Une noisette, un programme
Infrarouge, la fièvre documentaire du mardi soir
1 – Pourquoi le nom d’Infrarouge ? Pour que des ondes cathodiques nocturnes permettent à des documentaires de rayonner visiblement ?
On a choisi Infrarouge parce qu’avant tout, le rouge est la couleur de France 2. Et parce que l’infrarouge nous permet de voir au-delà du spectre lumineux que l’œil capte en temps normal.
On a voulu affirmer aussi que le documentaire voit différemment le réel, ou plutôt, il tente de restituer une partie moins visible de ses manifestations, une part abandonnée par les gros titres, une part en dehors des radars, au-delà et en deçà de notre champ de vision habituel.
Notre case, c’est notre rendez-vous en somme et c’est avant tout de la télé, un média de masse, c'est sur une chaîne de télévision, à un moment donné. Tout le monde n’est pas utilisateur de ce qu’on trouve en délinéarisé, et l’on se doit de penser à tous les publics. On est persuadés par ailleurs qu’il restera encore et toujours le désir de se réunir autour d’un programme. Les conversations qu’on engage sur Twitter pendant les diffusions nous confortent dans cette analyse.
Toutefois,
on
est
ravis
effectivement
de
pouvoir
faire
exploser
la
linéarité,
et
de
permettre
de
prolonger
notre
rendez-vous !
Nous
croyons
aux
pouvoirs
extraordinaires
du
documentaire.
Le
premier
d'entre
eux :
une
incroyable
longévité.
Les
films
peuvent
vivre
bien
longtemps
après
leur
diffusion.
La sélection se déroule en fonction de notre ligne éditoriale, qui est une marque de fabrique et espérons-le un repère pour les téléspectateurs. Cette ligne que nous avons bâtie avec la direction de l’antenne de France 2 s’attache à parler principalement des fêlures de la société française et de l’histoire récente qui dérange, et qui explique notre société contemporaine.
Bien sûr il y a aussi des coups de cœur comme Chante Ton Bac d'Abord.
Mais c’est aussi bien entendu une recherche. Nous avons un besoin fondamental de récit. La fiction remplit ce rôle, le théâtre remplit ce rôle, la musique remplit ce rôle, le documentaire remplit également ce rôle, celui de faire le récit de notre monde. Et aujourd’hui, notre pays est fragilisé, lézardé, ne se reconnait plus lui-même. Il nous est donc apparu essentiel de faire un travail de fond, presque de labour, sur la société. Et de tisser inlassablement le récit de notre pays.
Ou pour le dire autrement, il s’agit de faire le récit de notre paysage mental, de nos passions, de notre paysage social, de notre paysage historique : de notre paysage en tant qu’il est sujet à des tensions, à des difficultés. Mais aussi de peindre la vie des gens leurs désirs leurs envies leurs joies leurs émotions. C’est tenter de donner forme à ce qui constitue et que l’on aperçoit de plus en plus mal.
Donc un trois en un pour répondre précisément.
4– Cette case requiert un jeu d’équilibriste particulièrement périlleux car il faut jongler entre une écriture rigoureuse/complexe et, en même temps, amener un public diversifié et le plus large possible ? Peut-on facilement rompre les codes sans déstabiliser le téléspectateur ?
On sait qu’il ne faut pas que le téléspectateur s'interroge sur la nature de ce qu'il regarde.
Quand le téléspectateur est face à sa télévision, il est comme tout le monde : il a besoin d’un minimum de repères. De repères en termes de dramaturgie, d'organisation du récit. Il faut fournir à celui qui regarde les moyens d’avoir une relation forte avec les films, et d’entreprendre un dialogue unique avec les films. Et donc oui, nous avons conscience que parce que tous les films Infrarouge ont des écritures singulières, nous allons déstabiliser le téléspectateur. Il y a donc une contradiction entre la nature de l'œuvre documentaire et ce que la télévision demande naturellement. Mais cette tension est créatrice. C'est même l'enjeu de notre travail. Trouver le juste point de déséquilibre, qui fait l'identité différente de chaque film, mais embarque aussi le spectateur dans un récit plein, aussi inattendu soit-il. Le déséquilibre est la condition naturelle du documentaire. C'est ce qui en fait un objet unique à la télévision.
6
– Le
19
juin
dernier,
nouvelle
étape
dans
le
tour
documentaire
Infrarouge
:
le
franchissement
du
col
YouTube
avec
création
d’une
chaîne.
La
télévision,
n’est
plus
la
seule
lucarne
pour
diffuser
le
film
documentaire
?
Sur
France
2
nous
voulons
croire
que
les
documentaires
que
nous
proposons
au
public
se
doivent
d'exister
dans
le
champ
social,
se
doivent
de
trouver
leur
place
dans
toutes
les
agoras,
doivent
être
discutés,
servir
à
quelque
chose,
être
partagés.
En
un
mot
avoir
un
impact.
A
quoi
servent
ces
films
s’ils
disparaissent
lors
de
leur
diffusion?
À
quoi
servent-ils
s'ils
n'ont
pas
d'impact?
À
rien.
Même
diffusés
sur
la
plus
grande
chaîne
du
service
public,
la
deuxième
chaîne
française,
le
deuxième
mass-média
de
France.
À
rien.
Si
on
ne
transforme
pas
cette
valeur
unique
du
documentaire
en
force
et
si
on
ne
fait
pas
tout
pour
que
le
documentaire
trouve
sa
place
dans
un
monde
mobile,
un
monde
de
mobiles,
de
vidéos,
de
recommandations.
Il
n'y
a
plus
de
fenêtre
unique.
C'est
pour
cela
que
la
case
Infrarouge
se
trouve
aujourd’hui
au
cœur
d’un
éco-système
inédit.
Un
compte
Twitter,
un
Facebook,
le
replay
sur
Pluzz
(et
pourquoi
pas
30
jours ?),
demain
Instagram
peut-être ?
Nous
devons
aller
à
la
rencontre
des
téléspectateurs-usagers-utilisateurs-contributeurs,
c’est
notre
responsabilité.
La
chaîne
Infrarouge,
la
première
du
genre,
est
la
première
pour
une
case
documentaire.
Elle
est
accompagnée
d’une
chaîne
Infracourts
pour
le
concours
de
format
cours
que
nous
avons
lancé
il
y
a
2
ans
et
dont
c’est
bientôt
la
quatrième
édition.
Parce
que
nous
croyons
à
la
pérennité
de
l’offre
documentaire,
à
sa
valeur
patrimoniale,
et
parce
que
nous
croyons
à
un
partage
fort
avec
le
public.
Parce
que
cela
permet
de
protéger
les
films
du
piratage
et
de
les
organiser
en
une
offre
cohérente.
Et
parce
que
cela
permet
de
les
proposer
pendant
un
an
dans
un
espace
éditorial
propre
et
peut-être
de
créer
du
revenu
(tout
petit).
C'est
une
offre
de
programmes
là
où
les
utilisateurs
se
trouvent.
Il
ne
s'agit
pas
de
croire
à
la
fin
de
la
télévision
(ça
ce
sont
des
arguments
de
marketeurs
qui
prennent
leurs
rêves
publicitaires
pour
de
la
réalité),
mais
de
savoir,
et
qu'il
faut
multiplier
les
points,
les
occasions
de
contact
entre
les
téléspectateurs
et
les
documentaires.
Le
documentaire
doit
être
disponible
partout
tout
le
temps,
il
le
peut,
c’est
notre
responsabilité
d’éditeur
de
contenus,
non
plus
seulement
de
diffuseur.
Le
documentaire
c’est
le
temps
long
dit-on,
CQFD.
7 – Sans oublier la programmation en salles, comme pour "Les fils de la terre" ou "Tête haute : 8 mois de bagarre"
Encore une fois, c’est une manière de favoriser la rencontre entre les films et un autre public, celui qui ne croit pas à ce que la télévision pourrait lui proposer. Pour certains, un film à la télévision, n'est pas vraiment un film. La sortie salle, pour eux l'anoblit, comme un "label". C'est évidemment illusoire, mais nous aimons que tous les publics, même ceux qui sont imprégnés par l'idée fausse d'une télévision nécessairement bas de gamme, puissent voir ces beaux films.
8
– Impossible de nommer tous les réalisateurs qui se succèdent au
fil des saisons, mais pouvez-vous tout de même évoquer quelques
signatures ?
Plus
de 150 auteurs ont travaillé sur la case depuis 10 ans! Aussi démago
que ça puisse paraître on les revendique tous. Quant à nos coups
de cœur… ce serait de l'égotisme…Environ 35 sur 40 cases de diffusion.
Le format des plateformes nous passionne. "Homos, la haine" a été également un exemple très réussi de cette initiative numérique sur la question de l’homophobie.
C’est un prolongement du film, c’est une autre porte d’entrée, c’est aussi, on l’espère, un outil de service public, pour libérer la parole et faire émerger avec force des problématiques qui nous paraissent essentielles. On est d’ailleurs très contents de notre relation de travail avec FTVEN (France télévisions éditions numériques) qui nous accompagnent dans nos envies et prennent en main ces dossiers avec beaucoup d’efficacité.
Et
c’est aussi pour finir un lien direct avec les téléspectateurs et
internautes, soit notre public. Le fait même d’écrire un
témoignage est un engagement fort, on cherche donc à susciter cet
engagement.
On
a
des
films
pour
lesquelles
l’opportunité
d’une
plateforme
de
témoignages
est
en
cours
de
réflexion,
on
en
a
d’autres
pour
lesquelles
ce
sont
les
plateformes
qui
sont
en
cours
de
finalisation.
On
va
bientôt
pouvoir
présenter
une
plateforme
d’un
genre
nouveau
autour
de
la
question
du
climat,
à
l’occasion
d’une
soirée
événement.
Nous
travaillons
aujourd'hui
sur
un
grand
film
et
un
nouveau
type
de
plateformes
sur
les
expulsions.
Parce
que
chaque
année
l'équivalent
de
la
population
d'une
grande
ville
française
est
expulsée
de
son
logement.
On
sait que demain il y aura de nouvelles plateformes, on ne sait pas
quelle forme elles prendront, mais on a hâte d’y réfléchir.
11 – En 2013, naissance d’une « nouvelle écriture » : Infracourts, une production où comme vous le soulignez Alexandre Marionneau, « chacun à sa place dans la création ». Dans ce laboratoire, toutes les expériences audacieuses sont-elles autorisées ?
Et pour tout vous dire, on est même un peu surpris qu’il n’y en ait pas plus d’audace. On a notamment beaucoup aimé dans les éditions précédentes le recours au diaporama, qui est un très bon format sur une période courte, le stopmotion ou le dessin. Mais on veut de plus en plus de participation, pour toutes les audaces. On attend toujours la première proposition en animation.
12
– Quel en est le prochain thème ?
"Sauf
votre
respect".On prépare une session un peu exceptionnelle, c’est pour cela qu’on tarde un peu plus que de coutume. Nos partenaires veulent s’impliquer plus dans ce concours, aussi on prend le temps de bien tout organiser pour que le lancement et toutes les étapes suivantes soient un succès. On en est aux derniers ajustements avant de publier le règlement sur www.infracourts.fr.
13
– Infrarouge a vécu des nuits XXL, peut on espérer un jour des
formats en prime-time ?
NON.Infrarouge est une case de deuxième partie de soirée. Ce n’est pas une marque qu’on peut déplacer dans notre grille, c’est avant tout un lieu de rendez-vous. Ce n’est pas l’objectif d’infrarouge d’être en prime time, il s’agit même pour nous de rester en deuxième partie de soirée. L’objectif pour Infrarouge est de garder sa liberté et de proposer des récits du monde. Et la deuxième partie de soirée est parfaite pour cela : un espace de liberté comme il y en a peu. Par ailleurs c'est la fierté du service public d'offrir à toute heure de la journée des programmes singuliers: nous n'allons pas laisser la deuxième partie de soirée en friche!
Il n’y a pas vraiment d’influence, on parle plutôt en termes d’échanges, d’alertes, de dialogues.
Ça contribue d’une certaine manière à modeler notre perception des films, en étant peut-être parfois dans l’anticipation des réactions que pourraient provoquer telles ou telles séquences. La perception du téléspectateur est au cœur de nos métiers – les forums et projections publiques étaient plus courant avant de diffuser un film, autrefois -, avec les réseaux sociaux, on recrée cet espace de forum, et on ajoute dans une certaine mesure un nouvel élément, une façon de créer du lien, de l'attachement à un film, à des personnages. Ou l'envie d'en savoir plus.
Et
pour
ce
qui
est
des
conversations
en
temps
réel,
c’est
l’amour
du
gif
animé
qui
nous
permet
de
survivre
dans
cette
jungle
en
140
caractères.
La
matière
qu’on
travaille
c'est
de
l’image,
après
tout,
héhé.
C’est difficile, mais ça mérite qu’on y réfléchisse longuement.
(2 semaines
s’écoulèrent avant
d'écrire la réponse
suivante)
Le documentaire, c’est un cinéma où
les gens se reconnaissent. C’est un miroir que l’on promène le
long d’une route, mais un miroir qui réfléchit. Loin des miroirs
sans tain des docu-réalités.
Et c’est certes un certain effort,
mais c'est une récompense pour le spectateur, une minute de
documentaire, n'est pas une minute d'images ordinaires. Elle vibre
différemment dans notre mémoire.
La modestie, oui, car le documentaire
c'est un travail sur l'essentiel, ce qui souvent est invisible, ce
qui apparaît au détour d'une phrase dans un regard, dans la
démarche d'un personnage, dans la parole qui surgit, alors qu'elle
était enfouie depuis longtemps. C'est peu de choses souvent, c'est
"moins" de spectacle, c'est moins "poli", mais
tout aussi bouleversant. Et l'idée c'est que cela modifie, parfois
de façon infime, la vision de celui qui regarde.
Et pour finir , parfois et c'est
important, comme disait Joan Baez, c'est the voice
of the voiceless.
Merci
infiniment Fabrice Puchault et Alexandre Marionneau pour cette
interview et rendez-vous mardi 8 septembre pour une nouvelle saison riche en
leçons de vie et en résistance contre les injustices.
Merci Squirelito
Il nous parait important de surligner qu’on n’essaie pas de donner de leçon. On cherche à faire partager les films auxquels on croit, qu’on aime. On veut que chacun en fasse quelque chose, et si le film est fort, chacun en fera quelque chose. Mais on ne donne pas de panneaux indicateurs.
Petit bonus => clip réalisé à l'occasion du festival du Sunny Side de la Rochelle pour la saison à venir des documentaires de France 2, on l'aime beaucoup ! : http://www.dailymotion.com/video/x2u6zru
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