vendredi 9 juin 2017


Une noisette, un livre

 

Croire au merveilleux

Christophe Ono-Dit-Biot

 

(Photo © Squirelito)

 
Tout commence dans l’obscurité, une atmosphère pesante comme si Hadès envoyait un message depuis l’enfer. Pathétique, angoissant. Puis, au fur et à mesure, Ouranos aide à retrouver une clarté et c’est finalement Hélios qui triomphe d’un magnifique voyage dans le passé, pour mieux vivre et continuer à vivre dans le présent. Comme le héros de l’histoire « ça me plait, parfois, de croire au merveilleux »

Ce roman est une triade sur le deuil, la mythologie et la renaissance avec un personnage central, César, jeune veuf et père d’un petit garçon. Il a perdu sa compagne Paz et son chagrin est incommensurable. Le suicide semble être la seule issue. Mais, va surgir Nana, une jeune femme grecque, énigmatique, aussi érudite que séduisante. Des liens se nouent, un parcours initiatique du renouveau va se dessiner, et pour compléter le tableau, défilent une palette de tons aux couleurs de la Méditerranée, une plongée en terre italienne, espagnole, grecque et une incursion finale au pays du soleil levant. Tout un symbole dans ce récit où les mythes reprennent un pouvoir considérable. Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage…

En puisant des forces dans l’art antique, en retraçant le parcours de son enfance, le retour à la vie va triompher, et ce, malgré les agitations et l’actualité assourdissantes qui nous ramènent à la réalité.
Le journaliste et écrivain Christophe Ono-Dit-Biot nous entraîne de surprises en surprises car il faut lire jusqu’à la dernière ligne pour saisir toute la puissance de son récit. Ce métissage sur l’échelle du temps, où l’on s’entoure du passé pour ériger l’avenir, est une merveille. On respire les senteurs multiples de la flore méditerranéenne, on s’émerveille sur les richesses de l’histoire, on se délecte de ces Humanités peut-être trop tombées en désuétude au nom du tourbillon de la modernité, on caresse les mots et les descriptions, on déguste à distance une ensaïmada et autres gourmandises qui secouent le corps et l’esprit. Sans oublier l’amour. L’amour d’un père envers son fils, l’amour éternel envers la femme disparue, l’amour perdu mais qui cogne dans sa tête, dans ses membres.

Une fiction qui se lit doucement même si l’envie de découvrir l’épilogue (du grec « épi » et « logos ») est terriblement irrésistible. Avec l’envie de la  relire à nouveau une fois la lecture achevée. Pour bien évaluer l’importance du message, pour noter les nombreuses références artistiques et philosophiques, pour décrypter la sémantique utilisée, pour s’imprégner de l’élégante sensualité, pour s’enivrer soi-même du passé pour embellir à nouveau le temps qui est devant nous.
Tel un retour d’Ulysse en sa patrie, de battre le cœur de César va continuer. Pour lui, et par-dessus tout, pour son fils.

 « J’aime les mots, leur sens ancien, les passerelles que ça crée. L’impression d’un ordre, d’une cohérence, d’un enracinement, le seul qui tienne dans ce monde de folie »
« Nana dit que l’Europe est molle, que c’est folie de croire en un dieu unique parce que le dieu de l’un est toujours le diable de l’autre. (…) L’autre jour, elle m’a cité une phrase d’un sénateur romain du III° siècle dont je n’avais jamais entendu parler.  Quintus Aurelius Symmaque. (…)  Nous contemplons tous les mêmes astres, le ciel nous est commun, le même univers nous entoure. Qu’importe par quel chemin chacun recherche, en fonction de son propre jugement, la vérité. Il n’y a pas qu’une seule voie qui permette d’atteindre un si grand mystère. » 

« Ce petit garçon regardait la mer et le soleil. Il avait, à la main, un crayon, et il dessinait (…) la mer, il dessinait le soleil (…)
Toujours, il vivra pour tenter (…)
Toujours, il vivra pour apprendre (…)
Toujours, il vivra pour comprendre (…)

Toujours, il vivra pour ne pas dormir (…)

Toujours, il vivra pour le désir (…)

« Contre le temps qui dévore, seule notre enfance, ce qu’on y puise, peut nous sauver »

 Croire au merveilleux – Christophe Ono-Dit-Biot – Editions Gallimard – Février 2017

 

 

 

5 commentaires:

Voyages en prose a dit…

J'en ai lu des chroniques sur Croire au merveilleux mais la votre est à mes yeux la plus aboutie. C'est une analyse profonde sans être indigeste, cultivée mais sans pédantisme, bravo !

J'ai lu votre commentaire sur mon compte IG et je compte malgré tout lire Plonger avant de commencer Croire au merveilleux. Il ne reste plus qu'à trouver le temps ;)

Lilia Tak-Tak a dit…

C’est une chronique sublime Ghislaine !! Avec subtilité et poésie tu nous entraîne dans ta n enthousiasme pour ce livre qui va du coup rejoindre ma pal !! Merci !!

Squirelito a dit…

Le coup de noisette de l'écureuil pour 2017 (avec de l'âme de François Cheng et Légende d'un dormeur éveillé de Gaelle Nohant. Merci Lilia et bonne lecture :)

Unknown a dit…

Il faut absolument que je rencontre César! Merci pour ce conseil et cette belle chronique.

Squirelito a dit…

Une rencontre évidente, indispensable. Merci pour ce retour de lecture de chronique

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