Une noisette, un livre
La chair
Rosa Montero
Tristan et Isolde, légende celte qui a inspiré Richard Wagner
pour son opéra, suite à sa passion pour la poétesse Mathilde Wesendonck. Une
œuvre qui atteint des sommets pour un amour impossible. Un amour impossible,
inaccessible ou qu’on ne peut retenir. Comme l’expérimente Soledad Alegre,
l’héroïne de Rosa Montero pour son nouveau roman : La chair.
Soledad ou la solitude, Soledad n’a jamais vécu en couple, des
amants mais pas d’union durable. Désormais les 60 ans sonnés, la quête d’un
compagnon s’avère encore plus difficile et davantage lorsque ce sont seulement
les hommes jeunes et séduisants qui vous attirent.
Alegre, parce que malgré une certaine tristesse sur le temps qui
passe et ne se rattrape jamais, l’auteur raconte de façon tellement aérée,
tellement endiablée que ce sont des petites bulles qui pétillent dans votre
encéphale.
Soledad Alegre, commissaire d’exposition, est abandonnée par son
jeune amant, Mario, qui ne veut plus mener une double vie du fait de la grossesse
de son épouse. Soledad sait qu’elle rencontrera le couple lors d’une
représentation de Tristan et Isolde au Teatro Real. Elle veut le rendre fou de
jalousie et s’engage à louer un "accompagnateur" c'est-à-dire… un
gigolo. L’offre est variée sur le site en ligne, lequel choisir… ce sera Adam,
32 ans, 1m91, cheveux noirs, athlétique. Il est beau, très beau.
Mais (il y a toujours un mais) un événement imprévu à l’issu du
spectacle va modifier les plans du départ… une course entre plaisir et danger,
entre folie et raison, une histoire intime où le désir se mêle au vieillissement, où la
passion côtoie la colère, où la détermination brise l’impossible et où
l’impossible brise la détermination.
Ce roman est un bijou, l’une des plus belles découvertes de
cette rentrée littéraire 2017 : une fiction bien orchestrée où se mêle une
culture abyssale de l’auteure espagnole. A commencer par un kaléidoscope des
"écrivains maudits" (thème de l’exposition de la protagoniste) ou
défilent, s’il vous plait : William Burroughs, Maria Luisa Bombal, Maria
Carolina Geel, Philip le Dick, Guy de Maupassant, Maria Lejarraga, Thomas Mann,
Françoise Sagan, Ulrich von Liechtenstein, Anne Perry… s’ajoutent des morceaux
d’anthologie avec les références de "Mort à Venise", roman de Thomas
Mann, film de Luchino Visconti, opéra de Benjamin Britten, et son triste héros
Gustav von Aschenbach, qui est "terrifié par la force de ses
sentiments" ou encore la description spontanée du page si amoureux
"Cherubino" des Noces de Figaro… "Sento un affeto pien di desir, ch'ora è diletto, ch'ora è martir".
De la première à la dernière page, un festival de réflexions
judicieusement élaborées sur le sort de la femme d’âge mûr (soudainement une
pensée pour Camille Claudel surgit…) dont le désir de satisfaire son corps ne
faiblit pas grâce à l’éternel printemps de l’esprit. Les hommes peuvent se
permettre d’entretenir des relations avec des femmes plus jeunes qu’eux, le
contraire demeure tabou ou sujet de moqueries. Quant au regard porté sur les
femmes n’ayant pas eu la joie de la maternité… quel mépris parfois…
Rosa Montero devient elle-même son propre personnage de roman
avec l’histoire de Josefina Aznares, le seul écrivain inventé dans cette
galerie littéraire de l’amour solitaire et/ou tourmenté. Elle joue le jeu, avec
autodérision, tant qu’un rire de la
journaliste écrivain se fait presque entendre !
Le style de Rosa Montero est fougueux : souplesse de
l’écriture, richesse du vocabulaire, un ton à la fois désinvolte et sérieux,
une combinaison (justement il est question sur plusieurs paragraphes de
lingerie féminine) d’humour élégant et de mélancolie poétique. La fougue oui,
mais la pudeur aussi. Pudeur dans la narration des moments intimes, juste dévoiler
avec tact un érotisme idiomatique sur une partition romanesque oscillant entre
moderato, allegro, vivace et surtout crescendo !
Noisette sur l’ouvrage, une fin succulente à laquelle un célèbre
félin cinématographique (à vous de lire "La chair" pour savoir qui et pourquoi)
pourrait y voir une "étoile dominant les certitudes".
La chair – Rosa Montero – Traduction Myriam Chirousse – Editions
Métailié – Janvier 2017
Pour sublimer la lecture, quelques morceaux choisis
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