Souvenirs d'un médecin d'autrefois

jeudi 26 septembre 2024

 

Prix Patrimoines 2024

Jour de Ressac

Maylis de Kerangal

 

©Squirelito

Lundi 16 septembre, l’Hôtel National des Invalides était l’écrin choisi pour dévoiler le nouveau bijou littéraire récompensé par le Prix Patrimoines/Louvre Banque Privée pour sa huitième édition.

Votre serviteur a eu l’immense privilège de pouvoir assister à cette cérémonie qui a couronné le nouveau roman de Maylis de Kerangal : Jour de ressac, une publication des éditions Verticales (Gallimard). Le prix a été annoncé par Stéphane Dedeyan, président du directoire de la Banque Postale et Jean-Marc Ribes, président du directoire de Louvre Banque Privée.

Pour rappel, cette année le jury était composé, s’il vous plaît, de : Daniel Picouly, président, entouré d’'Irène Frain, romancière, journaliste ; Baptiste Liger, directeur de la rédaction de Lire le magazine littéraire; Jean-Marc Ribes, président du directoire de Louvre Banque Privée; Laïla Séfrioui, responsable de la communication de Louvre Banque Privée; François Sureau, avocat, écrivain, membre de lAcadémie française; Didier Van Cauwelaert, écrivain, dramaturge, ; Pierre Vavasseur, écrivain, poète, auteur-interprète, journaliste culturel au ParisienHebdo et «des minutes de lumières en plus» ; Olivier Weber, écrivain-voyageur, grand reporter, et Floryse Grimaud, secrétaire générale et organisatrice du prix.  

© Squirelito


Florise Grimaud a d’ailleurs eu une très belle phrase lors de son discours : « récompenser l’excellence de la langue française considérée comme un patrimoine à transmettre ». Citation qui s’unit parfaitement avec le roman couronné puisque nous sommes au cœur de la transmission, du patrimoine et de l’élégance des belles lettres.

Jour de ressac est l’histoire d’une femme originaire de la ville du Havre et qui est soudain appelée par un officier de police judiciaire de cette même ville lui demandant de venir se présenter au plus vite au commissariat. La narratrice quitte son appartement parisien et sa famille pour retourner au Havre après plusieurs décennies d’absence. Avec effroi, elle apprend qu’un homme assassiné trois jours auparavant a été retrouvé sur la digue Nord avec dans une poche… le numéro de son portable. Les photos ne lui rappellent aucun homme de sa connaissance, pourtant, elle va rester. Pour faire jaillir les souvenirs, faire un aller-retour entre passé et présent. Un récit intime commence pour cet anti-polar. Fort, émouvant.

Un roman qui s’inscrit dans tout l’éventail du patrimoine : des villes françaises et allemandes bombardées, lors de la Seconde guerre mondiale, dont il ne restera parfois, souvent, plus rien ; un patrimoine s’est effondré avec des milliers de vies. Pour faire survivre l’idée de ce patrimoine disparu et de ces vies enfouies, la littérature est un autre patrimoine, un patrimoine alternatif pour empêcher l’oubli, pour perpétuer la mémoire des vagues de l’Histoire. Maylis de Kerangal, tel un peintre, dessine à l’encre des mots ces bâtiments, rues et monuments effacés par la folie destructrice de la folie des faiseurs de guerre tout en faisant rejaillir le « patrimoine humain ».

Entre les guerres d’hier et les guerres d’aujourd’hui, la narratrice plonge et émerge de ces décombres de l’enfer, met en scène deux réfugiées Ukrainiennes ; la ronde des bombes ne finissant jamais. En 2024, Le Havre n’a plus à craindre qu’une pluie de projectiles se déverse mais d’autres fatalités destructrices rampent comme le narcotrafic ou encore, dans un autre domaine, l’intelligence artificielle voulant remplacer les cerveaux humains. Le brutal retour de toutes les réalités sur le long fil de l’humanité/déshumanité.


Fanfare de la Garde Républicaine dans la cour de l'Hôtel national des Invalides pour accueillir les invités
©Squirelito


mercredi 18 septembre 2024

 

Noisette curative

L’île du là-haut

Adrien Borne

 


1948. À Lyon, un jeune garçon de 15 ans, Marcel part se soigner. Atteint de tuberculose, sa mère, qui malgré son autorité chérit son fils unique, désire l’envoyer dans le meilleur sanatorium du plateau de Passy : le sanatorium de Sancellemoz, devenant le sanatorium S dans le roman. Énorme effort financier pour cette mère célibataire. L’adolescent part seul, il n’aura plus son copain Andrea qui ne voyait plus guère à cause de sa maladie. Alité dans sa chambre, il pense à son père inconnu et semble l’avoir aperçu dés son arrivée près du Mont-Blanc. Les fantômes passent, les idées se bousculent. Heureusement, l’infirmière Gabrielle est compréhensive et il se lie avec deux artistes, la restauratrice Valentine et le fantasque Stella.

Marcel se veut libre, son esprit l’est et il n’hésite pas à répliquer comme il l’entend. Son séjour est une sorte de voyage initiatique dans le paysage alpin aux cimes enneigées, avec les discussions autour de la fresque peinte par Valentine et dans les curieuses céramiques de Stella. Mais ensuite ? Est-ce que sa mère va pouvoir continuer à financer ? Pourquoi ses lettres à Andrea restent sans réponse ?

Ce sanatorium, un jour s’arrêtera de recevoir des malades, que restera-t-il de ce lieu de souffrance, de vie et de mort, d’espoir et de lamentations ? Peut-on effacer la mémoire des malades ?

Adrien Borne signe un roman terriblement émouvant. Toute l’histoire du sanatorium revit sous sa fine et créative plume pour laisser une trace face aux milliers de malades oubliés – à part Marie Curie, décédée à Passy –, ceux qui ont pu guérir, ceux qui ont laissé leur dernier souffle face aux montagnes. Au-delà de cette île, plane peut-être encore cet amère constat :  combien la peur, les non-dits, les silences, la crainte d’oser déclarer ses sentiments peuvent amener à la déception, à la colère, au regret, au chagrin.

Un roman humain avec un final aussi surprenant que bouleversant.

« On fait des monuments aux soldats, on ne fait pas d’arc de triomphe à ceux qui ont combattu la maladie, quelle qu’elle soit ».

L’île du là-haut – Adrien Borne – Éditions JC Lattès – Août 2024

samedi 7 septembre 2024

 

Les derniers sur la liste

Gregory Cingal

 


Si Stéphane Hessel reste dans toutes les mémoires, le sont beaucoup moins ses deux autres collègues qui ont survécu au Block 46 du camp de Buchenwald : Forest Yeo-Thomas et Harry Peulevé. Des compagnons d’armes ont déjà été pendus à des crocs de boucher, d’autres attendant leur tour. Mais en septembre 44, des forces clandestines s’organisent dans les camps. Trois pourront échapper au pire, il fallait faire un choix pour les échanger contre des mourants du typhus… Faire un choix, élire parmi les encore survivants de l’enfer trois hommes pouvant être sauvés.

Cette histoire peu connue et qui méritait d’être couchée sur le papier est excessivement bien racontée par Gregory Cingal, utilisant les techniques du roman pour rendre ce document encore plus bouleversant, plus intense. Mais aucune fiction, tout est réel comme chaque personnage.

Non seulement l’auteur retrace chaque fait mais il met le lecteur en immersion dans ces camps de l’horreur, décrivant la vie à l’intérieur où s’entrechoquaient les tortures, assassinats collectifs, malversations, corruption en tout genre, prostitution, guerre des chefs et… résistance des déportés ; une société secrète sur quelques hectares où tous les coups était permis.

Ce block 46 était un centre expérimental – vocable qu’utilisait beaucoup les nazis – pour créer un vaccin contre le typhus et dirigé par le médecin major Ding-Schuler, ambitieux et corrompu mais qui sans lui toute évasion aurait été impossible. Y travaillent des scientifiques, des détenus dont Eugene Kogon, un scientifique juif viennois qui n’écoutera que son courage.

Que dire de plus sinon que de lire ce récit. Une fois encore, au milieu des nombreuses âmes plus que noires, quelques étincelles font briller l’humain. Mais l’Homme reste l’animal le plus monstrueux et barbare, redoutable dans sa capacité à détruire, à faire souffrir et tuer à petit feu. Ce serait pourtant si simple d’aider à vivre…

Les derniers sur la liste – Grégory Cingal – Éditions Grasset – Août 2024

vendredi 6 septembre 2024

 

Noisette fantasque

 

La cinquième saison

Érik Orsenna

 


 

Érik Orsenna constate les dégâts que provoquent l’arrivée de paquebots bondés de touristes à Venise, la Sérénissime victime de son succès. Facétieux, comme à son habitude, il se transforme en conteur pour une fable autour du plus fameux des prêtres roux : Antonio Vivaldi.

Venise agonise, Venise fait un burn out ! La Terre étouffe

« Dans nos guerres modernes, on voudrait croire que ce sont les Nations qui s’affrontent, comme avant. C’est oublier les forces de l’ombre, les entreprises géantes, plus puissantes que les États, les mafias des trafics illicites, bien plus riches, les fraternités religieuses dont les convictions sont folles, sans parler de ces conglomérats baptisés réseaux sociaux ». La Nature s’allie avec la cité des Doges pour débuter une révolte : le temps s’arrête, la nuit envahit le jour, il ne reviendra que si les êtres vivants issus de l’Homo Sapiens reviennent à la raison. Vaste chantier ! C’est alors que surgit dans toute sa flamboyance Vivaldi qui, par un opéra, cet art absolu qui réunit tous les arts, veut sauver la terre avec l’aide des Éléments : l’eau, le feu, l’air, la terre et d’autres encore. Mais il ne peut agir seul ; en toute logique apparaît de nulle part le librettiste le plus espiègle et joyeux de l’art lyrique, le presque frère du divin Mozart : Lorenzo da Ponte.

Erik Orsenna déplore, à juste titre, la course effrénée avec le temps, qu’un « malfaisant virus se nomme la Hâte ». Il aurait peut-être fallu qu’il prenne justement un peu plus de temps pour ce nouvel opus qui manque de cohésion et où les événements se précipitent dans une sorte de méli-mélo. La version définitive – je n’ai lu que les épreuves non corrigées avec coquilles et phrases pas toujours limpides – est probablement améliorée.

Cela dit, cette Cinquième saison reste un vrai roman, une vraie fiction qui permet de libérer les pensées lourdes qui nous entourent et de diffuser une prise de conscience écologique. Divertissant, amusant et qui fait du bien, un livre idéal avant de s’endormir en pensant à Vénus et autres étoiles puisque « dans leur course céleste, les astres composent une musique semblable à celle que produisent les notes ici-bas ». Per la gloria d’adorarvi.

La cinquième saison – Érik Orsenna – Éditions Robert Laffont – Septembre 2024

jeudi 5 septembre 2024

 

Noisette diabolique

 

La chambre des diablesses

Isabelle Duquesnoy

 


Ce roman d’Isabelle Duquesnoy – désormais disponible au format poche – n’est pas tout à fait Ma sorcière bien aimée… aussi divertissant, et même plus, grâce à l’humour de la romancière mais beaucoup plus choquant.

Honneur aux dames avec ce curieux surnom de cette diablesse… diabolique : La Voisin. Elle fit trembler Louis XIV et elle reste tristement célèbre pour être l’empoisonneuse, dans tous les sens du terme, de la Cour. Évidemment, pas de suspens, on connaît sa fin inéluctable et son funeste sort : brûlée en place publique !

Isabelle Duquesnoy raconte ce destin par la voix de sa fille Marie-Marguerite qui, elle seule, connaît tous les secrets de sa mère. De longues lettres envoyées à l’officier de police, le sieur La Reynie. Nous sommes le 28 mars 1680, la mère a été menée au bûcher, sa fille arrêtée et veut sauver sa tête. Elle raconte, raconte ce qui provoquera tout de même la chute d’une favorite archi-connue. Cruelle époque, excessivement corrompue où les trafics en tout genre se multipliaient avec la bénédiction du clergé. Quant aux femmes, aisées ou pauvres, leur condition n’était en en rien un conte de fées.

Truculent du début à la fin, l’autrice ne rajoute aucun personnage de fiction, inutile, les vrais suffisent ! Loin des fastes de Versailles, le lecteur plonge de l’autre côté du miroir et les reflets sont nettement moins lumineux ; un monde de ténèbres où les puissants aux âmes noires savent comment se sauver de tout, contrairement aux miséreux. Instructif sans être lassant, on apprend moult expressions ou leurs origines – comme, par exemple, le terme « enfoiré ». Un grand roman historique ne refermant aucune invention par rapport à ce tribunal créé par Le Roi Soleil.

La chambre des diablesses – Isabelle Duquesnoy – Éditions Pocket – Mars 2024


mercredi 4 septembre 2024

 

Noisette caustique


Célèbre

Maud Ventura

 


Ciel ! Un nouveau roman de Maud Ventura ! À quelle sauce va-t-elle mettre le lecteur ? Mieux que la poudre de perlimpinpin, il paraîtrait que pour devenir célèbre rien de tel que la poudre de pulpe de baobab… alors, tentons pour suivre les traces de sa nouvelle héroïne : Cléo Louvent.

Obsédée, obsédée vous dis-je, Cléo n’a qu’un objectif depuis son enfance – une enfance banale à tout point de vue -, devenir une célébrité ! Durable cela va de soi. Se rassurant de n’avoir pas été élue le plus beau bébé, elle est convaincue que « la célébrité n’est pas une victoire » mais « une vengeance ». Bref, vous aussi, gardez espoir !

Cela dit, Cléo Louvent n’est pas comme Madame Tout le Monde. Cléo produit naturellement une substance proche d’un « acide méprisus » et gare à vous si vous l’invitez dans votre séjour au parquet impeccable, il risque de se rayer en quelques minutes !

Cléo, sûre d’elle va devenir une star internationale de la chanson, grimpant tous les étages, certains se demandant jusqu’où elle ira. Peu importe, elle écrase tout sur son passage. Mais est-elle vraiment heureuse ? Pourquoi part-elle sur une île déserte ? Et justement, à quoi est-elle prêtre pour garder sa place sur l’empyrée médiatique ?  Vous aurez les réponses en lisant ce livre.

En attendant, votre serviteur peut vous dire que ça croustille sévère le long des pages et que, sous cet aspect faussement débridée, Maud Ventura inflige une critique au vitriol aux people et au monde de l’industrie musicale, spin doctors compris ! Quelques clichés superflus, un récit qui frise parfois le baroque mais, après tout, cette sphère du star system est de tous les excès !

Gai, cocasse, abracadabrantesque, abrasif, divertissant… la plume s’amuse. Pourtant, derrière cette vitrine livresque se faufile quelque chose de beaucoup plus profond et ce paragraphe de la page 167 (les bipèdes qui me suivent sur Instagram ont pu le voir) exprime certainement davantage le fond de pensée de l’autrice.

« Je récupère ma tasse de thé et mes bouteilles d’eau vides, je remets les chaises à leur place, range mon micro et mon casque, salue le réceptionniste en partant. Je n’ai pas le choix, il faut un certain degré de notoriété pour se permettre d’être malpolie ».

« Au passage, il faut aussi que je m’habitue à fermer les yeux sur mon bilan carbone. J’ai de grandes choses à accomplir sur cette terre, alors si une personne a bien le droit de polluer, c’est moi ».

Célèbre – Maud Ventura – Éditions L’Iconoclaste – Août 2024

  Noisette onirique Ma vie avec Gérard de Nerval Olivier Weber   Le grand reporter et écrivain nous convie à un voyage en « Nervalie...