souvenirs d'un médecin d'autrefois

mardi 12 janvier 2016


Une noisette, une interview

 
 

Graziella Nardini

"J’ai acquis la force de me battre dès mon plus jeune âge"



Myopathie. Diabète. Cancer
Assistance respiratoire. Invalidité à 100%
C’est le chemin de vie d’une femme, celui de Graziella Nardini. Derrière chaque souffrance, elle a un rêve, celui de voyager. Comme aurait dit Antoine de Saint-Exupéry, "le voyage n’est pas parcourir le désert, de grandes distances, c’est de parvenir en un point exceptionnel où la saveur de l’instant baigne tous les contours de la vie intérieure". Mais pour que cette baignade de l’esprit se réalise, il faut à Graziella, un camping-car aménagé. Et des aides.



1 – Graziella, il est difficile et délicat de résumer votre parcours. Mais vous, pouvez-vous nous dire qu’elle est votre existence à bientôt 57 ans ?
Aujourd'hui mon seul objectif est de profiter de chaque moment que la rémission me permet de déguster. Je savoure les heures, les minutes qui défilent, chaque seconde est précieuse lorsqu'on vit avec une épée de Damoclès au dessus de sa tête en permanence. Le temps passe tellement vite que j'en ai raccourci mes heures de sommeil. Tous les 6 mois je dois subir un scanner de contrôle pour surveiller mon cancer. Dans le mois qui précède cet examen, une terrible angoisse commence à m'envahir d'images des terribles moments vécus lors de la découverte de ce cancer fin 2012. Cette angoisse atteint des sommets lorsque mon cancérologue me fait entrer dans son cabinet pour consulter les clichés du scanner, et là, je guette la moindre expression de son visage en attendant le résultat. Le dernier scanner date de septembre 2015. Je suis en sursis pour le moment, mais pour combien de temps.... Je dois aussi gérer la trachéotomie quotidiennement, car de temps en temps le petit tuyau de 8mm, implanté dans ma trachée, se bouche, ce qui a pour conséquence de m'empêcher de respirer, et si je n'ai pas quelqu'un près de moi qui intervient immédiatement, avec un appareil médical adapté à cette pathologie, je meurs par étouffement.

Une journée type commence à 8h par l'arrivée de l'infirmière qui me fait les soins pour le diabète, la trachéotomie et l'anticoagulant. Puis on enchaîne avec les aides-soignantes qui viennent faire ma toilette et me lever. Arrive ensuite la kiné et enfin, je peux me poser un peu avant le déjeuner. Mes journées sont intenses et souvent on me dit : "mais comment tu fais pour être en forme comme ça !".

2 – Quelles sont les personnes qui vous permettent de continuer votre combat ?
Dans ma vie, j'ai eu l'immense chance de rencontrer deux personnes formidables, sans lesquelles j'aurais été placée dans une structure médicalisée. En effet, mon père est décédé en 1975 d'un infarctus, ma mère étant elle-même myopathe est décédée de cette maladie en 2001 et mon frère lui aussi étant myopathe, le reste de la famille dans ces cas là, abandonne le navire. Que ce soit les oncles, les tantes etc....

J'ai rencontré mon amie Leila, qui était aide-soignante à l'époque, il y a 34 ans. Elle m'a permis de réaliser un de mes rêves : vivre dans le sud près de la mer. Elle a fait construire une maison, dont elle m'a donné,  pour la réalisation du plan, entièrement carte blanche. Leila est tombée gravement malade et en 1992, le hasard m'a permis de rencontrer son amie et compagne Monique, qui à l'époque était chauffeur de bus à Paris. Elle a tout quitté pour s'occuper de moi 24h/24h. Sans ces deux personnes, qui m'offrent une qualité de vie aujourd'hui inégalée, je ne serais sûrement plus de ce monde. 


3 – Comment faites-vous pour ne pas sombrer, quelle est cette force intérieure qui vous parle quotidiennement ? Une volonté plus forte que tout ?
Une de mes nombreuses passions est la musique. Je compose beaucoup sur mon ordinateur avec un logiciel dédié. Je fais aussi des montages vidéos, de la retouche photo, on peut faire tellement de choses avec un ordinateur, Sinon, j'adore sortir, aller au cinéma, me promener au bord de la mer. Bref, j'ai beaucoup de mal à rester en place. Cela m'évite de penser, d'avoir des idées noires et de m'apitoyer sur mon sort. Sinon c'est invivable comme situation, je dois impérativement occulter cette idée, qu'à tout moment je peux disparaître.

Je crois que cette force de me battre, le l'ai acquise dès mon plus jeune âge. Avant d'être en fauteuil roulant, j'ai marché un peu, avec d'énormes difficultés à monter et descendre les marches, me relever, m'asseoir, je tombais souvent, ma démarche était claudicante avec une allure extrêmement cambrée et très tôt, j'ai été confrontée au regard des autres, à la moquerie des enfants à l'école, aux réflexions des parents qui disaient à leurs gamins : "ne t'approche pas d'elle, tu vas attraper sa maladie ». Je n'en parlais à personne. Toutes ces épreuves vous amènent à vous forger une carapace blindée à toutes informations négatives.

4 – Lorsque les sens sont touchés par le handicap, quel est celui qui reste pour donner l’envie de vivre ?
L'amour de mes proches, mes deux petites caniches qui me donnent tant de bonheur, assister à de magnifiques couchers de soleil face à la mer, sentir l'odeur des pins l'été, écouter le chant des cigales, des choses toutes simples que l'on ressent quand la vie vous rappelle sans cesse, que chaque instant de notre existence est si précieux. 

L'amitié est quelque chose de très important pour moi. J'aime recevoir des amis et faire en sorte de passer de très bons moments avec eux et qu'ils se sentent bien, partager un bon petit repas, des discussions tardives jusqu'au bout de la nuit, mais ce qui me motive par-dessus tout, c'est cette envie d'accomplir un tour du monde en camping-car. Pendant ces longs mois passés à l'hôpital, je m'évadais en pensant à ces voyages.

5 – Votre cas est exceptionnel en nombre d’entraves. Quel est le message que vous pouvez apporter aux personnes rencontrant des situations de grande détresse ?
Encore une fois, l'entourage est un facteur déterminant lorsque l'on est confronté à une situation extrême qui nous touche dans notre corps, dans notre âme et dans la vie tout simplement.

Je ne vais pas vous mentir en vous disant que je ne suis pas passée par des moments de doutes, de désespoir ou toutes autres pensées sombres. Mais l'envie de vivre, de m'accrocher même à 0 chance de m'en sortir a été plus forte que tout. Sur 7 anesthésistes, les 7 étaient contre l'opération, les médecins me déconseillaient fortement cette intervention car ils n'avaient aucune référence sur mon cas. Et finalement j'ai subi trois chirurgies en six mois et je suis toujours là. Moralité, tant que l'on est en vie, il faut n'écouter que son instinct, se battre, pour soi, pour tous ceux que l'on aime et y croire jusqu'au bout. Je suis un peu comme Saint-Thomas : "je ne crois que ce que je vois" lol ! Et preuve en est, si j'avais écouté ceux qui me préconisaient de ne rien faire et attendre que le cancer me ronge à petit feu, je ne serais plus de ce monde. J'ai joué ma vie à pile ou face !

6 – Et comment réagissez-vous face à celles et ceux qui se lamentent à la moindre petite défaillance ?
Vous savez, dans un premier temps je me dis : "si tu étais passé par où je suis passée....." et puis finalement je pense que les personnes qui ne sont pas confrontées à ces événements ne peuvent pas réagir de la même façon, ni même imaginer le calvaire que l'on vit au quotidien. La souffrance morale est souvent bien plus néfaste que la douleur physique. La douleur, j'ai appris à vivre avec depuis mon plus jeune âge, je la côtoie tous les jours, donc je m'y suis habituée. Si je devais vous énumérer la liste de mes maux ou de mes frayeurs journalières, la vie serait impossible pour moi.

7 – Vous avez un rêve, celui de voyager. Pour découvrir, partager. Mais la seule possibilité que vous ayez est de vous déplacer en camping-car aménagé. Comment peut-il devenir réalité ?
J'ai besoin d'un véhicule sur mesure, qui soit adapté et fonctionnel pour transporter tout mon matériel médical et me déplacer dans tous les pays en parfaite autonomie. Pour cela j'ai créé une cagnotte sur ce lien

Il est bien évident que ce projet à un coût : environ 60.000€ pour ce camping-car. Donc chacun peut verser ne serait-ce qu'un euro ! C'est entièrement anonyme et sécurisé.

8 - Enfin, pour mieux vous connaître, le traditionnel questionnaire...

  • Un roman : Pour l’amour, de Marie Salat
  • Un personnage : Paul Watson
  • Un(e) écrivain(e) : Régine Desforges
  • Une musique : Bagdad Café
  • Un film : Beignets de tomates vertes, de Jon Avnet
  • Une peinture : Le pont d’Argenteuil, de Monet
  • Une photographie : Kim, la jeune vietnamienne fuyant le napalm
  • Un animal : Le dauphin
  • Un dessert : L’île flottante
  • Une devise/une citation : quand on veut, on peut






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