Une noisette, une interview
Clarence Rodriguez
"La femme saoudienne me donne chaque jour une leçon d'humilité et de persévérance"
Clarence Rodriguez vit depuis 10 ans en Arabie Saoudite. Elle est la seule journaliste à être accréditée comme correspondante
permanente pour différents magazines et médias. Elle est l’auteure de "Révolution sous le voile" paru en 2014 aux éditions First et vient de réaliser un documentaire "Arabie
Saoudite, paroles de femmes" qui sera diffusé le 8 décembre à 21H45 sur France5
dans l'émission "Le Monde en face".
1 – Ce
documentaire, co-réalisé avec Bernard Cazedepats, est un peu la retranscription
par l’image des situations et des combats évoqués dans votre livre ?
Pas tout à
fait ! Vous retrouvez seulement deux personnages du livre Madeha, et
Hoda. J'ai voulu présenter une société de femmes actives la plus représentative
même si elle n'est pas exhaustive.
2 – Parmi les nombreux
portraits de femmes, il y a celui de Madeha Al Alasjroush, une des premières
militantes pour "le droit au volant". Quel est le parcours de cette
saoudienne ?
Madeha a étudié aux Etats-Unis où elle a obtenu
son diplôme de psychothérapeute. Elle est également passionnée de photographie.
Madeha fait partie des 47 militantes saoudiennes a avoir bravé l'interdiction de
conduire en novembre 1990 et pour ce fait elle a été arrêtée par la police religieuse. C'est une militante de la première heure.
3 - Conduire
pour une femme est toujours strictement interdit dans le royaume wahhabite ?
Oui, compte tenu de la situation délétère dans le royaume, la conduite des
femmes n'est pas une priorité. Les militantes au droit de conduire ont mis "le
pied sur le frein" surtout après les arrestations de Loujain et Maysaa en novembre
2014. Les deux saoudiennes ont en effet passé deux mois et demi en prison pour
avoir osé prendre le volant à la frontière entre les Emirats Arabes Unis et
l'Arabie Saoudite.
4 – Et
puis, il y a la basketteuse Lina Almaneena. Le sport est-il un catalyseur pour
unir/réunir la force des femmes ?
Le sport féminin en public est interdit en
Arabie Saoudite. Lina a fondé le club "Jeddah United" dans la douleur. Mais
grâce à sa pugnacité, sa persévérance et surtout les aides de son père et de son
mari, elle est parvenue à faire de ce club, une véritable vitrine, une référence
du sport à Jeddah.
5 – Ce
documentaire a nécessité 6 années de tournage. Avez-vous eu à vous confronter à
la censure ou pas du tout ?
Entre le moment où j'ai eu l'idée de réaliser ce
documentaire et le moment où nous l'avons réalisé avec Bernard, six années se
sont écoulées. Sinon, nous avons tourné et suivi nos héroïnes durant un mois de
Riyad à Jeddah... Aucune censure. En revanche nous n'avons obtenu
l'accréditation deux jours avant la fin du tournage. Nous avons pris des
risques, nous les avons assumés. Mais tout s'est bien passé.
6 –
Existe-t-il officiellement des associations pour le droit des femmes ? Des
hommes aident-ils à lever le voile ?
Sans les hommes, les femmes que nous avons
rencontrées n'auraient pas accepté de témoigner à visage découvert. Il existe des
hommes "progressistes" qui souhaiteraient que les femmes occupent une place
plus importante dans la société.
7 – En
2011, le roi Abdallah accorde le droit de vote aux femmes. Depuis janvier 2015,
c’est le roi Salmane qui est à la tête du royaume. La monarchie est-elle prête à
favoriser l’émancipation des femmes ? Doit-elle faire face, encore et toujours,
aux autorités religieuses ?
Le roi Salman poursuit la politique menée auparavant
par son demi frère feu le roi Abdallah. Mais le contexte géopolitique a évolué,
changé. Le royaume traverse des turbulences. Les autorités saoudiennes doivent
affronter Daesh et les jihadistes saoudiens qui reviennent d'Irak ou de Syrie pour
semer le chaos dans le royaume. L'Arabie Saoudite est également engagée dans
les coalitions au Yemen et en Syrie.
8 –
Eternelles mineures, 900 candidates vont pourtant entrer en lice le 29 novembre
pour les élections municipales du 12 décembre. Un paradoxe ou bien un message du
pays pour donner une image plus positive ?
Cela fait partie de la politique des
"petits pas"... C'est une avancée pour les femmes qui ont attendu dix ans
avant de participer à ces élections. Il est évident qu'il ne faut pas s'attendre
à un séisme électoral et pour cause ! La population saoudienne n'a pas la
culture des élections. Il faudra encore attendre quelques années pour être
éduqués.
9 – Par
extension, si Raif Badawi est gracié, ce serait une mesure pour effacer les
autres atteintes aux droits de l’homme, ou bien le début d’une ouverture
politique ?
Concernant ce dossier brûlant, les autorités saoudiennes ont déjà
fait savoir qu'elles ne souhaitaient pas que l'on s'immisce dans leurs affaires
internes. Elles n'agiront jamais sous la pression.
10 – Par
rapport à vous, j’ai choisi cette photo pour illustrer l’interview parce qu’il
me semble que le chapeau a une signification particulière ?
Depuis une vingtaine d'années je
porte le chapeau. Lorsque je suis arrivée en Arabie, en août 2005, j'avais
décidé de ne jamais porter le voile. Considérant que le chapeau, couvre mes
cheveux. En dix ans, je n'ai jamais essuyé la moindre réflexion. Ce chapeau est
devenu un signe distinctif. Pour de nombreux saoudiens, il m'appelle "La
française au chapeau".
11 – C’est
traditionnel, le petit quizz pour en savoir davantage...
- Un roman : "le voyage dans le passé" de Stefen Zweig
- Un personnage : Mandela
- Un(e) écrivain(e) : Stefen Zweig et Romain Gary
- Une musique : La pavane de Gabriel Fauré
- Un film : Invictus
- Une peinture : Guernica
- Une photographie : Une photo que j'ai prise lors du tournage du documentaire. Une saoudienne au bord de la falaise scrute l'horizon, elle porte son voile au-dessus de sa tête. Impression qu'elle va s'envoler vers la liberté...
- Un animal : Un cheval
- Un dessert : Tarte au citron
- Une devise/une citation : "Je n'ai qu'une seule ambition, ne pas plaire à tout le monde. Plaire à tout le monde c'est plaire à n'importe qui. " Sacha Guitry
Merci Clarence Rodriguez . Je vous laisse terminer cet entretien pour exprimer votre
sentiment après de longs mois de tournage avec vos doutes mais vos espoirs aussi
:
Toutes ces femmes rencontrées
à l'occasion de ce documentaire, ou que je côtoie au quotidien forcent le
respect. Elles me donnent chaque jour des leçons, d'humilité et de persévérance.
En vivant à leur côté, je me dis que je n'ai pas le droit de me
plaindre".
"Arabie
Saoudite, portraits de femmes" documentaire co-réalisé par Clarence Rodriguez
et Bernard Casedepats – Mardi 8 décembre 2015 à 21H45 sur
France5
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire