dimanche 26 juin 2016


Une noisette, une conférence


Reza Deghati

"Transmetteur d’humanité"






"Transmetteur d’humanité", c’est ainsi que le mondialement célèbre photojournaliste Reza Deghati se définit. On ne peut que lui donner raison, tant son œuvre est une ode aux valeurs humaines.

Invité d’honneur de la 6° édition du Festival Photographique de Moncoutant dans les Deux-Sèvres (1), il a donné, lors de son inauguration vendredi dernier, une conférence au cinéma Le Stella. Comme à chaque fois le public, venu nombreux, a été enthousiasmé par son discours qui redonne espoir en l’humanité.

Le message est clair dès le départ : "mon travail c’est vraiment les êtres humains". Et pour pouvoir communiquer entre les peuples, il a choisi, dès l’adolescence, l’image parce qu’il "n’arrivait pas à écrire avec les mots" et face aux régimes iraniens ( Mohammad Reza Pahlavi puis Rouhollah Mousavi Khomeini) il fallait trouver un moyen pour s’exprimer et transmettre, "c’est l’appareil photo qui m’a sauvé".

En l’espace de 2 heures, on voyage de l’Afghanistan au Pakistan, en passant par la Turquie, le Liban, l’Inde, l’Algérie, le Cambodge, l’Azerbaïdjan, le Guatemala... mais pas comme un touriste générique, non, on voyage avec le cœur pour découvrir et comprendre l’autre...

Deux "thèmes" sont chers au photographe : l’absurdité des guerres et le sort des réfugiés.

"Toutes les guerres sont décidées ailleurs que sur le terrain et pour d’autres motifs que ceux révélés (…) et ne pas oublier que tout être vivant est victime de la guerre : les habitants, les soldats, les animaux.. tous sont victimes de ces guerres non voulues par le peuple". Et d’ajouter : "la guerre, comme la famine, tant que l’on ne l’a pas vécue, on ne peut pas comprendre".

Un conflit entraîne forcément des réfugiés qui fuient les horreurs, les massacres. En ce début du XXI° siècle où jamais le nombre de déplacés n’a été aussi important, Reza rappelle avec justesse "que tous ces gens qui quittent leur pays veulent y retourner mais ils sont contraints de fuir pour sauver leur vie, leur famille. Cette solution d’être obligé de quitter sa terre peut arriver à tout le monde".

D’où un gros effort du photojournaliste, avec la fondation Aina qu’il a créée, de former des réfugiés à la photographie pour qu’ils racontent eux-mêmes leur histoire. Et au-delà de ce travail, la photo peut devenir une solution. Comme, par exemple, au Rwanda où une exposition de plus de 12.000 photos a permis à plusieurs milliers d’enfants de retrouver leur famille.

Pour éviter que le monde se déchire, des clefs permettraient d’ouvrir la paix. Il suffit, quand on les détient, de les utiliser. Parmi les clefs, celle du respect d’autrui : "respecter la culture des autres pour ne pas devenir des ennemis, ne pas la piétiner comme, par exemple, les soldats américains qui entrent dans une mosquée avec leurs chaussures". Une autre clef, est l’amour, l’amour du prochain, l’amour de la nature, l’amour des belles choses, "si on n’aime pas quelque chose, on ne pourra pas le défendre".

Une clef beaucoup plus difficile à manipuler est celle de la spiritualité. Selon Reza on a tort de penser que tout ce qui se passe est à cause des religions car "dans certains pays il y a des religions qui vivent en paix(...) il faut juste que la religion ne devienne pas une idéologie politique". On peut citer, l’île de la Réunion où toutes les communautés cohabitent, l’Azerbaïdjan où des chrétiens partagent le repas du ramadan avec des musulmans où lorsque qu’à Kaboul un riche ingénieur musulman a permis la reconstruction d’une église avec un énorme soutien financier. Les exemples et les photos qui se déroulent devant nos yeux respirent la splendeur et ce sont ces témoignages qu’il faudrait beaucoup plus diffuser pour démontrer que le vivre ensemble est possible.

Ne pas oublier également la clef de la formation, surtout dans les banlieues difficiles car il faut s’occuper "des plus vulnérables" et enfin celle de l’art : "l’art est la solution à tous nos problèmes, à condition que chacun y mette son cœur".

L’émotion était de chaque instant durant cette soirée. Mais son curseur grimpa encore lorsqu’il évoqua un combattant de la liberté, un héros de la résistance afghane, un ami avec "la chaleur d’un homme simple": le commandant Ahmed Chah Massoud. Un hommage vibrant sur fond de photos de la vallée du Panshir et du visage si emblématique du commandant ; 16 années d’amitié où ils partageaient le même humanisme et... la même passion pour les chevaux.

Autre drame évoqué par Reza, celui de la famine "plaie de la civilisation et on se demande comment on n’arrive toujours pas à trouver une issue". Comme pour les photos de guerre, Reza préfère ne pas prendre de clichés d’horreurs ,"ce ne sont pas forcément les meilleures photos car rien que dans les yeux des survivants, on voit qu’ils subissent une souffrance". "Il faut laisser transcrire la dignité de l’être humain dans des situations terribles" telle cette image d’un enfant affamé dans la position du penseur de Rodin qui nous fait réfléchir sur le pourquoi du comment... Et un message à diffuser auprès de celles et ceux trop gourmands de voyeurisme...

Ne pas attendre de Reza un cours technique sur la photographie mais tout simplement un cours sur la communication entre les êtres. A la manière d’un de ses maîtres, Henri Cartier Bresson pour qui une photo "n’était pas celle où tout le monde court". Beaucoup d’efforts pour arriver à une telle perfection dans l’élégance et la transcription des sentiments et cela nécessite "une immersion totale dans un peuple, dans une histoire".

Reza, photographe des âmes, photographe humaniste, qui essaie par son art de faire comprendre que le pacifisme est une nécessité absolue... et de clore la conférence par quelques vers du "Déserteur" !

Merci Monsieur Reza pour votre humanité, merci pour essayer de la transmettre en arpentant les quatre coins de la planète. Merci tout simplement pour ce que vous êtes.



(1) Du 24 juin au 30 septembre


© Reza


Aucun commentaire:

  Noisette romaine L’ami du prince Marianne Jaeglé     L’amitié aurait pu se poursuivre, ils se connaissaient, l’un avait appris à...