Une noisette, une conférence
Reza Deghati
"Transmetteur d’humanité"
"Transmetteur
d’humanité", c’est ainsi que le mondialement célèbre
photojournaliste Reza Deghati se définit. On ne peut que lui donner
raison, tant son œuvre est une ode aux valeurs humaines.
Invité
d’honneur de la 6° édition du Festival Photographique de Moncoutant dans les Deux-Sèvres (1), il a donné, lors de son
inauguration vendredi dernier, une conférence au cinéma Le Stella.
Comme à chaque fois le public, venu nombreux, a été enthousiasmé
par son discours qui redonne espoir en l’humanité.
Le
message est clair dès le départ : "mon travail c’est
vraiment les êtres humains". Et pour pouvoir communiquer entre
les peuples, il a choisi, dès l’adolescence, l’image parce qu’il
"n’arrivait pas à écrire avec les mots" et face aux
régimes iraniens ( Mohammad Reza Pahlavi puis Rouhollah Mousavi
Khomeini) il fallait trouver un moyen pour s’exprimer et
transmettre, "c’est l’appareil photo qui m’a sauvé".
En
l’espace de 2 heures, on voyage de l’Afghanistan au Pakistan, en
passant par la Turquie, le Liban, l’Inde, l’Algérie, le
Cambodge, l’Azerbaïdjan, le Guatemala... mais pas comme un
touriste générique, non, on voyage avec le cœur pour découvrir et
comprendre l’autre...
Deux
"thèmes" sont chers au photographe : l’absurdité
des guerres et le sort des réfugiés.
"Toutes
les guerres sont décidées ailleurs que sur le terrain et pour
d’autres motifs que ceux révélés (…) et ne pas oublier que
tout être vivant est victime de la guerre : les habitants, les
soldats, les animaux.. tous sont victimes de ces guerres non voulues
par le peuple". Et d’ajouter : "la guerre, comme
la famine, tant que l’on ne l’a pas vécue, on ne peut pas
comprendre".
Un
conflit entraîne forcément des réfugiés qui fuient les horreurs,
les massacres. En ce début du XXI° siècle où jamais le nombre de
déplacés n’a été aussi important, Reza rappelle avec justesse
"que tous ces gens qui quittent leur pays veulent y retourner
mais ils sont contraints de fuir pour sauver leur vie, leur famille.
Cette solution d’être obligé de quitter sa terre peut arriver à
tout le monde".
D’où
un gros effort du photojournaliste, avec la fondation Aina qu’il a
créée, de former des réfugiés à la photographie pour qu’ils
racontent eux-mêmes leur histoire. Et au-delà de ce travail, la
photo peut devenir une solution. Comme, par exemple, au Rwanda
où une exposition de plus de 12.000 photos a permis à plusieurs
milliers d’enfants de retrouver leur famille.
Pour
éviter que le monde se déchire, des clefs permettraient d’ouvrir
la paix. Il suffit, quand on les détient, de les utiliser. Parmi les
clefs, celle du respect d’autrui : "respecter la
culture des autres pour ne pas devenir des ennemis, ne pas la
piétiner comme, par exemple, les soldats américains qui entrent
dans une mosquée avec leurs chaussures". Une autre clef, est
l’amour, l’amour du prochain, l’amour de la nature, l’amour
des belles choses, "si on n’aime pas quelque chose, on ne
pourra pas le défendre".
Une clef
beaucoup plus difficile à manipuler est celle de la spiritualité.
Selon Reza on a tort de penser que tout ce qui se passe est à cause
des religions car "dans certains pays il y a des religions qui
vivent en paix(...) il faut juste que la religion ne devienne pas une
idéologie politique". On peut citer, l’île de la Réunion
où toutes les communautés cohabitent, l’Azerbaïdjan où des
chrétiens partagent le repas du ramadan avec des musulmans où
lorsque qu’à Kaboul un riche ingénieur musulman a permis la
reconstruction d’une église avec un énorme soutien financier. Les
exemples et les photos qui se déroulent devant nos yeux respirent la
splendeur et ce sont ces témoignages qu’il faudrait beaucoup plus
diffuser pour démontrer que le vivre ensemble est possible.
Ne pas
oublier également la clef de la formation, surtout dans les
banlieues difficiles car il faut s’occuper "des plus
vulnérables" et enfin celle de l’art : "l’art
est la solution à tous nos problèmes, à condition que chacun y
mette son cœur".
L’émotion
était de chaque instant durant cette soirée. Mais son curseur
grimpa encore lorsqu’il évoqua un combattant de la liberté, un
héros de la résistance afghane, un ami avec "la chaleur
d’un homme simple": le commandant Ahmed Chah Massoud. Un
hommage vibrant sur fond de photos de la vallée du Panshir et du
visage si emblématique du commandant ; 16 années d’amitié
où ils partageaient le même humanisme et... la même passion pour
les chevaux.
Autre
drame évoqué par Reza, celui de la famine "plaie de la
civilisation et on se demande comment on n’arrive toujours pas à
trouver une issue". Comme pour les photos de guerre, Reza
préfère ne pas prendre de clichés d’horreurs ,"ce ne
sont pas forcément les meilleures photos car rien que dans les yeux
des survivants, on voit qu’ils subissent une souffrance".
"Il faut laisser transcrire la dignité de l’être humain
dans des situations terribles" telle cette image d’un enfant
affamé dans la position du penseur de Rodin qui nous fait réfléchir
sur le pourquoi du comment... Et un message à diffuser auprès de celles
et ceux trop gourmands de voyeurisme...
Ne pas
attendre de Reza un cours technique sur la photographie mais tout
simplement un cours sur la communication entre les êtres. A la
manière d’un de ses maîtres, Henri Cartier Bresson pour qui une
photo "n’était pas celle où tout le monde court".
Beaucoup d’efforts pour arriver à une telle perfection dans
l’élégance et la transcription des sentiments et cela nécessite
"une immersion totale dans un peuple, dans une histoire".
Reza,
photographe des âmes, photographe humaniste, qui essaie par son art
de faire comprendre que le pacifisme est une nécessité absolue...
et de clore la conférence par quelques vers du "Déserteur" !
Merci
Monsieur Reza pour votre humanité, merci pour essayer de la
transmettre en arpentant les quatre coins de la planète. Merci tout
simplement pour ce que vous êtes.
(1) Du
24 juin au 30 septembre
© Reza