Souvenirs d'un médecin d'autrefois

dimanche 17 mai 2015


Une noisette, un livre

 

 

L’amour (fou) pour un criminel

par Isabelle Horlans

 
 
 

 
Lire un article, ouvrir un nouveau livre de la journaliste Isabelle Horlans, est toujours un parcours initiatique. Parce qu’on apprend, parce qu’on découvre, parce qu’elle sait traiter un sujet sensible (voire plus) avec pudeur et sans porter de jugement. Tout un art que de laisser le lecteur à la réflexion et à sa liberté des sentiments. Son dernier ouvrage "L’amour (fou) pour un criminel" en est une parfaite illustration.

 
1 – Bonjour Isabelle. Pourrais-je qualifier votre dernier livre, en faisant évidemment abstraction de la noirceur de la plupart des histoires, comme un "Hymne à l’amour" dans l’univers carcéral ?
Bonjour Squirelito, et bonjour à tous vos lecteurs. On peut considérer, oui, que c’est un hymne à l’amour derrière les barreaux même s’il est impossible de généraliser : certaines histoires naissent de pulsions qui n’ont hélas rien de romanesque, je pense notamment à l’association criminelle de Michel Fourniret et Monique Olivier. Mais la plupart des tueurs que j’évoque sont sincèrement aimés, et tant mieux si cela peut les aider à regretter leurs actes et à survivre en prison.

 2 – Dans l’avant-propos, vous expliquez parfaitement pourquoi vous est venue cette idée d’écrire sur les groupies des "serial killers", mais quelques mots supplémentaires seraient les bienvenus.
Mes années de chronique judiciaire m’ont confrontée aux groupies qui peuplent les cours d’assises. Au procès de Guy Georges – le plus célèbre des tueurs en série français –, elles étaient nombreuses aux audiences, pomponnées, bien habillées, dans l’espoir de se faire remarquer par l’accusé. J’ai également remarqué leur présence aux procès du gangster Antonio Ferrara et d’Yvan Colonna, condamné pour l’assassinat du préfet Claude Erignac. J’ai donc voulu comprendre. Et j’ai découvert qu’en dehors de l’Américaine Sheila Isenberg, personne n’avait exploré le phénomène…

3 – Pourtant, "l’engouement pour les criminels n’est pas qu’une affaire de cœur" ?
Non, certaines s’en éprennent pour sortir de l’anonymat, pour assouvir leur perversité comme Monique Olivier ou Michelle Martin, l’ex-épouse du tueur en série belge Marc Dutroux, ou sont attirées par le danger et l’interdit.

4 – Il semble que l’on préfère parler d’attrait du « bad boy » plutôt que d’hybristophilie, pourquoi ?
Si l’on parle d’attirance pour le "bad boy", tout le monde comprend ; l’hybristophilie est un mot savant que n’emploient même pas les psys. C’est une sorte d’ "habillage" intellectuel pour parler de l’attrait sexuel envers les criminels.

5 – Une phrase a retenu toute mon attention, elle est extraite d’une plaidoirie d’une avocate "Sa seule dépendance, c’est la dépendance affective". Pouvez- vous nous expliquer un peu ?
Cette avocate défendait une surveillante de prison qui avait transgressé la loi par amour pour un détenu : c’est sa dépendance affective, et elle seule, qui l’avait conduite à commettre un délit et ainsi pulvériser sa vie familiale et sa carrière. C’est également la dépendance affective qui a ruiné l’existence de Florent Gonçalves, l’ancien directeur de la prison de Versailles. Ces gens-là ne sont pas des délinquants : ils ne le deviennent que par amour. Ce devrait être une circonstance atténuante lors de leur procès.

6 – On retrouve des histoires d’amour au sein même de l’Administration Pénitentiaire, n’y a-t-il pas une faille au niveau de la formation quant au risque professionnel ?
Oui, une faille énorme puisque l’amour derrière les barreaux est un sujet tabou durant la formation et dans l’établissement où l’on est affecté. L’Administration est gênée aux entournures : elle sait que le risque existe mais feint de l’ignorer. Elle compte sur la solidité de ses agents, comme s’ils n’étaient que des matricules qui ont prêté serment et non des êtres humains soumis comme tous à la tentation, décuplée en vase clos.

7 – Au cours du livre, vous mentionnez, à juste titre, le rôle indispensable des Unités de Vie Familiale, hélas encore peu nombreuses. Des précisions à apporter sur ces UVF ?
Les UVF sont une invention canadienne. Au Canada, on ne se contente pas de réprimer : on pense à l’après, à l’intérêt de préserver les liens familiaux pour éviter que les prisonniers se transforment en bêtes fauves asociales. La France installe peu à peu des UVF, mais très lentement. Il y a encore trop de gens, chez nous, qui pensent que l’enfermement n’a pas à être accompagné "d’avantages". Certains s’insurgent même contre la télévision dans les cellules ; c’est dire l’étroitesse d’esprit…

8 – En lisant attentivement et malgré certains récits abracadabrantesques, on s’aperçoit qu’il faut veiller (comme pour tout) à ne pas faire d’amalgame. Par exemple, les cas de Sandrine et Béatrice sont plutôt attachants ?
Ces femmes ont épousé des détenus qu’elles pensent innocents. C’est une démarche militante. Comme celle de Marie-Jo, mariée à Roland Agret : elle était sûre qu’il n’avait pas commis le crime dont il était accusé, elle a porté sa voix hors de la prison et Roland a fini par être rejugé et réhabilité.

9 – Avez-vous rencontré des proches des victimes pour en savoir davantage sur leur ressenti de ces amours extrêmes ?
Non, ce n’était pas l’objet du livre et j’avoue ne pas avoir eu envie de les questionner car leur ressenti est forcément faussé : quand un individu vous a pris votre enfant ou votre mari, vous n’avez aucune envie de le savoir heureux, d’imaginer qu’il bénéficie de l’amour qu’il vous a ravi. C’est humain.

10 – Nous, humbles lecteurs, prenons tout simplement plaisir à dévorer chapitre après chapitre. Mais combien de temps faut-il pour boucler une enquête comme vous venez de faire ? Combien de temps passé entre recherches d’archives, rencontres de protagonistes/spécialistes et écriture ?
J’ai enquêté et écrit à mes heures perdues, souvent la nuit, pendant un an.

11 – Pour terminer, le traditionnel questionnaire pour que les internautes puissent mieux vous connaître...

  • un roman : Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez.
  • un personnage : George Smiley, le maître-espion de John Le Carré.
  • un(e) écrivain(e) : Albert Camus.
  • une musique : Le concerto en mi mineur, opus 64, pour violon et orchestre de Félix Mendelssohn.
  • un film : Le Parrain, de Francis Ford Coppola. Et dans le registre des films documentaires, Shoah, de Claude Lanzmann.
  • une peinture : Morning Sun, d’Edward Hopper.
  • un animal : Le chien (mais chez moi).
  • un dessert : La mousse au chocolat
  • une devise/une citation : "Tout le monde, tôt ou tard, s’assied au banquet des conséquences ". Robert Louis Stevenson.  


Merci infiniment Isabelle Horlans pour avoir répondu à mes questions. Je vous souhaite beaucoup de succès pour un ouvrage qui le mérite amplement et puis-je me permettre de conclure avec un peu de douceur, si j’ose dire, en évoquant les tourments d’Henry VIII dans l’opéra de Camille Saint-Saëns : "Qui donc commande quand il aime ?"
 
Et maintenant, une noisette, un conseil ==> direction la librairie pour :
"L’amour (fou) pour un criminel" - Isabelle Horlans – Editions du Cherche-midi - Avril 2015

 



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