Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 6 septembre 2015


Une noisette, un programme

 

Infrarouge, la fièvre documentaire du mardi soir

 
Infrarouge. Rouge comme la passion. Rouge comme le courage. Rouge, la couleur qui ne laisse jamais indifférent. Des docs « infra », toujours plus loin pour des films sans concessions.
Cest, depuis 2006, la case incontournable du mardi en deuxième partie de soirée sur France2. Interview à deux voix avec Fabrice Puchault, directeur de lunité documentaire, et Alexandre Marionneau, conseiller de programmes documentaires et coordonnateur Infracourts.

1 – Pourquoi le nom d’Infrarouge ? Pour que des ondes cathodiques nocturnes permettent à des documentaires de rayonner visiblement ?
On a choisi Infrarouge parce qu’avant tout, le rouge est la couleur de France 2. Et parce que l’infrarouge nous permet de voir au-delà du spectre lumineux que l’œil capte en temps normal.

On a voulu affirmer aussi que le documentaire voit différemment le réel, ou plutôt, il tente de restituer une partie moins visible de ses manifestations, une part abandonnée par les gros titres, une part en dehors des radars, au-delà et en deçà de notre champ de vision habituel.

 
 
2 – Si je reprends votre expression, Fabrice Puchault, la case Infrarouge est-elle un formidable moyen pour "faire exploser la linéarité" ?
Notre case, cest notre rendez-vous en somme et cest avant tout de la télé, un média de masse, c'est sur une chaîne de télévision, à un moment donné. Tout le monde nest pas utilisateur de ce quon trouve en délinéarisé, et lon se doit de penser à tous les publics. On est persuadés par ailleurs quil restera encore et toujours le désir de se réunir autour dun programme. Les conversations quon engage sur Twitter pendant les diffusions nous confortent dans cette analyse.

Toutefois, on est ravis effectivement de pouvoir faire exploser la linéarité, et de permettre de prolonger notre rendez-vous ! Nous croyons aux pouvoirs extraordinaires du documentaire. Le premier d'entre eux : une incroyable longévité. Les films peuvent vivre bien longtemps après leur diffusion.

 
 
3 – Comment se passe le processus de la sélection des sujets ? Est-ce en fonction de la politique éditoriale documentaire de France2, ou bien de l’actualité, de coups de cœur, ou tout simplement un 3 en 1 ?
La sélection se déroule en fonction de notre ligne éditoriale, qui est une marque de fabrique et espérons-le un repère pour les téléspectateurs. Cette ligne que nous avons bâtie avec la direction de lantenne de France 2 sattache à parler principalement des fêlures de la société française et de lhistoire récente qui dérange, et qui explique notre société contemporaine.

Bien sûr il y a aussi des coups de cœur comme Chante Ton Bac d'Abord.

Mais cest aussi bien entendu une recherche. Nous avons un besoin fondamental de récit. La fiction remplit ce rôle, le théâtre remplit ce rôle, la musique remplit ce rôle, le documentaire remplit également ce rôle, celui de faire le récit de notre monde. Et aujourdhui, notre pays est fragilisé, lézardé, ne se reconnait plus lui-même. Il nous est donc apparu essentiel de faire un travail de fond, presque de labour, sur la société. Et de tisser inlassablement le récit de notre pays.

Ou pour le dire autrement, il sagit de faire le récit de notre paysage mental, de nos passions, de notre paysage social, de notre paysage historique : de notre paysage en tant quil est sujet à des tensions, à des difficultés. Mais aussi de peindre la vie des gens leurs désirs leurs envies leurs joies leurs émotions. Cest tenter de donner forme à ce qui constitue et que lon aperçoit de plus en plus mal.

Donc un trois en un pour répondre précisément.

 



4– Cette case requiert un jeu d’équilibriste particulièrement périlleux car il faut jongler entre une écriture rigoureuse/complexe et, en même temps, amener un public diversifié et le plus large possible ? Peut-on facilement rompre les codes sans déstabiliser le téléspectateur ?
Absolument pas.
On
sait quil ne faut pas que le téléspectateur s'interroge sur la nature de ce qu'il regarde.

Quand le téléspectateur est face à sa télévision, il est comme tout le monde : il a besoin dun minimum de repères. De repères en termes de dramaturgie, d'organisation du récit. Il faut fournir à celui qui regarde les moyens davoir une relation forte avec les films, et dentreprendre un dialogue unique avec les films. Et donc oui, nous avons conscience que parce que tous les films Infrarouge ont des écritures singulières, nous allons déstabiliser le téléspectateur. Il y a donc une contradiction entre la nature de l'œuvre documentaire et ce que la télévision demande naturellement. Mais cette tension est créatrice. C'est même l'enjeu de notre travail. Trouver le juste point de déséquilibre, qui fait l'identité différente de chaque film, mais embarque aussi le spectateur dans un récit plein, aussi inattendu soit-il. Le déséquilibre est la condition naturelle du documentaire. C'est ce qui en fait un objet unique à la télévision.

 
 

6Le 19 juin dernier, nouvelle étape dans le tour documentaire Infrarouge : le franchissement du col YouTube avec création dune chaîne. La télévision, nest plus la seule lucarne pour diffuser le film documentaire ?
Sur France 2 nous voulons croire que les documentaires que nous proposons au public se doivent d'exister dans le champ social, se doivent de trouver leur place dans toutes les agoras, doivent être discutés, servir à quelque chose, être partagés. En un mot avoir un impact.

A quoi servent ces films sils disparaissent lors de leur diffusion? À quoi servent-ils s'ils n'ont pas d'impact? À rien. Même diffusés sur la plus grande chaîne du service public, la deuxième chaîne française, le deuxième mass-média de France. À rien. Si on ne transforme pas cette valeur unique du documentaire en force et si on ne fait pas tout pour que le documentaire trouve sa place dans un monde mobile, un monde de mobiles, de vidéos, de recommandations.

Il n'y a plus de fenêtre unique. C'est pour cela que la case Infrarouge se trouve aujourdhui au cœur dun éco-système inédit. Un compte Twitter, un Facebook, le replay sur Pluzz (et pourquoi pas 30 jours ?), demain Instagram peut-être ? Nous devons aller à la rencontre des téléspectateurs-usagers-utilisateurs-contributeurs, cest notre responsabilité. La chaîne Infrarouge, la première du genre, est la première pour une case documentaire. Elle est accompagnée dune chaîne Infracourts pour le concours de format cours que nous avons lancé il y a 2 ans et dont cest bientôt la quatrième édition.

Parce que nous croyons à la pérennité de l’offre documentaire, à sa valeur patrimoniale, et parce que nous croyons à un partage fort avec le public.

Parce que cela permet de protéger les films du piratage et de les organiser en une offre cohérente. Et parce que cela permet de les proposer pendant un an dans un espace éditorial propre et peut-être de créer du revenu (tout petit).

C'est une offre de programmes là où les utilisateurs se trouvent. Il ne s'agit pas de croire à la fin de la télévision (ça ce sont des arguments de marketeurs qui prennent leurs rêves publicitaires pour de la réalité), mais de savoir, et qu'il faut multiplier les points, les occasions de contact entre les téléspectateurs et les documentaires. Le documentaire doit être disponible partout tout le temps, il le peut, c’est notre responsabilité d’éditeur de contenus, non plus seulement de diffuseur. Le documentaire c’est le temps long dit-on, CQFD.




7 – Sans oublier la programmation en salles, comme pour "Les fils de la terre" ou "Tête haute : 8 mois de bagarre"
Ou encore "Chante Ton Bac D'abord", c'est l'exemple le plus récent. Les sorties en salle représentent des singularités dont on est très friands, ça peut être laboutissement du voyage dun film. C'est de toute façon intéressant car nous pensons que les films doivent explorer tous les territoires de diffusion. En respectant bien sûr la réglementation.

Encore une fois, cest une manière de favoriser la rencontre entre les films et un autre public, celui qui ne croit pas à ce que la télévision pourrait lui proposer. Pour certains, un film à la télévision, n'est pas vraiment un film. La sortie salle, pour eux l'anoblit, comme un "label". C'est évidemment illusoire, mais nous aimons que tous les publics, même ceux qui sont imprégnés par l'idée fausse d'une télévision nécessairement bas de gamme, puissent voir ces beaux films.





8 – Impossible de nommer tous les réalisateurs qui se succèdent au fil des saisons, mais pouvez-vous tout de même évoquer quelques signatures ?
Plus de 150 auteurs ont travaillé sur la case depuis 10 ans! Aussi démago que ça puisse paraître on les revendique tous. Quant à nos coups de cœur… ce serait de l'égotisme

 
 
9 – Le programme de la rentrée s’annonce encore une fois original et résistant : "Baisse pas ta garde",  "Expulsions la honte", "Nina, le destin de mère courage", combien d’inédits pour la saison 2015/2016 ?

Environ 35 sur 40 cases de diffusion.

 
 
10 – A l’instar des "Voix du silence" (viols) et "Souffre-douleurs, ils se manifestent" (harcèlement scolaire), une nouvelle plateforme va-t-elle être instaurée pour recueillir des témoignages ?
Le format des plateformes nous passionne. "Homos, la haine" a été également un exemple très réussi de cette initiative numérique sur la question de l’homophobie.

Cest un prolongement du film, cest une autre porte dentrée, cest aussi, on lespère, un outil de service public, pour libérer la parole et faire émerger avec force des problématiques qui nous paraissent essentielles. On est dailleurs très contents de notre relation de travail avec FTVEN (France télévisions éditions numériques) qui nous accompagnent dans nos envies et prennent en main ces dossiers avec beaucoup defficacité.

Et c’est aussi pour finir un lien direct avec les téléspectateurs et internautes, soit notre public. Le fait même d’écrire un témoignage est un engagement fort, on cherche donc à susciter cet engagement.

On a des films pour lesquelles lopportunité dune plateforme de témoignages est en cours de réflexion, on en a dautres pour lesquelles ce sont les plateformes qui sont en cours de finalisation. On va bientôt pouvoir présenter une plateforme dun genre nouveau autour de la question du climat, à loccasion dune soirée événement.

Nous travaillons aujourd'hui sur un grand film et un nouveau type de plateformes sur les expulsions. Parce que chaque année l'équivalent de la population d'une grande ville française est expulsée de son logement.

On sait que demain il y aura de nouvelles plateformes, on ne sait pas quelle forme elles prendront, mais on a hâte d’y réfléchir.



11 – En 2013, naissance d’une « nouvelle écriture » : Infracourts, une production où comme vous le soulignez Alexandre Marionneau, «  chacun à sa place dans la création ». Dans ce laboratoire, toutes les expériences audacieuses sont-elles autorisées ?
Oui, oui, oui. Absolument !

Et pour tout vous dire, on est même un peu surpris quil ny en ait pas plus daudace. On a notamment beaucoup aimé dans les éditions précédentes le recours au diaporama, qui est un très bon format sur une période courte, le stopmotion ou le dessin. Mais on veut de plus en plus de participation, pour toutes les audaces. On attend toujours la première proposition en animation.

 
12 – Quel en est le prochain thème ?
"Sauf votre respect".
On
prépare une session un peu exceptionnelle, cest pour cela quon tarde un peu plus que de coutume. Nos partenaires veulent simpliquer plus dans ce concours, aussi on prend le temps de bien tout organiser pour que le lancement et toutes les étapes suivantes soient un succès. On en est aux derniers ajustements avant de publier le règlement sur www.infracourts.fr.



13 – Infrarouge a vécu des nuits XXL, peut on espérer un jour des formats en prime-time ?
NON.

Infrarouge est une case de deuxième partie de soirée. Ce nest pas une marque quon peut déplacer dans notre grille, cest avant tout un lieu de rendez-vous. Ce nest pas lobjectif dinfrarouge dêtre en prime time, il sagit même pour nous de rester en deuxième partie de soirée. Lobjectif pour Infrarouge est de garder sa liberté et de proposer des récits du monde. Et la deuxième partie de soirée est parfaite pour cela : un espace de liberté comme il y en a peu. Par ailleurs c'est la fierté du service public d'offrir à toute heure de la journée des programmes singuliers: nous n'allons pas laisser la deuxième partie de soirée en friche!

 


14Quelle est linfluence des réseaux sociaux, notamment sur Twitter, lors de la diffusion des DOCUMENTAIRES? Et comment arrivez-vous à gérer avec autant de couleurs cette interactivité ?
Il ny a pas vraiment dinfluence, on parle plutôt en termes déchanges, dalertes, de dialogues.

Ça contribue dune certaine manière à modeler notre perception des films, en étant peut-être parfois dans lanticipation des réactions que pourraient provoquer telles ou telles séquences. La perception du téléspectateur est au cœur de nos métiersles forums et projections publiques étaient plus courant avant de diffuser un film, autrefois -, avec les réseaux sociaux, on recrée cet espace de forum, et on ajoute dans une certaine mesure un nouvel élément, une façon de créer du lien, de l'attachement à un film, à des personnages. Ou l'envie d'en savoir plus.

Et pour ce qui est des conversations en temps réel, cest lamour du gif animé qui nous permet de survivre dans cette jungle en 140 caractères. La matière quon travaille c'est de limage, après tout, héhé.



15 – Pour terminer cet entretien, je vais citer Agnès Varda lors de la remise du César 2014 du meilleur film documentaire : «  le documentaire est l’école de la modestie ». Et pour vous, que représente le documentaire dans son passé, son présent et son avenir ?
C’est difficile, mais ça mérite qu’on y réfléchisse longuement.

(2 semaines sécoulèrent avant d'écrire la réponse suivante)

Le documentaire, c’est un cinéma où les gens se reconnaissent. C’est un miroir que l’on promène le long d’une route, mais un miroir qui réfléchit. Loin des miroirs sans tain des docu-réalités.

Et c’est certes un certain effort, mais c'est une récompense pour le spectateur, une minute de documentaire, n'est pas une minute d'images ordinaires. Elle vibre différemment dans notre mémoire.

La modestie, oui, car le documentaire c'est un travail sur l'essentiel, ce qui souvent est invisible, ce qui apparaît au détour d'une phrase dans un regard, dans la démarche d'un personnage, dans la parole qui surgit, alors qu'elle était enfouie depuis longtemps. C'est peu de choses souvent, c'est "moins" de spectacle, c'est moins "poli", mais tout aussi bouleversant. Et l'idée c'est que cela modifie, parfois de façon infime, la vision de celui qui regarde.

Et pour finir , parfois et c'est important, comme disait Joan Baez, c'est the voice of the voiceless.




Merci infiniment Fabrice Puchault et Alexandre Marionneau pour cette interview et rendez-vous mardi 8 septembre pour une nouvelle saison riche en leçons de vie et en résistance contre les injustices.

Merci Squirelito
Il nous parait important de surligner qu’on n’essaie pas de donner de leçon. On cherche à faire partager les films auxquels on croit, qu’on aime. On veut que chacun en fasse quelque chose, et si le film est fort, chacun en fera quelque chose. Mais on ne donne pas de panneaux indicateurs.

Petit bonus  => clip réalisé à l'occasion du festival du Sunny Side de la Rochelle pour la saison à venir des documentaires de France 2, on l'aime beaucoup !  : http://www.dailymotion.com/video/x2u6zru

 

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