Souvenirs d'un médecin d'autrefois

mercredi 29 janvier 2025

 

Noisette historique

Colditz, la forteresse d’Hitler

Ben Macintyre

 




Chaque livre du journaliste et historien britannique Ben Macintyre est une source d’informations écrite avec un souffle romanesque malgré la véracité des faits, il est véritablement le John le Carré du document, le célèbre romancier qualifiant d’ailleurs Ben Macintyre de meilleur auteur du roman d’espionnage !

Colditz, située en Saxe, abrite un château du XI° siècle surplombant une colline et d’aspect, disons, sévère. Cette configuration gothique ne pouvait que plaire au maître du III° Reich pour y enfermer les prisonniers de guerre les plus récalcitrants. Mais attention, par n’importe lesquels, seulement les hauts gradés avec quelques ordonnances pour les servir… ennemis du Führer mais avec le respect de leur statut et de la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre (1929) bien loin des camps de travail.

Véritable melting-pot – Anglais, Polonais, Français, Néerlandais, Indiens… puis ensuite Américains, parfois même, lieu de carnet mondain pour la célébrité de quelques-uns comme le neveu de Winston Churchill, Giles Romily, ou le fils de Léon Blum, Robert Blum – où les prisonniers gardaient la fibre de l’évasion. Certains réussirent, d’autres pas mais chaque évasion était planifiée minutieusement avec une prouesse qui dépasse l’entendement. Puisque la forteresse était maintenue dans une surveillance extrême et même renforcée lors de chaque tentative ou succès d’évasion. Ces officiers n’étaient pas que des fins stratèges et de vaillants combattants, leurs mains avaient du génie, leur cerveau imaginatif au plus haut degré.

Ben Macintyre ne se contente pas de narrer les détails des évasions, il fait entrer le lecteur au cœur de la forteresse devenue prison mais lieu de vie, ou plutôt de survie, de ces hommes. Sont créées des distractions – théâtre, musique, sport – et quelques promenades hautement encadrées parfois à l’extérieur. Mais ce que veut faire ressortir l’auteur c’est que l’enfermement n’entraînait pas de portes closes aux mentalités respectives : le statut social se devait d’être respecté – genre on ne mélange pas les torchons avec les serviettes, les officiers d’un côté, les ordonnances de l’autre avec un régime bien différent (comme en témoigne l’odieux Douglas Bader avec son ordonnance Alex Ross, même la guerre terminée) et où l’antisémitisme et le racisme rampaient dans les rangs. Les prisonniers juifs français bien qu’étant officiers furent envoyés dans un grenier ghetto à la demande des… Français non Juifs !

« De nombreux britanniques furent choqués et consternés de découvrir que certains Français partageaient l’antisémitisme des Allemands. Les Français étaient déjà divisés, comme la France elle-même, entre ceux qui étaient impatients de rejoindre de Gaulle pour combattre les nazis, et ceux qui soutenaient le régime de Vichy (…) Airey Neave était particulièrement indigné par le bannissement des Juifs français. Pour montrer leur solidarité, les Britanniques invitèrent ostensiblement les bannis à dîner dans leur mess ».

Cependant les Anglais de Colditz n’ont eu guère de scrupules à rejeter l’un des rares officiers indiens : Birendranath Mazumdar qui n’était pas au bout de ses peines avec les tentatives d'Hitler de le récupérer politiquement par rapport à la domination britannique en Inde, d'autant plus que Mazumdar était nationaliste. Mais il renfermait au plus profond de lui-même une dignité inébranlable, une leçon apprise de son père « devoir, loyauté, moralité, sincérité ». Ce qu’il adopta et refusa tout basculement avec les nazis. Ses concitoyens le soupçonnaient pourtant d’avoir trahi Sa Majesté et le loyal Mazumdar se retrouva banni de tous, complètement isolé à Colditz « L’indien de haute caste était devenu un intouchable » Évadé en 1943, il traversa la France avec un compatriote, furent aidé du Loiret au Jura en passant par le Cher et maintes fois accueillis remarquablement dans des fermes sur leur passage. Mais une fois en Suisse, ses mésaventures étaient loin d’être terminées, même après la guerre.

Du côté des Allemands, c’était plutôt la division, comme l’a souligné le « Leutnant » Reinhold Eggers : « Nous ne formions pas une équipe harmonieuse ». Eggers, le « Kommandant » Schmidt n’étaient pas partisans du nazisme, refusaient le salut nazi, alors que d’autres comme le « Hauptmann » Paul Priem baignait dans un fascisme notoire et auraient voulu imposer une discipline bien plus mortelle. Le cours des choses bifurqua après le débarquement en Normandie et après 1944 jusqu’à la libération de la forteresse le 16 avril 1945 par les Américains. Ces prisonniers qui avaient imaginé mille et un scénarios pour filer à l’anglaise, devaient désormais se battre encore contre leurs geôliers pour rester enfermés : la déroute allait bon train mais les nazis allaient lutter jusqu’au bout en prenant Colditz ! La résistance s’amplifia avec l’aide d’une partie de la population locale – dont une jeune femme, Irma Wernicke, assistante du dentiste de la ville et maîtresse du pilote tchèque Cenek Chaloupka (probablement l’unique liaison parmi les prisonniers), et ce, malgré les bombardements américains intensifs sur la population.

Ce livre est bien loin du mythe de Colditz entretenu par de longs métrages et quelques écrits plus ou moins rocambolesques. L’auteur n’oublie pas d’évoquer l’autre prison, « Aussenkommando 24 », bien moins connue, véritable camp d’extermination réservé aux juifs hongrois, la plupart venant de Buchenwald et condamnés à mort par le travail dans des conditions insoutenables.

Colditz, la forteresse d’Hitler – Ben Macintyre – Traduction : Richard Robert – Éditions Pocket – Septembre 2024 (Première édition française publiée en mars 2023 aux éditions Alisio)

 

 

 

samedi 25 janvier 2025

 

Noisette enquêtrice

Le pharaon de Montarcher

Alain Denis

 


Un cadavre, disons d’un certain âge, découvert par hasard enseveli dans un champ, une disparition inquiétante, une femme retrouvée en petits morceaux éparpillés aux alentours de Lyon… il s’en passe des choses en Rhône-Alpes… Et bizarrement, elles sont, peut-être, liées aux mystérieux agissements d’un gourou près d’Avignon où, là encore, il semble que certains éparpillent des corps façon puzzle.

Mais il en faut bien davantage au commandant Hervé Poitevin pour baisser les bras même si certaines opérations sont à haut risque. De toute façon, enquêter lui offre un double avantage : il retrouve son ami le brigadier-chef Raymond Dugrain à Avignon et passer des journées entières pour anéantir ce nid de serpents vénéneux lui permet d’oublier plus ou moins ses soucis conjugaux avec Maryse Fougerouse, lieutenant au même commissariat de Saint-Étienne.

On ne s’ennuie pas avec l’imagination débordante d’Alain Denis ! Une histoire rondement menée dans le milieu des sectes qui n’est pas sans rappeler celle de Mandarom près de Castellane. Un polar dans la pure tradition qui bénéficie de dialogues percutants et vivants pour devenir enquêteur le temps d'une lecture.

Le pharaon de Montarcher – Alain Denis – Éditions Caïman/Actes Graphiques – Août 2017

 

 

mercredi 22 janvier 2025

 

Noisette intime

Je pense que j’en aurai pas

Catherine Gauthier

 


Par des traits de crayon et quelques phrases, la graphiste Catherine Gauthier nous livre un récit personnel et pudique, accompagné de témoignages de femmes n’ayant pu, comme elle, avoir un enfant.

« J’ai pas dit que j’en veux pas. J’ai dit que j’en aurai pas ». La phrase qui résonne dès le début du livre. Parfois, ne pas être mère est un choix délibéré mais également – et peut-être plus souvent - c’est le destin qui décide cette absence de maternité. Pour des raisons multiples. La plupart sont évoquées dans ce livre très percutant. Reste cette question majeure qui a hanté des générations de femmes du monde entier et qui se doit encore, hélas, d’être posée : peut-on être femme sans avoir d’enfant ? Car, quel que soit le pourquoi, quel que soit le flou, peut-on se permettre de juger, d’écarter voire d’humilier une femme sans progéniture ?

Dessins réels, tout en finesse face à une pression réelle… beaucoup moins tendre. Ces regards sous-entendus qui mettent mal à l’aise les femmes confrontées à une différence dans nos sociétés formatées depuis la nuit des temps. L’illustratrice met noir sur blanc cette sempiternelle réaction face à une femme sans maternité : « la question des enfants a toutefois été vite soulevée. Par les autres ».

Pourtant, pourquoi faire culpabiliser. L’autrice met en lumière une femme vers la fin de son trentenaire qui n’a cessé de s’interroger. En avoir ou bien attendre encore. Le temps passe, les interrogations sont incessantes, donner la vie est une énorme responsabilité.

Un thème pas suffisamment évoqué dans les médias et les arts : en 2025 la non-maternité demeure encore un sujet tabou. Catherine Gauthier l’aborde tout en délicatesse et plus que les mots, ses croquis sont criants de vérité et révèlent le sort d’une femme qui n’a jamais eu et n’aura jamais pendant neuf mois un mignon ventre rond.

Un ouvrage essentiel, saupoudré de poésie et de bienveillance pour qu’une femme, mère ou non mère, ne soit plus jugée mais simplement écoutée, vue en tant qu’être humain. Le reste ressort de l’intimité et de la liberté.

« Je me fabrique un visage tous les matins et j’y dessine un sourire »

« La maternité est un sujet épineux. Les gens ne réalisent pas que leurs questions peuvent soulever des tempêtes. Qui sait ce qui se cache derrière le sourire poli d’une femme ? Dans son ventre ».

   


Je pense que j’en aurai pas – Catherine Gauthier – Éditions des Équateurs – Janvier 2025

lundi 20 janvier 2025

 

Noisette japonaise

Amours sismiques

Florence Marville

 


La terre n’est pas seule à connaître des remous, des tremblements, des vibrations. Les âmes humaines vivent des soubresauts pouvant provoquer des tsunamis dans les cœurs. Surtout lorsque des plaques affectives se rencontrent et proviennent d’horizons bien différents. Émeline va faire partie de ses secousses en épousant Seiji pendant que des ondes de retour vont atteindre d’autres personnages comme Akio et Megumi…

Dans les années 90, Émeline part au Japon pour perfectionner son parcours estudiantin. Accompagnée de son amie Anna – qui est une parfaite définition de la pure amitié – elle s’amourache de Seiji et l’épouse malgré ses craintes, ses futurs beaux-parents lui faisant bien comprendre qu’elle ne sera jamais une vraie japonaise. Le grand amour va rapidement s’effriter, surtout après la naissance de sa fille qui devient une quasi otage de sa grand-mère paternelle. Délaissée, se sentant étrangère malgré ses efforts d’intégration, Émeline va succomber à la tentation d’une relation extra-conjugale au pays des Love Hotels…

Un premier roman parfaitement réussi pour Florence Marville sans aucun temps mort et avec une belle progression dans la narration. Sans connaître la biographie de l’autrice, le lecteur se rendra compte que c’est une fine connaisseuse du Japon et de ses mœurs avec, en parallèle, des descriptions rondement menées sur la vie japonaise et son environnement. L’histoire montre combien les couples issus de culture différente peuvent se retrouver confrontés à une incompréhension tout en s’efforçant pourtant d’épouser les us et coutumes. Si l’amour est l’épicentre du roman, l’amitié tient une merveilleuse place et remporte la victoire sur sa capacité à surmonter les épreuves.

Amours sismiques – Florence Marville – Éditions Favre – Janvier 2025

jeudi 16 janvier 2025

 

Noisette de réconciliation

D’une rive à l’autre

Hélène Legrais

 


Après plus de 130 ans de colonisation et d’une guerre de 1954 à 1962, les accords d’Évian signent l’indépendance de l’Algérie. C’est le début du retour des pieds-noirs en France, et en mai les quais de Port-Vendres en Catalogne française accueillent des milliers de rapatriés. Cette terre qui a connu quelques décennies auparavant la Retirada puis l’enfermement des Juifs et Tziganes au camp de Rivesaltes, se retrouve confrontée une nouvelle fois à un drame humain.

Dans cette cohue généralisée, la famille Fuster va être le miroir de la déchirure entre les deux rives de la Méditerranée : Mariette, femme pieuse, va aider de son mieux les réfugiés mais son cher époux Émile est réticent : il craint le retour de Robert, son frère grande gueule et méprisant qui a toujours humilié Émile et ceux qu’il jugeait plus faibles que lui. Et ce qui devait arriver… arrive. Robert rejoint la Catalogne avec son épouse Jeanne, sa belle-fille Solange et leur petit-fils Olivier. Manque à l’appel le fils Roger, membre supposé de l’OAS. Émile radical-socialiste s’étrangle…

Avec sa plume toujours attentionné, Hélène Legrais retrace une nouvelle partie de l’histoire catalane, tout aussi française et même mondiale puisqu’elle concerne cette fois-ci l’autre rive de la Méditerranée. Avec objectivité et perspicacité et, en bonne journaliste, après avoir effectué diverses recherches, elle va bien au-delà du simple témoignage. Sans amalgame aucun et avec Maupassant comme l’une des références historiques, chapeau !

Via l’histoire de cette famille, la romancière tente par une immense métaphore qu’un souhait devienne réalité : que les deux rives se réconcilient malgré le sombre passé : qu’il faut savoir tourner une page – sans rien oublier – même si l’exercice demeure ô combien difficile et éprouvant, les générations d’aujourd’hui ne sont pas responsables des actions d’hier. Faire un pas, chacun de son côté pour l’intérêt de tous. Un message humaniste à faire passer de toute urgence. Merci Hélène Legrais.

« Il n’y a pas une seule vérité. Il y a des faits, indiscutables, et la façon dont on les voit, dont on les vit, qui varie selon le contexte, l’endroit où l’on se place, son âge aussi, son passé, ses blessures, ses peurs, ses préoccupations quotidiennes… Un évènement et de multiples visions, interprétations, toutes justifiées. Personne n’a vraiment tort, personne n’a tout à fait raison. C’est juste la complexité de l’âme humaine ».

D’une rive à l’autre – Hélène Legrais – Éditions Calmann Lévy/Collection Territoires – Novembre 2024

 

 

mardi 14 janvier 2025

 

Noisette aquatique

Écouter les eaux vives

Emmanuelle Favier

 


Adrian Ramsay est « oreille d’or » pour la Royal Navy. Écossaise, elle foule rarement sa terre d’origine puisqu’embarquant pendant des mois à bord d’un sous-marin nucléaire. Passablement misanthrope, elle aime cette vie à l’isolement et sait se trouver une place dans ce monde encore très masculin. Elle veille en ayant les « pieds sur terre ». Sa mère est morte lors de l’accouchement et les relations avec son père, devenu aveugle, sont à la limite de l’ère glaciaire. Lors de son retour à la base, on lui apprend que son géniteur est décédé pendant son absence. Bizarrement, un immense vide semble s’engouffrer dans son corps.

Elle demande pendant ses vacances une mission qui va la mener en Bretagne. Arrivée à Brest pour seulement 48 heures, elle prolonge son séjour car elle a rencontré un jeune homme, Arthur, dans un bar qui lui promet une plongée sous-marine dans les eaux bretonnes. Il tombe éperdument amoureux de la femme mais elle n’aime que les relations physiques brèves et sans amour, sans prolongation aucune. Mais, Arthur s’occupe bénévolement du fils de son patron, Abel Lorca, un quadragénaire portant beau, atteint de cécité depuis la naissance et misanthrope comme Adrian. Leur rencontre va être brutale, leurs amours incandescentes vont semer des cendres jusqu’en Catalogne, versant sud d’où est originaire feu la mère d’Abel.

Ce roman est tout simplement superbe ! Évidemment, on pense, au départ, au film Le chant du loup – la romancière y fait d’ailleurs illusion – mais c’est surtout ce voyage intérieur autour des trois A (Adrian, Abel et Arthur) qui interpelle même si les descriptions du travail de la protagoniste et de la vie à bord d’un sous-marin sont taillées d’une fine plume. Emmanuelle Favier décortique la psychologie de chaque personnage en les passant dans le miroir de leur environnement. L’eau reste l’élément essentiel devenant source de vie et de mort, source d’angoisse et de renouveau ; elle enveloppe chaque personnage dans le meilleur comme dans le pire. Dans une langue recherchée, l’eau devient musique dans ce livre qui s’ouvre comme un coquillage vers l’océan des sentiments contraires et tourmentés. Aucun des trois A n’a réussi à m’émouvoir, aucune empathie mais une narration envoutante depuis l’Écosse jusqu’en Catalogne avec les ombres tragiques de Garcia Lorca, Antonio Machado et Walter Benjamin.

Petite noisette inattendue, celle de retrouver l'hôtel du Rayon vert qui a fait l’objet d’un roman l’an dernier aux éditions Albin Michel signé Fanck Pavloff.

Écouter les eaux vives – Emmanuelle Favier – Éditions Albin Michel – Janvier 2024

 

 

vendredi 10 janvier 2025

 

Noisette berrichonne

La poète aux mains noires

Ingrid Glowacki

 


« L’atelier était mon refuge, ma liberté préservée »

Il y a des rencontres inoubliables. Comme celle d’Ingrid Glowacki avec Marie Talbot grâce à l’art et son pouvoir de transmission. Ou comme celle d’un lecteur avec Ingrid Glowacki pour cette biographie romancée de la potière du village de La Borne, un lieu devenu incontournable de la céramique grâce à celle qui, à sa naissance, s’appelait Jeanne Brulé.

Comment raconter Marie Talbot ? D’elle on ne sait pratiquement rien, mystérieuse comme les vallons qui forment l’ancienne Principauté de Boisbelle, rachetée en 1605 par Sully qui va créer ensuite Henrichemont juste à côté de La Borne.

Marie Talbot cumulait tous les facteurs pour ne jamais sortir de l’ombre : pauvre, femme, paysanne, bâtarde. Pourtant, elle su se faire une place dans ce milieu d’hommes du XIXe siècle, s’affranchir. Point de départ pour construire une histoire et faire revivre cette artiste encore trop occultée de nos jours.

Ingrid Glowacki ne fait pas que poser l’encre sur une page, l’encre bat dans son cœur comme la terre battait dans l’âme de Marie Talbot. Passionnée, courageuse, Marie Talbot brise les chaines, ose, surmonte ses chagrins, fait corps avec l’argile pour sublimer la matière. Fière d’être une femme, fière d’être artiste.

Par une écriture sculpturale, la primo-romancière modèle les fontaines de la potière, source de son inspiration pour faire revivre une époque – que d’heures innombrables passées en recherches minutieuses pour faire éclore le roman – certes avec du charme mais où les femmes avaient surtout le droit de se taire et d’obéir ! À la même époque, une autre grande dame du Berry veut briser les chaînes, s’émanciper : George Sand. Se sont-elles rencontrées ? Nul ne sait, aucune trace mais le doute est permis. Et puis les rassembler dans un livre est un hymne à la liberté et un chant de la terre. Car cette terre va sauver Marie Talbot et tracera son destin.

« Je n’avais qu’une envie : entrer dans l’agitation. Moi aussi, je voulais être noire de terre ».

« J’étais marginale, je me réservais cette marge de liberté dans une société contraignante dont j’essayais de m’extraire ou peut-être d’en agrandir les contours. Marginale dans mes amours, dans mon art qui ne répondaient à aucun code ».

« Il faut beaucoup de souffrances mêlées au bonheur pour réussir à atteindre ce qu’on a discerné de la vie, à lui faire prendre forme. J’aimais prendre le contre-pied de tout ce qui avait déjà été vu. Je ressentais puissamment que le but de mon œuvre était la beauté. Mais une beauté dans la vérité. Une vérité suis generis. Je ne voulais pas d’une esthétique plate et fade. Je me devais de faire réfléchir : former des créatures féminines pour obliger le spectateur à se questionner sur le monde qui l’entourait. La femme, l’homme, l’ironie des contraires. Je choquais l’ordre établi pour imposer mes vues, provoquer une émotion : choisir et surprendre. Faire surgir… »

 « La violence est l’apanage des faibles ».

La poète aux mains noires – Ingrid Glowacki – Éditions Gallimard/L’Arpenteur – Septembre 2024

Vous pouvez retrouver mon interview d’Ingrid Glowacki dans le n°170 Hiver 2024 du Magazine du Berry des Éditions La Bouinotte

mercredi 8 janvier 2025

 

Noisette mafieuse

Les forêts de Dracula

Raphaëlle Eviana

 


Raphaëlle Eviana revisite le mythe de Dracula créé par Bram Stoker pour brosser un thriller aussi court qu’haletant sur le trafic du commerce du bois en Roumanie, notamment dans l’une des dernières forêts primaires d’Europe. Mais pas que…

La primo-romancière n’est pas partie au hasard, elle s’est basée sur des faits réels pour alerter, via la fiction, sur la catastrophe écologique qui menace tout un écosystème et la santé humaine. En 2019, deux forestiers ont été froidement assassinés après avoir découvert des coupes illégales et tenter de les signaler https://lecourrier.ch/2020/02/02/la-derniere-foret-vierge-deurope/

Dans « Les forêts de Dracula », Nathan Archer, journaliste français part en Roumanie pour enquêter sur les pratiques illégales d’abattages massifs d’arbres au sein d’un des derniers poumons verts d’Europe. Il est accueilli par Vasile, un correspondant local qui va le conduire dans les Carpates pour rencontrer le père d’un jeune garde-forestier tué par la mafia. Mais lorsqu’ils se rendent sur les lieux du crime, accompagnés par deux autres gardes, la situation dégénère et Nathan fuit dans la forêt. Affamé, épuisé, il est recueilli par un mystérieux équipage puis conduit dans un château digne de celui de Bran, propriété d’un homme mystérieux, dit Le Comte, dit Nicolae…

Cette lecture restera dans votre mémoire pendant longtemps tant le récit est percutant et… hélas, basé sur une situation alarmiste car au fil du thriller vous allez découvrir que le trafic va beaucoup plus loin géographiquement et que si la nature est bafouée et martyrisée, la santé humaine est également en danger. Des parallèles très judicieux, des métaphores qui collent parfaitement à la situation font de ce roman un précieux ouvrage qui incite à s’informer. L’autrice signe une postface pour justement en savoir plus sur cette mafia du bois.

Les forêts de Dracula – Thriller écologique au cœur des Carpates – Raphaëlle Eviana – Éditions Dandelion – Novembre 2024 (initialement écrit en 2020 en auto-édition)

 

 

 

lundi 6 janvier 2025

 

Noisette animiste

L’origine des couleurs

Sanche

 


Hymne à la forêt et plaidoyer pour la survie des Mbuti.

Une jeune infirmière belge d’origine ivoirienne quitte son travail pour partir en mission humanitaire sous la bannière de Médecins sans Frontières pour endiguer une nouvelle épidémie de choléra au Congo, dans la région du Haut-Uele, avec pour base Niangara. Un peu abasourdi par la méthode de recrutement, elle reprend espoir quand elle débarque à Kinshasa même si le périple est loin d’être terminé pour pouvoir rejoindre le camp de base en plein cœur de l’Afrique. Attirée par la forêt, elle deviendra un refuge lorsque l’infirmière sera confrontée à la violence des groupes armés sévissant dans la région. Au moment où tout espoir de survie s’effondre, elle entend des tam-tams, ce sont ceux des Mbuti, plus communément appelés Pygmées. 

Sanche, plus connu en tant que chanteur du groupe Planète Bolingo, a pris la plume pour raconter en partie son expérience en tant qu’humanitaire pour Médecins sans Frontières en créant une fiction proche parfois, dans la deuxième partie, du conte. Si j’ai eu quelques petites réserves sur certains passages vers la fin, concernant notamment l’Iboga, l’ensemble est un immense souffle de retour d’humanité et une formidable prise de conscience sur le destin de l’homme autour de la nature avec l’exemple de ce peuple des forêts et du Bu Nganga.

Roman initiatique, roman ressourçant, roman remettant les pendules au cœur de l’homme et de la nature, le primo-romancier lance un véritable appel par la voix des lettres en faveur de la nécessité de retrouver un sens à la vie par la nature, le partage et la bienveillance dans un monde en lutte mercantile qui ne fait plus qu'attention aux chiffres et à l’égo. Et puisse ce livre être un écho à la sauvegarde des peuples à l’image des Mbuti qui sont, chaque année, menacés par les guerres, les luttes fratricides et la disparition de leur environnement de toujours. Ils ont pourtant beaucoup à nous apprendre.

« Il me précise que s’énerver dans la culture congolaise est un aveu de faiblesse et que c’est très mal vu en plus d’être inefficace ».

« Être ensemble. Cette phrase, un peu comme un mantra congolais, j’allais l’entendre maintes et maintes fois. Et c’était bien représentatif de ce que j’allais apprendre de cette culture : l’individualisme à l’occidentale n’avait pas lieu d’être. En forêt et dans un contexte disons plus fragile, l’esprit communautaire avait encore toute sa place, et pour moi qui en avait été sevrée toute ma vie, c’était une véritable nourriture de l’âme ».

 « Les peuples autochtones d’Afrique sont aujourd’hui quasiment réduits à néant (…). C’est une mort annoncée et personne n’y fait rien ».

 L’origine des couleurs – Sanche – Éditions 5 sens – Novembre 2024

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