Une noisette, un livre
L’amour (fou) pour un criminel
par Isabelle Horlans
Bonjour Squirelito, et bonjour à tous vos lecteurs. On peut considérer, oui, que c’est un hymne à l’amour derrière les barreaux même s’il est impossible de généraliser : certaines histoires naissent de pulsions qui n’ont hélas rien de romanesque, je pense notamment à l’association criminelle de Michel Fourniret et Monique Olivier. Mais la plupart des tueurs que j’évoque sont sincèrement aimés, et tant mieux si cela peut les aider à regretter leurs actes et à survivre en prison.
2
– Dans l’avant-propos, vous expliquez parfaitement pourquoi vous
est venue cette idée d’écrire sur les groupies des "serial
killers", mais quelques mots supplémentaires seraient les
bienvenus.
Mes
années de chronique judiciaire m’ont confrontée aux groupies qui
peuplent les cours d’assises. Au procès de Guy Georges – le plus
célèbre des tueurs en série français –, elles étaient
nombreuses aux audiences, pomponnées, bien habillées, dans l’espoir
de se faire remarquer par l’accusé. J’ai également remarqué
leur présence aux procès du gangster Antonio Ferrara et d’Yvan
Colonna, condamné pour l’assassinat du préfet Claude Erignac.
J’ai donc voulu comprendre. Et j’ai découvert qu’en dehors de
l’Américaine Sheila Isenberg, personne n’avait exploré le
phénomène…
3 – Pourtant, "l’engouement pour les criminels n’est pas qu’une
affaire de cœur" ?
Non,
certaines s’en éprennent pour sortir de l’anonymat, pour
assouvir leur perversité comme Monique Olivier ou Michelle Martin,
l’ex-épouse du tueur en série belge Marc Dutroux, ou sont
attirées par le danger et l’interdit.
4
– Il semble que l’on préfère parler d’attrait du « bad boy »
plutôt que d’hybristophilie, pourquoi ?
Si
l’on parle d’attirance pour le "bad boy", tout le
monde comprend ; l’hybristophilie est un mot savant que
n’emploient même pas les psys. C’est une sorte d’ "habillage"
intellectuel pour parler de l’attrait sexuel envers les criminels.
5
– Une phrase a retenu toute mon attention, elle est extraite d’une
plaidoirie d’une avocate "Sa seule dépendance, c’est la
dépendance affective". Pouvez- vous nous expliquer un peu ?
Cette
avocate défendait une surveillante de prison qui avait transgressé
la loi par amour pour un détenu : c’est sa dépendance affective,
et elle seule, qui l’avait conduite à commettre un délit et ainsi
pulvériser sa vie familiale et sa carrière. C’est également la
dépendance affective qui a ruiné l’existence de Florent
Gonçalves, l’ancien directeur de la prison de Versailles. Ces
gens-là ne sont pas des délinquants : ils ne le deviennent que
par amour. Ce devrait être une circonstance atténuante lors de leur
procès.
6
– On retrouve des histoires d’amour au sein même de
l’Administration Pénitentiaire, n’y a-t-il pas une faille au
niveau de la formation quant au risque professionnel ?
Oui,
une faille énorme puisque l’amour derrière les barreaux est un
sujet tabou durant la formation et dans l’établissement où l’on
est affecté. L’Administration est gênée aux entournures :
elle sait que le risque existe mais feint de l’ignorer. Elle compte
sur la solidité de ses agents, comme s’ils n’étaient que des
matricules qui ont prêté serment et non des êtres humains soumis
comme tous à la tentation, décuplée en vase clos.
7
– Au cours du livre, vous mentionnez, à juste titre, le rôle
indispensable des Unités de Vie Familiale, hélas encore peu
nombreuses. Des précisions à apporter sur ces UVF ?
Les
UVF sont une invention canadienne. Au Canada, on ne se contente pas
de réprimer : on pense à l’après, à l’intérêt de
préserver les liens familiaux pour éviter que les prisonniers se
transforment en bêtes fauves asociales. La France installe peu à peu
des UVF, mais très lentement. Il y a encore trop de gens, chez nous,
qui pensent que l’enfermement n’a pas à être accompagné
"d’avantages". Certains s’insurgent même contre la
télévision dans les cellules ; c’est dire l’étroitesse
d’esprit…
8
– En lisant attentivement et malgré certains récits
abracadabrantesques, on s’aperçoit qu’il faut veiller (comme
pour tout) à ne pas faire d’amalgame. Par exemple, les cas de
Sandrine et Béatrice sont plutôt attachants ?
Ces
femmes ont épousé des détenus qu’elles pensent innocents. C’est
une démarche militante. Comme celle de Marie-Jo, mariée à Roland
Agret : elle était sûre qu’il n’avait pas commis le crime
dont il était accusé, elle a porté sa voix hors de la prison et
Roland a fini par être rejugé et réhabilité.
9
– Avez-vous rencontré des proches des victimes pour en savoir
davantage sur leur ressenti de ces amours extrêmes ?
Non,
ce n’était pas l’objet du livre et j’avoue ne pas avoir eu
envie de les questionner car leur ressenti est forcément faussé :
quand un individu vous a pris votre enfant ou votre mari, vous n’avez
aucune envie de le savoir heureux, d’imaginer qu’il bénéficie
de l’amour qu’il vous a ravi. C’est humain.
10 –
Nous, humbles lecteurs, prenons tout simplement plaisir à dévorer
chapitre après chapitre. Mais combien de temps faut-il pour boucler
une enquête comme vous venez de faire ? Combien de temps passé
entre recherches d’archives, rencontres de
protagonistes/spécialistes et écriture ?
J’ai
enquêté et écrit à mes heures perdues, souvent la nuit, pendant
un an.
11
– Pour terminer, le traditionnel questionnaire pour que les
internautes puissent mieux vous connaître...
- un roman : Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez.
- un personnage : George Smiley, le maître-espion de John Le Carré.
- un(e) écrivain(e) : Albert Camus.
- une musique : Le concerto en mi mineur, opus 64, pour violon et orchestre de Félix Mendelssohn.
- un film : Le Parrain, de Francis Ford Coppola. Et dans le registre des films documentaires, Shoah, de Claude Lanzmann.
- une peinture : Morning Sun, d’Edward Hopper.
- un animal : Le chien (mais chez moi).
- un dessert : La mousse au chocolat
- une devise/une citation : "Tout le monde, tôt ou tard, s’assied au banquet des conséquences ". Robert Louis Stevenson.
Merci infiniment Isabelle Horlans pour avoir répondu à mes questions. Je vous souhaite beaucoup de succès pour un ouvrage qui le mérite amplement et puis-je me permettre de conclure avec un peu de douceur, si j’ose dire, en évoquant les tourments d’Henry VIII dans l’opéra de Camille Saint-Saëns : "Qui donc commande quand il aime ?"
"L’amour (fou) pour un criminel" - Isabelle Horlans – Editions du Cherche-midi - Avril 2015
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