Une noisette, un
livre
Qu’est-ce que
j’irai faire au paradis ?
Walid Hajar
Rachedi
Si
le titre laisse dans l’expectative, le déroulé de ce roman n’éveille aucun
doute : c’est brut, réaliste, piquant, tragique, avec une fin en terrible
gifle !
Malek est issu de cette banlieue parisienne symbole du désœuvrement et des peuples oubliés même si de vaillantes âmes locales essaient de stopper la spirale infernale du chômage, de la pauvreté et du banditisme. Lors d’un séjour dans le nord de la France chez son cousin Ali, il est marqué par sa rencontre avec Atiq, un jeune refugié afghan à la recherche de son frère qui s’est évadé d’une prison tenue par les Américains lors de la prise de Kaboul aux Taliban. Il décide de partir dans une quête indéfinissable qui va l’entraîner à Madrid, Séville, Grenade, Oran, Tanger… le long fil d’une culture arabe. En Espagne, le hasard le mène à plusieurs reprises dans les pas d’une jeune britannique aussi flamboyante que sa chevelure. Il en tombe amoureux surtout qu’elle aussi, recherche un proche : son père a disparu lors d’une énième mission humanitaire sur le sol afghan. Et ainsi de suite…
Un premier roman parfaitement maîtrisé qui entraîne le lecteur dans le labyrinthe de la géopolitique et des errements du monde avec, comme toujours, des femmes et des hommes laissés dans l’injustice et qui peut mener au pire sur l'échelle des victimes innocentes. Comprendre l’incompréhensible pour expliquer sans juger ni tomber dans la spirale infernale du bien versus le mal et inversement.Sans oublier le "piège humanitaire" et là on retrouve le fameux essai de Jean-Christophe Rufin.
Mais ce qui est encore le plus éloquent et courageux reste avant tout la base du livre : l’Afghanistan et son histoire récente, ce pays multiple aux prises entre un extrémisme religieux et l’invasion soviétique puis américaine pour des motifs différents mais avec un résultat tout aussi désastreux.
Narration dynamique, contenu extrêmement riche sans jamais être lourd, dialogues percutants et remarquablement bien adaptés selon les personnages font qu’il est impossible de lâcher ce roman et que l’on reste aphone lorsque la lecture s’achève en ce demandant « Qu’est-ce que le monde pourrait faire pour retarder l’entrée au paradis ? Et éviter de faire subir aux êtres l’enfer sur terre… »
« Le monde est une énigme que seul le voyage peut résoudre »
« En regardant cette belle eau couler sans entrave, j’avais une folle envie de croire qu’il avait pu exister un havre d’intelligence, de tolérance, d’harmonie. Mieux, j’en avais besoin. Un besoin vital de trouver une filiation avec ce qu’il y avait de meilleur en l’humanité, de trouver les traces de quelque chose de beau, de grand, de digne. Quelque chose qui donnerait un sens à cette vie ».
« Dans une guerre, personne n’est jamais neutre. Dans une guerre, la vie des uns et la mort des autres n’ont plus la même valeur ni la même signification ».
« Nous Afghans, n’avons eu pratiquement aucun mot à dire sur les décisions qui ont affecté notre pays, notre peuple depuis plus de vingt ans : avons-nous demandé aux Russes d’envahir notre pays ? Avons-nous demandé aux Américains de financer et d’armer les plus extrémistes des moudjahidines ? Avons-nous demandé aux services secrets pakistanais et saoudiens, à la CIA de soutenir l’émergence des talibans ? Avons-nous demandé que notre pays devienne le terrain d’entraînement des combattants d’Al-Qaida ? Monsieur Jeffrey, vous m’avez dit, une fois, que vous rêviez d’unité et d’un avenir meilleur pour l’Afghanistan et pour ses enfants. C’est un rêve que je partage du plus profond de mon âme. Mais comment notre pays peut-il être uni ou œuvrer à un avenir meilleur pour les générations futures s’il est le jouet de puissances pour lesquelles nos vies n’ont aucune valeur ; dépossédé de son destin, ébranlé jusque dans son âme ? »
Qu’est-ce que j’irais faire au paradis ? – Walid Hajar Rachedi – Éditions Emmanuelle Collas – Janvier 2022
Livre reçu et lu pour le Prix Orange du Livre – Finaliste 2022