Une noisette, un
livre, une interview
La chambre des innocents
Mathieu Delahousse
Hélas, les blessures de l’humiliation, de la privation de liberté, de l’éloignement de ses proches, de la perte d’une activité, resteront à vie. En sachant que la proclamation de votre innocence ne sera jamais médiatisée comme l’annonce de votre culpabilité...
Même si l’argent ne pourra jamais « réparer les innocentés », il peut servir à essayer de se reconstruire. Le 1er lundi de chaque mois, dans une chambre de justice, les cas les plus litigieux des condamnés par erreur sont revus avec une indemnisation parfois à la baisse, parfois à la hausse, la moyenne d’une journée de prison ayant en France un tarif d’une moyenne de 60€/jour.
Le journaliste judiciaire Mathieu Delahousse a enquêté plusieurs mois comme témoin de cette « vente aux enchères », de cette « déconcertante loterie de l’innocence ». Son récit est une suite de chroniques, de questions et de réflexions personnelles et par son écriture fluide, ses descriptions sans détour, il est impossible de rester insensible à ces affaires sensibles.
Chacun connaît l’histoire de Marc Machin, de Patrick Dils, mais ils sont nombreux les David, les Jean-François, les Mohammed qui un jour se sont retrouvés derrière les barreaux alors qu’ils savaient qu’ils n’avaient jamais commis de délits ou de crimes. Jusqu’à leur dernier souffle ils resteront meurtris pour l’injustice subie. Avec l’auteur, on ressent la même surprise de ces trajectoires, on ressent la même quête d’humanité. Cette mise en lumière, sur l’obscurité d’un emprisonnement injuste, éclaire avec sagesse la complexité du milieu judiciaire et de ses faiblesses. Une lecture renversante sur ces « vies qui s’étiolent quand on les met en cage ».
1 – Mathieu Delahousse, combien d’innocentés chaque année en France ?
Voilà une question
essentielle car elle illustre toute la difficulté de notre justice face à l’innocence et de surcroit face aux personnes qui ont été placées en détention
avant d’être blanchies par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement. Ce qui est
complexe dans cette masse de gens, c’est qu’il ne s’agit pas nécessairement d’évidentes et incontestables erreurs judiciaires mais
parfois de cas complexes d’affaires qui se sont effondrées en cours
de route, d’enquêtes compliquées etc… On voit cela tous les jours. J’appelle cela
« la marge d’erreur de la justice ». Le seul
chiffre officiel qui existe est celui de 500 cas par an. Il s’agit du
nombre d’individus qui se tournent vers le système de réparation de
la détention après « avoir fait de la prison pour rien ». Mais cette
démarche doit être volontaire et beaucoup, après avoir été libéré,
disparaissent dans la nature. J’évalue dans le livre le chiffre de 1000 cas d’innocentés au total par
an. Cela fait que la moitié seulement demande réparation. Appréhender cette question de façon chiffrée est si
difficile que la justice a encore du mal à le faire même si la commission de suivi de la détention
provisoire fait un travail remarquable. Et c’est également
pour cette raison que mon enquête a pris la forme d’une suite d’histoires et
de parcours individuels et non la forme d’une investigation chiffrée. Statistiquement,
la marge d’erreur ne représente rien, environ un cas sur mille
condamnations prononcées en France mais individuellement, elle est
insupportable.
4 – Vous relatez le cas
d’une indemnisation suite à la mort brutale d’un enfant tué accidentellement par un chasseur. Ce qui surprend c’est de constater que le montant est plus important pour le
père que pour la mère. Pourquoi ??
Je cite
cette indemnisation à titre d’exemple. Elle n’a rien à voir avec l’indemnisation de la prison pour les innocentés mais elle
montre à quel point pour la justice il est difficile de réparer l’irréparable. C’est pourtant
sa mission dans des tas de cas après des erreurs médicales, des accidents etc… Ici, l’indemnisation
des parents a pu être décidée de façon distincte pour des raisons d’âges, de
situation familiale, de garde d’enfants ou ce que l’on appelle la perte de chance :
si le père a perdu son emploi suite au drame, par exemple, cela donne lieu à un calcul
complexe et doit être indemnisé. Dans le cas précis, je ne peux expliquer le détail de
cette différence, n’ayant pas vu le dossier. Mais cela permet de comprendre que le mécanisme de l’indemnisation
est toujours complexe et qu’il est souvent perçu de façon injuste.
Je me suis attardé sur cet aspect là, qui me perturbe beaucoup : que
cherche t on réellement dans l’indemnisation ? Je me demande même souvent
si ce jeu financier ne forme pas une douleur supplémentaire,
une forme de torture indicible. Cette indemnisation dans tous les cas que l’on vient d’évoquer est
pourtant indispensable.
5 – L’indemnisation a ses limites, rien ne pourra refermer définitivement les blessures profondes du choc carcéral. Mais serait-il possible d’améliorer le fonctionnement de ces procédures ?
Il existe
sans doute de petits détails à revoir. Je raconte dans le livre à quel point
les avocats doivent établir des factures conformes pour que leurs clients
soient remboursés des honoraires qu’ils ont versés et à quel point cela tourne souvent à la farce. On
a l’impression d’avoir à faire à des écoliers qui truandent leurs carnets d’absence. C’est cocasse.
Plus fondamentalement, la question pour notre justice doit se porter non sur l’indemnisation
mais sur les raisons qui ont poussé l’institution judiciaire à placer tant
de gens en détention provisoire. On perçoit qu’il existe à chaque fois une bonne raison : soit les nécessités de l’enquête, soit des
risques de pressions sur les témoins ou des risques de fuite du suspect. Nous
sommes dans une société où ces risques là existent réellement. En revanche, d’autres
raisons apparaissent souvent en creux : la pression de l’opinion
publique, notamment. Qui imaginerait aujourd’hui qu’on ne place
pas en détention provisoire un suspect de viol par exemple alors que l’affaire fait
la Une ? La population n’est pas prête à l’accepter. L’enquête débute pourtant à peine. Et ce sont les mêmes qui hurlent avec les loups deux ans plus tard
quand le suspect est innocenté, qu’on se rend compte qu’un « vrai
coupable » a été arrêté et que le premier a fait de la prison pour rien. Cette pression-là ne dépend pas que
des juges. C’est une question de culture, de vision politique et de rapport collectif à notre
justice. Le garde des Sceaux sortant, Jean-Jacques Urvoas, répétait ces
derniers mois et face aux chiffres de la population carcérale en
hausse que notre pays doit sortir de la culture du cachot. Il me semble que l’on en est
loin. Mon seul espoir par ma plongée dans la
chambre des innocents est d’avoir tenté d’un peu éclairer les choses. La chambre des innocents – Mathieu Delahousse – Postface de Jean-Marie Delarue – Editions Flammarion - Avril 2017
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