lundi 1 juillet 2019


Une noisette, un livre


 Terre natale

Jean Clair




Sensation étrange que de lire le nouvel essai de Jean Clair, un essai crépusculaire qui fait penser aux paroles de Lensky dans Eugène Onéguine (Kuda, kuda) et qui, en partie, peuvent résumer tout le fil conducteur du livre : « Où sont parties les années de la jeunesse, que va apporter le jour qui vient (…) Dieu offre la splendeur du jour mais aussi offre la nuit sombre (…) mon nom sera comme une poussière emportée par l’oubli, le monde oublie vite ».

Avec ces « Exercices de piété », Jean Clair remonte le temps, celui qui passe et qui ne revient pas, celui des souvenirs et de la mélancolie rampante, du printemps à l’automne de la vie, voire aux portes de l’hiver ; c’est un homme épris d’art et de culture qui regrette et n’espère plus, sauf peut-être encore dans les livres. Car les lettres sont le domaine de l’académicien, des ténèbres de la pensée naît une lumière au cœur du phrasé sémantique.

Pessimisme, réalisme, peut-être les deux. L’homme adulte semble inconsolable même en se remémorant les effluves de l’enfance et de cette terre pas encore abandonnée dans les tourbillons des courses effrénées des âmes humaines. Solo, perduto, abandonado… comme une Manon au masculin errant dans le désert, celui des incertitudes et des désenchantements. La plume de l’écrivain semble jaillir des entrailles de la terre, des « ombres brumeuses » du royaume d’Hadés ou bien du tableau de Munch auquel Jean Clair fait référence, « Le cri ».

Loin d’être toujours d’accord avec les propos de l’auteur, je suis néanmoins en symbiose totale sur les questions de la ruralité ; cette folie des hommes à ne plus respecter les animaux en leur faisant vivre les atrocités de l’élevage intensif, à ne plus savoir vivre avec les saisons, à constater les désastres du capitalisme sauvage qui privent les plus faibles de toute survie. A moins qu’il soit encore possible de reconstituer les ruches d’Aristée avec quelques sacrifices…

Déconcertant de noirceur et pourtant sublime par la beauté du style, c’est un ballet des mots alternant entre la tendresse de l’âme d’un enfant d’autrefois et la flèche quasi pamphlétaire de l’amateur d’art consterné par la provocation contemporaine de soi-disant artistes.
Un rapport à l’écriture proche d’une prière à la littérature, le credo d’un écrivain dans le « miserere » d’une décadence inexorable.

« Je m’assois dans mon fauteuil, et je lis à m’épuiser les yeux. C’est la plus simple des expériences de spiritisme auxquelles on puisse se livrer. Aucun médium, radio, cinéma, télévision n’a ce pouvoir de faire entendre une voix à travers un objet, et de parler en elle. On ne fait pas que ressusciter le mort qui gisait dans les pages, on lui donne sa vie ».

« L’utopie sociale perd de son éclat à s’appuyer sur le progrès technique ».

« Je ne comprends pas le mépris dans lequel nous tenons les animaux, et moins encore la violence que nous exerçons envers eux, comme nous le ferions envers nos ennemis ».

« Les Québécois appellent le selfie un égoportrait ».

« L’écriture est un filet de mots pour attraper les papillons de l’âme »

Terre natale, exercices de piété – Jean Clair – Editions Gallimard – Juin 2019









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