mercredi 28 janvier 2015


Romain Potocki

 

« Je marche avec toi »  

Altérité, Solidarité, Fraternité

 
 
 

 
 

"Avec l’autre comme seule richesse". Phrase/slogan de Romain Potocki. Bipède qui met sa caméra, son texte, ses idées au service d’une espèce apparue en Afrique il y a plus de 7 millions d’années : l’Homme ! Sans oublier la Femme, cela va de soi...
Justement, comme le berceau de l’humanité est l’Afrique (et en faisant tourner les tables ce n’est pas Toumaï qui nous dira le contraire), pourquoi ne pas essayer vraiment de se rassembler plutôt que de toujours vouloir diviser.

 De ce pas, marchons vers Romain qui a plus d’une botte secrète dans son panier à noisettes...

 
1 – Bonjour “l’homme itinérant”, en partance pour une nouvelle marche ?
Bonjour Squiri ! Disons que le 11 janvier m’a donné envie de ne pas m’arrêter. Marcher au milieu de millions d’inconnus de toutes les couleurs, de toutes les religions, de toutes les langues et de tous les looks m’a donné une force de propulsion que je ne soupçonnais pas – et pourtant tu me connais, on me surnomme "l’homme itinérant"…

Durant cette marche, tout le monde n’avait qu’un mot à la bouche : "Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?" Une envie de ne pas s’arrêter, de prendre enfin la situation en main.

Mais en ce qui me concerne, la question s’est posée avec encore plus d’acuité le lendemain de la marche, quand mon ami Boubakar m’a avoué qu’il n’avait pas osé sortir de chez lui ce même 11 janvier – peur des amalgames, de la stigmatisation, de l’islamophobie banale et quotidienne. Je lui ai répondu qu’il aurait pu marcher avec nous, ses amis. Et il a eu cette phrase qui me résonne encore : "Oui, mais tu ne m’as pas appelé". Le lendemain, un ami juif m’avouait ne plus réussir à porter sa kippa dans la rue…

Jai lancé #JeMarcheAvecToi pour redire l’essentiel, cet essentiel que presque 5 millions de marcheurs sont venu rappeler dans la rue un 11 janvier 2015 : qu’on vient de partout, qu’on va dans toutes les directions… mais que d’abord on veut être ensemble, croire en l’existence d’une France solidaire, unie sans avoir pour autant besoin de rogner sur ses différences. Une France multicolore qui se regarde, se sourit, se dit bonjour… Où l’autre n’est pas une menace, mais une richesse.

Tu sais, ces jours-ci, ça a commencé un peu comme ça, notre nouvelle aventure : en disant bonjour à des inconnus.

 C’est déjà quelque chose que je fais dans ma vie quotidienne depuis longtemps, et ce même si je vis à Paris. Mais après les événements de Charlie, de Montrouge et de l’HyperCacher, c’est devenu encore plus important. Dans Paris, les jours d’après, les gens se voyaient : dans ce deuil commun, on a fait plus attention l’un à l’autre, comme si on voulait se prémunir de tout heurt.

 A la marche du 11 janvier, c’est d’abord ça qui m’a frappé : combien ces millions d’inconnus de toutes les couleurs, de toutes les religions et de tous les looks avaient envie de se parler, d’échanger, de trouver des solutions concrètes, dès maintenant – sans attendre des élections, sans attendre qu’on décide pour eux.

 #JeMarcheAvecToi, c’est une envie de faire le premier pas. Je voulais offrir à toutes les bonnes volontés un geste simple pour prolonger l’esprit du 11 janvier.
Sortir de chez soi, au grand jour de sa vie quotidienne, avec un badge, un autocollant #JeMarcheAvecToi, c’est inviter l’autre avant même qu’il n’en ait besoin.

C’est se montrer "prévenant" – un joli mot qu’on a un peu oublié.
 
C’est affirmer qu’avant même de marcher "contre", ou "pour", le 11 janvier on a marché "avec" – et ça nous rend plus fort, beaucoup plus fort…

2 – La Syrie, l’Irak, la RDC, le Mexique, l’Ukraine, le conflit israélo-palestinien la liste est longue des pays vivant dans l’horreur et le danger permanent. #JeMarcheAvecToi pourrait aussi être associé pour dénoncer tous ces conflits ?
Depuis les premiers jours où on a lancé, avec quelques amis, l’aventure #JeMarcheAvecToi, depuis le premier film qu’on a fait et pour lequel on a juste arrêté des gens dans la rue alors que le projet était encore embryonnaire, la moindre personne qu’on croise est enthousiaste. Tu n’as pas idée des lignes de fractures que #JeMarcheAvecToi dépasse. Je crois qu’énormément de gens ont envie de ça aujourd’hui : une France où l’on se parle, où l’on arrête d’avoir peur de l’autre. Un espace de liberté où enfin, on essaie de mettre de l’égalité et de la fraternité…

Sur le site, on a d’ailleurs joué avec cette fameuse devise. Et on s’en est choisi une un tout petit peu différente : "Altérité, Solidarité, Fraternité". Parce que celui qui sait accueillir l’altérité, la différence, il est déjà libre. Parce que celui qui travaille à la solidarité, il met l’égalité en pratique, en actes…

Néanmoins tu as raison, quelques rares personnes me rétorquent : "Oui, c’est bien gentil ton histoire, mais les vrais problèmes du monde, on en fait quoi ? La corruption en Afrique, la guerre en Syrie, les exactions de Boko Haram, la toute-puissance des cartels mexicains, le Proche Orient toujours moins proche, l’esclavage moderne auquel l’argent contraint une très large partie du monde… ?"

Moi aussi, je souffre au quotidien de ces situations inhumaines. Mais il faut savoir rester humble, même face à l’horreur – justement face à l’horreur.

Je n’ai pas lancé #JeMarcheAvecToi parce que je pensais résoudre tous les conflits et l’inhumanité de ce monde en un claquement de doigt. Je dis juste qu’avant de marcher "contre", il faut réapprendre à marcher "avec". Parce qu’alors on est plus fort. Parce qu’en tendant la main à l’autre on apporte de l’humanité. Et que ça, c’est déjà une brèche dans toutes les guerres sans merci.

Le projet #JeMarcheAvecToi est forcément associé au reste du monde. Porter un autocollant, un badge #JeMarcheAvecToi, c’est dire aux inconnus qui passent :

 « Si tu ne te sens pas de marcher seul, demande-moi, et je marche avec toi ».

 On s’expose aux autres, quand on dit ça. Et donc potentiellement à ceux qui souffrent, ou tout simplement ceux qui ne trouvent pas leur place. On s’expose à sortir de son confort, de son entre-soi. Et donc à s’ouvrir les yeux. Bref, on se met en route. OK, c’est juste le premier pas, et il n'est pas bien grand, et c’est toujours plus facile de se contenter du pire (au moins, lui, il est certain… )

Mais ça fait combien de temps que vous n’avez pas fait le premier pas… ?

3 – L’hypocrisie de certaines attitudes politiques (ou autre...) ne te révolte pas ?
J’en reviens toujours au 11 janvier 2015, à ce qui s’y est passé. Ce ne sont pas les partis, ce n’est pas le gouvernement, qui a initié la marche. C’est la rue. C’est 5 millions de personnes qui ont dit : "Au fait, les gars, dimanche on marche". A l’autorité de faire le nécessaire. On a donc laissé l’organisation concrète aux pouvoirs publics, et on a gardé le cœur.

On n’a pas marché derrière Hollande et consorts, c’est le contraire : on les a obligés à venir marcher avec nous (tu sais, ces jours-ci, la blague court dans Paris que certains d’entre eux n’avaient pas marché 40 m dans la rue depuis bien longtemps… ;-)

Le 12 janvier et les jours qui ont suivi, je n’avais que cette question en tête : et maintenant qu’est-ce qu’on fait ? Et quand un de mes vieux amis m’a répondu : "dans trois mois il y a les élections", je suis tombé des nues.
Ce n’est pas dans trois mois, que je veux faire quelque chose, c’est maintenant. Et je ne veux pas, encore une fois, laisser à d’autres le soin de me choisir un destin, et la couleur qu’il doit avoir (même si bien sûr, j’irai voter)

C’est ça que j’ai compris le 11 janvier : il suffit d’un tout petit geste de chacun pour aller dans le bon sens – comme descendre dans la rue, ou porter un badge… Et alors on fait de la politique, mais plus de la politique politicienne.

Le terme "politique" vient du grec, du mot "polis", la cité. La politique, au départ, ce n’est pas affaire de partis, de votes, de campagnes, d’élections.
Non, c’est l’organisation de la cité, de la ville, du collectif, au sens le plus concret et le plus philosophique possible. L’organisation du "vivre ensemble". Et dans la Grèce antique, ça concernait chacun.

Les jours qui ont suivi le 11 janvier m’ont fait penser à ça, aux places où j’imaginais Sophocle discuter avec ceux qui passent. A Paris, tout le monde se parlait : dans le métro, dans le bus, dans la rue, dans les cafés. Et pas de la météo, non : de l’essentiel. De comment mieux vivre ensemble.

Alors tu me parles d’hypocrisie, mais je ne la vois pas. Tout comme le 11 janvier, je n’ai pas vu "les grands hommes", mais seulement la ferveur de millions d’anonymes tellement différents et tellement… ensemble. Je crois que ce jour-là, on a tous vu combien le pouvoir était entre nos mains. Et ça nous a exalté.

Deux semaines après la marche, l’émotion première est en train de retomber. Mais il ne faut pas oublier l’étincelle qui a jailli ce jour-là, et la flamme que nous portons désormais, qui que nous soyons. Le pouvoir est entre nos mains, oui. Et ça donne de la responsabilité. Car si on prend le pouvoir, on ne peut plus dire que c’est la faute de l’autre si les choses vont mal. On est obligé de se demander : "Et moi, je fais quoi pour que ça change, le monde ?"

Je veux continuer de marcher. Et que vous aussi, l’envie vous tenaille encore. Je sais désormais que, comme chacun d’entre vous, je peux changer une partie de « mon » monde. Y mettre un peu plus d’humanité. Un peu moins de racisme, d’obscurantisme, de peur de l’autre.

 Et ça sera déjà beaucoup. Et ça nous donnera envie de continuer. Et alors, qui sait…

4 – Oui, qui sait... tu as déjà créé une version anglaise (I walk with you) et une version italienne (Io cammino con te), pourquoi pas un mouvement européen ?
Le projet #JeMarcheAvecToi est une main tendue vers l’Autre au sens large du terme. Il n’y a donc par essence pas de frontière. Qui vous dit qu’en portant un badge / autocollant #JeMarcheAvecToi vous n’allez pas vous retrouver à faire un bout de route avec un grec à peine élu, un réfugié afghan ou un ukrainien dérouté ?

J’espère bien que le projet prendra encore de l’ampleur, et que des bonnes âmes se chargeront de traduire le texte de présentation du site en plus de langues que je n’en connais ! Malheureusement on n’est pour l’instant pas nombreux à travailler sur l’initiative, on est tous bénévoles, je suis le seul à temps plein… et les journées n’ont que 24h !

Mais je ne me fais pas de souci, l’étincelle est bien là. Je pense notamment au projet #Iofaccio en Italie ("moi je fais"), qui montre des anonymes qui œuvrent au quotidien pour que le monde change… Et après tout, #JeMarcheAvecToi est né en s’inspirant d’une initiative australienne (#illridewithyou) !

5 – Nietzsche avait raison « sans la musique la vie serait une erreur » Mais la musique est universelle, une source incroyable de rassemblement. D’ailleurs, je crois que tu ajoutes une playlist à #JeMarcheAvecToi?
Concernant la musique, je n’ai pas pu faire autrement. Ma vie est traversée par la musique, c’est elle qui m’encourage, m’aiguise, m’appelle. Et pour ce qui est de changer le monde, ou de s’indigner contre ce qui y déraille, la musique est assez insurpassable.

Laisse-moi juste prendre quelques exemples dans la playlist. La première chanson est de Marvin Gaye, issue d’un album paru au moment de la guerre du Vietnam, et qui s’intitule What’s going on ? (Qu’est ce qui se passe ?) C’est un hymne, un appel désespéré de Marvin, qui était lui même fils de pasteur et s’y connaît donc un minimum en prêches…

Si on se tourne du côté du rap, on trouve une dénonciation sans pareil de tous les travers de notre société, de tout ce qu’elle ne veut pas voir et que les événements de la semaine du 7 janvier nous ont rebalancé en pleine face : l’exclusion de toute une partie de la population française pour cause de couleur, ou de religion, la violence de la vie dans certains quartiers, l’injustice faite toujours aux même, les plus pauvres, les plus faibles…
NTM vous racontera que "c’est arrivé près de chez toi" et quant à Kerry James, sa parole est forte et son but très simple : "Une dernière fois, déranger l'oligarchie des ministères / Cracher la vérité amère, de la part de la classe ouvrière".

Je finis sur le prophète même, Bob Marley. C’est drôle, parce que beaucoup de gens le connaissent sans comprendre ce qu’il chante. Mais le reggae est d’abord et avant toute une musique qui dénonce, faite de "protest songs". J’ai choisi "War" (Guerre), sans doute l’une de mes chansons préférées de Bob. C’est l’adaptation d’un discours de Haïlé Sélassié, alors empereur d’Ethiopie, devant les Nations Unies. Et ça dit ça :
"Tant qu’existera une philosophie / qui croit qu’un homme est supérieur / et l’autre inférieur / Il y aura la guerre / Tant que la couleur d’un homme / n’aura pas aussi peu d’importance / que la couleur de ses yeux / Il y aura la guerre".

6 – Très récemment nous avons pu apprécier tes qualités de réalisateur avec un reportage sur l’Alaska (avec une excellente audience en passant) diffusé dans le magazine de France2 "13h15 le dimanche". D’autres docs en vue, ici ou ailleurs ?
Pour l’instant, je t’avoue que le projet #JeMarcheAvecToi occupe la plus grande partie de mes jours (et de mes nuits). Mais dans un mois, je pars pour le Groenland pour un documentaire. Promis, je te ramènerai une belle photo avec un badge #JeMarcheAvecToi ! En espérant que je pourrais l’accrocher : il fait -35° là bas…

7– Comme pour chaque interview, tu ne peux pas échapper au traditionnel questionnaire pour que les chers lecteurs de l’écureuil puissent mieux te connaitre...

 Un roman : Le Neveu d’Amérique, Luis Sepulveda. Pour le voyage. Pour l’amitié. Pour le plaisir des conteurs et de ceux qui les aiment.

Un personnage : Corto Maltese

Un(e) écrivain(e) : Arthur Rimbaud. Ses poésies. Ses poèmes en prose. Sa correspondance depuis l’Afrique.

Une musique : Aretha Franklin. La seule. L’unique. La reine de la Soul Music !

Un film : Little Miss Sunshine. Pour ces scènes jouissives où ils poussent le bus, tous ensemble. Rien que ça suffit à me redonner la pêche quand j’en manque !

Une peinture : C’est une toile de Van Gogh que j’ai vue à Amsterdam, au musée Van Gogh. La seule fois où j’en ai vu en vrai. Je ne me souviens plus de son titre, mais je me souviens des couleurs chatoyantes d’un champ, comme souvent chez Vincent. Mais à mesure que l’on se rapproche, on voit que tous les contours sont d’un noir extrêmement sombre. Elle m’a fait comprendre que même l’angoisse la plus dure peut se transformer en couleur…

Un animal : Le pingouin ! Ce n’est pas parce que l’on a de toutes petites ailes et les pieds cloués au sol qu’on ne peut pas voler…

Une devise/citation : "L’espérance est un risque à courir" (Georges Bernanos)

 
1001 noisettes de merci Romain, pour avoir accepté de répondre à un écureuil et surtout pour cette belle initiative afin qu’un jour nous marchions tous ensemble , un petit geste du moment pour un grand pas vers l’humanité.

 

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