jeudi 3 décembre 2015

Une noisette, une interview

 

Clarence Rodriguez

 

"La femme saoudienne me donne chaque jour une leçon d'humilité et de persévérance"


Clarence Rodriguez vit depuis 10 ans en Arabie Saoudite. Elle est la seule journaliste à être accréditée comme correspondante permanente pour différents magazines et médias. Elle est l’auteure de "Révolution sous le voile" paru en 2014 aux éditions First et vient de réaliser un documentaire "Arabie Saoudite, paroles de femmes" qui sera diffusé le 8 décembre à 21H45 sur France5 dans l'émission "Le Monde en face".

 
1 – Ce documentaire, co-réalisé avec Bernard Cazedepats, est un peu la retranscription par l’image des situations et des combats évoqués dans votre livre ?
Pas tout à fait ! Vous retrouvez seulement deux personnages du livre Madeha, et Hoda. J'ai voulu présenter une société de femmes actives la plus représentative même si elle n'est pas exhaustive.

 2 – Parmi les nombreux portraits de femmes, il y a celui de Madeha Al Alasjroush, une des premières militantes pour "le droit au volant". Quel est le parcours de cette saoudienne ?
Madeha a étudié aux Etats-Unis où elle a obtenu son diplôme de psychothérapeute. Elle est également passionnée de photographie. Madeha fait partie des 47 militantes saoudiennes a avoir bravé l'interdiction de conduire en novembre 1990 et pour ce fait elle a été arrêtée par la police religieuse. C'est une militante de la première heure.
 
3 - Conduire pour une femme est toujours strictement interdit dans le royaume wahhabite ? Oui, compte tenu de la situation délétère dans le royaume, la conduite des femmes n'est pas une priorité.  Les militantes au droit de conduire ont mis "le pied sur le frein" surtout après les arrestations de Loujain et Maysaa en novembre 2014. Les deux saoudiennes ont en effet  passé deux mois et demi en prison pour avoir osé prendre le volant à la frontière entre les Emirats Arabes  Unis et l'Arabie Saoudite. 

4 – Et puis, il y a la basketteuse Lina Almaneena. Le sport est-il un catalyseur pour unir/réunir la force des femmes ?
Le sport féminin en public est interdit en Arabie Saoudite. Lina a fondé le club "Jeddah United" dans la douleur. Mais grâce à sa pugnacité, sa persévérance et surtout les aides de son père et de son mari, elle est parvenue à faire de ce club, une véritable vitrine, une référence du sport à Jeddah.

5 – Ce documentaire a nécessité 6 années de tournage. Avez-vous eu à vous confronter à la censure ou pas du tout ?  
Entre le moment où j'ai eu l'idée de réaliser ce documentaire et le moment où nous l'avons réalisé avec Bernard, six années se sont écoulées. Sinon, nous avons tourné et suivi nos héroïnes durant un mois de Riyad à Jeddah... Aucune censure. En revanche nous n'avons obtenu l'accréditation deux jours avant la fin du tournage. Nous avons pris des risques, nous les avons assumés. Mais tout s'est bien passé.

6 – Existe-t-il officiellement des associations pour le droit des femmes ? Des hommes aident-ils à lever le voile ?  
Sans les hommes, les femmes que nous avons rencontrées n'auraient pas accepté de témoigner à visage découvert. Il existe des hommes "progressistes" qui souhaiteraient que les femmes occupent une place plus importante dans la société.

7 – En 2011, le roi Abdallah accorde le droit de vote aux femmes. Depuis janvier 2015, c’est le roi Salmane qui est à la tête du royaume. La monarchie est-elle prête à favoriser l’émancipation des femmes ? Doit-elle faire face, encore et toujours, aux autorités religieuses ?
Le roi Salman poursuit la politique menée auparavant par son demi frère feu le roi Abdallah. Mais le contexte géopolitique a évolué, changé. Le royaume traverse des turbulences.  Les autorités saoudiennes doivent affronter Daesh et les jihadistes saoudiens qui reviennent d'Irak ou de Syrie pour semer le chaos dans le royaume.  L'Arabie Saoudite est également engagée dans les coalitions au Yemen et en Syrie. 

8 – Eternelles mineures, 900 candidates vont pourtant entrer en lice le 29 novembre pour les élections municipales du 12 décembre. Un paradoxe ou bien un message du pays pour donner une image plus positive ?
Cela fait partie de la politique des "petits pas"... C'est une avancée pour les femmes qui ont attendu dix ans avant de participer à ces élections. Il est évident qu'il ne faut pas s'attendre à un séisme électoral et pour cause ! La population saoudienne n'a pas la culture des élections. Il faudra encore attendre quelques années pour être éduqués.

9 – Par extension, si Raif Badawi est gracié, ce serait une mesure pour effacer les autres atteintes aux droits de l’homme, ou bien le début d’une ouverture politique ?  
Concernant ce dossier brûlant, les autorités saoudiennes ont déjà fait savoir qu'elles ne souhaitaient pas que l'on s'immisce dans leurs affaires internes. Elles n'agiront jamais sous la pression. 

10 – Par rapport à vous, j’ai choisi cette photo pour illustrer l’interview parce qu’il me semble que le chapeau a une signification particulière ?
Depuis une vingtaine d'années je porte le chapeau. Lorsque je suis arrivée en Arabie,  en août 2005, j'avais décidé de ne jamais porter le voile. Considérant que le chapeau, couvre mes cheveux. En dix ans, je n'ai jamais essuyé la moindre réflexion. Ce chapeau est devenu un signe distinctif. Pour de nombreux saoudiens, il m'appelle "La française au chapeau".

11 – C’est traditionnel, le petit quizz pour en savoir davantage...
  • Un roman : "le voyage dans le passé" de Stefen Zweig   
  • Un personnage : Mandela
  • Un(e) écrivain(e) : Stefen Zweig et Romain Gary
  • Une musique :  La pavane de Gabriel Fauré
  • Un film :  Invictus
  • Une peinture : Guernica
  • Une photographie : Une photo que j'ai prise lors du tournage du documentaire. Une saoudienne au bord de la falaise scrute l'horizon, elle porte son voile au-dessus de sa tête. Impression qu'elle va s'envoler vers la liberté...
  • Un animal : Un cheval
  • Un dessert : Tarte au citron
  • Une devise/une citation : "Je n'ai qu'une seule ambition, ne pas plaire à tout le monde. Plaire à tout le monde c'est plaire à n'importe qui. "​ Sacha Guitry 

Merci Clarence Rodriguez . Je vous laisse terminer cet entretien pour exprimer votre sentiment après de longs mois de tournage avec vos doutes mais vos espoirs aussi : 

Toutes ces femmes rencontrées à l'occasion de ce documentaire, ou que je côtoie au quotidien forcent le respect. Elles me donnent chaque jour des leçons, d'humilité et de persévérance. En vivant à leur côté, je me dis que je n'ai pas le droit de me plaindre".


"Arabie Saoudite, portraits de femmes"  documentaire co-réalisé par Clarence Rodriguez et  Bernard Casedepats – Mardi 8 décembre 2015 à 21H45 sur France5

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