Une noisette, un livre
Infiltrée dans l’enfer syrien
Sofia Amara
"Ecrire
parce que le pire reste peut-être à venir. Et pas seulement en
Syrie"
Cette
phrase écrite en 2014 par Sofia Amara résonne terriblement. Avec le
recul et les événements sanglants de ces deux dernières années,
en Syrie et aux quatre coins de la planète, la journaliste reporter
avait eu une analyse visionnaire, juste. La cascade infernale de la
guerre syrienne étant loin d’être achevée.
Installée
à Beyrouth, Sofia Amara a signé un nombre impressionnant de
reportages pour la télévision, notamment pour Arte et Canal+ mais
progressivement son travail sur le terrain devient de plus en plus
ardu. Fin 2013 elle décide de narrer par l’écriture son
expérience et sa crainte, justifiée, de voir l’enfer se répandre
sur le sol syrien avec l’arrivée des extrémistes et de ses
dérives barbares.
Et la
question qui se pose inévitablement : ce carnage humanitaire
aurait-il pu être évité sans ce mutisme occidental ? Car au
départ la rébellion syrienne était laïque et non violente, les
révolutionnaires, adeptes des écrits de Martin Luther King et
Ghandi, préféraient offrir des fleurs aux soldats de Bachar al
Assad plutôt que de pointer des armes vers leurs poitrines... Aidés
par le CANVAS (Centre for Applied Non Violence) pour éviter toute
dérive belliqueuse, les rebelles ont lutté avec des moyens infimes
contre les forces du régime. En vain. Symbole de cette défaite, la
ville de Daraya a capitulé en août 2016, un symbole car
lieu de naissance de la non violence en Syrie. Sofia Amara explique que l’un
des imams de cette ville est un disciple du cheikh Jawdat Saïd, l’un
des premiers penseurs musulmans à prôner la non violence dans
l’islam. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas parler davantage
médiatiquement de ces figures musulmanes qui prêchent une religion
tolérante...
Pendant
ce temps-là, avec la ruse diabolique du lion de Damas, les
groupes terroristes gagnent peu à peu du terrain, semant une terreur
sans précédent en Syrie, en Irak et ailleurs, massacrant avec une
sauvagerie atroce leurs propres frères car ce sont en premier les
musulmans les victimes de ces atrocités sans oublier, évidemment,
les minorités religieuses de toute confession au Moyen-Orient.
Cet
essai est à lire (ou relire) attentivement par ce récit sans
concessions sur l’enlisement de ce conflit avec les détails d’une
journaliste ayant accompagné les activistes sur tous les fronts.
Pour celui qui a suivi ses documentaires, beaucoup d’images
défilent automatiquement au fil de la lecture, notamment lors de
cette rencontre dans le noir des déserteurs du régime syrien.
Un
hommage est également rendu à tous les confrères de Sofia Amara
qui sont tombés lors de leurs reportages : Gilles Jacquier
(dont l’épouse Caroline Poiron a collaboré sur le terrain avec la
journaliste), Marie Colvin, Mika Yamamoto, James Foley, Olivier
Voisin... et ceux qui ont été blessés ou pris en otages comme
Edith Bouvier, Didier François, Edouard Elias, Nicolas hénin,
Pierre Torrés...
Quant au
peuple syrien, Atef, Suhair, Yamen, Omar, Aïcha, Ahmad, Fadi, Abou,
Hassan, Hadi... des hommes, des femmes, des jeunes, des plus âgés,
des étudiants, des déserteurs de l’armée d’al Assad, des
ouvriers, des mères, des pères...ils combattent, témoignent, y
croient encore, un peu, plus du tout... Des fenêtres se sont
ouvertes mais les portes de sont refermées...
Un livre
bouleversant que devrait lire les dirigeants qui ont fermé les yeux,
détourner leur regard de ce pays, de l'une des civilisations les
plus anciennes à la recherche d’une liberté. Syrie, berceau de
l’humanité, désormais déshumanisée malgré toutes les âmes qui
se donnent pour redonner une dignité à l’humain...
"Jamais
un peuple n’aura eu à combattre tant d’ennemis à la fois"
Infiltrée
dans l’enfer syrien, du printemps de Damas à l’Etat islamique –
Sofia Amara – Octobre 2014 – Editions Stock
Protestation non violente à Baniyas © Syrian Freedom |
Marché de la vieille ville - Homs © Louai Beshara/AFP |
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