vendredi 21 novembre 2014

Une noisette, une interview

 

Karim Hacène

"Lisez et informez-vous"

 



 
 
De France Inter à France Info et Sud Radio et surtout 16 ans passés à Europe 1, le parcours de Karim Hacène est celui d'un journaliste passionné, d'un homme de radio, complété par quelques années de télévision, histoire de comprendre que la télé ce n'est pas de la radio avec des images en plus. Service politique, police-justice, reportage, réalisation de documentaires,  présentation, rédaction en chef, chaque expérience est enrichissante. Il y a 1 an 1/2, Karim Hacène et son ami  Philippe Gault décident de lancer sur Twitter le compte @Infos140, fil d'information en continu, avec un mode de fonctionnement proche de celui d'agence de  presse. Mais depuis le 18 novembre la TL est muette...

1 - Infos140, une belle aventure, comment est-elle née ? Elle est née des retrouvailles entre deux amis, Philippe Gault et moi-même. Nous nous étions connus à Europe 1 fin des années 80. Le 6 mai 2013 (aucune relation avec l’élection présidentielle du 6 mai 2012 comme certains le pensent) nous avons décidé d’ouvrir un compte commun sur Twitter dans le but de créer, par la suite, une agence.  Après quelques essais encourageants, nous nous sommes lancés. Le succès a été rapide. D'abord parce qu'avec @Infos140, pas besoin d'être abonné à des dizaines de comptes pour être informé. Nous offrions une large vision de l'actualité de la journée. Ça commençait très naturellement par un "bonjour", la fête du jour ou la journée mondiale, parfois un agenda (notamment sur @Infos140sport, filiale spécialisée), des unes de la presse quotidienne nationale et régionale, les unes des hebdomadaires (y compris satiriques mais pas people). Il y a des rendez-vous que nous avions lancés mais que nous avons supprimés au bout d'un an, car à deux, ça devenait difficile. Par exemple les "Verbatweets" (mot inventé), contraction de verbatim  et tweet. Chaque matin, mais aussi le dimanche, nos abonnés avaient les petites phrases des femmes et hommes politiques invités des radios et télévision. De même nous rapportions les réponses des ministres lors des séances de questions au gouvernement du mardi et du mercredi.

2 - Combien étiez-vous ?
Deux, je vous l'ai dit. Ça étonne les professionnels, mais nous n'étions que 2 journalistes avec un peu d'expérience (30 ans pour Philippe et 25 pour moi). Pour alimenter @Infos140sports, nous avions trouvé quelqu'un de précieux, Adrien, qui a dû nous quitter faute de temps. C'est ce qui nous a obligé à fermer le fil sportif l'été dernier.

3 - Où trouviez-vous les infos ?
À deux seulement, derrière nos écrans et sans moyens financiers, vous l'aurez compris, nous n'avions pas de reporter sur le terrain. En revanche, des twittos journalistes ou identifiés comme fiables devenaient autant de sources. Et des sources (environ 1800) nous en avions sur les 5 continents. Avec les traducteurs automatiques, on peut avoir des sources qui écrivent en russe, mandarin arabe ou hébreux. La règle d'or étant de vérifier et recouper une info, avoir plusieurs sources avant de la livrer (sauf si elle émane d'une source officielle, que nous précisons).

4 - Mais il y a déjà des agences dont c'est le cœur de métier... ?
Oui, bien sûr, c'est le cas de l'AFP (l'Agence France Presse), la britannique Reuters ou l'américaine AP (Associated Press). Ces agences ont des milliers de journalistes à travers le monde et informent d'autres journalistes, pas directement le grand public. Leurs clients sont les journaux, les radios , les TV, les administrations etc... Et leurs tarifs sont prohibitifs (en fonction de l'audience, nombre de lecteurs, plusieurs centaines de milliers d'euros).
Mais quelques fois (accident ferroviaire de Saint-Jacques de Compostelle en juillet 2013 ou tir de missile sur le vol MH17 en Ukraine le 17 juillet 2014) nous avons diffusé la bonne information avec une avance de 30 mn à 2 heures sur les agences mondiales et donc sur les radios, télévisions et journaux. Des journalistes reconnus se sont abonnés en masse et ont utilisé @Infos140 comme un outil de travail.

5 - A quelles difficultés avez vous été confrontés ?
Nous sommes humains donc, par définition, pas surhumains. Diffuser 120 à 200 tweets/dépêches par jour, c'est beaucoup de travail. Sur pratiquement tous les sites d'info, le gros du travail est assuré par un robot connecté à l'AFP ou à Reuters. Chez nous ce n'est pas le cas. Ce travail requiert une grande attention, donc une fatigue intellectuelle. Parfois, les alertes (sur nos sources)  nous réveillaient la nuit. 14 heures de travail, 7 jours sur 7, au bout d'un an et demi, ça laisse des traces quand on n'a plus beaucoup de temps à consacrer au reste et que la perspective de gagner sa vie et de créer des emplois s'éloigne. Car notre but était de commercialiser @Infos140 (nous avons des idées) et de créer une véritable rédaction. Si un investisseur nous lit, il peut toujours nous contacter...

6 - A qui s'adresse Infos140 ?
À tout le monde, car l'information, l'actualité, cela concerne tout le monde. Les décideurs bien sûr, et parmi nos 25.800 abonnés ils sont nombreux (chefs d'entreprises, élus politiques et syndicaux de tout bord, ministères, collectivités locales, associations, journalistes...). Mais pas seulement les décideurs. Infos140 ne s'adresse pas qu'aux élites. L'information, le droit à l'information plus exactement, est l'un des éléments constitutifs d'une démocratie. L'Histoire est pleine de dictatures qui contrôlaient les peuples en déversant des flots de propagande (Allemagne nazie, régime de Vichy, URSS, Chine populaire, Corée du Nord...). Être informé est important, cela permet de comprendre le monde dans lequel on vit, mais aussi par exemple, exercer son droit de vote en connaissance de cause. Nous ne militons pour aucun parti politique, nous militons pour l'information. Souvent elle n'est ni blanche ni noire, mais grise. Le binaire serait trop simple. Parfois, dans les commentaires, on nous accusait d'être de droite. Puis le lendemain nous étions de gauche. Nous ne sommes pas là pour satisfaire des militants, leur donner à lire ce qu'ils attendent, du prêt à ingurgiter. Nous donnons une vérité à un instant T. Cette vérité peut évoluer à T + 1. Certains ne le comprennent pas. Autre exemple, le conflit israélo-arabe. Ceux qui nous féliciteront un jour, nous insulteront le lendemain. Les mêmes. Parce que nous, nous sommes journalistes, pas partisans d'un camp ou l'autre.
À propos des commentaires, j'aimerais préciser que l'insulte est devenue monnaie courante sur Twitter. Les commentaires sont appréciés, qu'ils soient d'adhésion ou contradictoires. Mais les insultes, le manque de respect envers les autres et bien sûr le racisme, l'antisémitisme, la provocation, les messages homophobes entrainent le blocage immédiat. Et le manque de respect c'est aussi l'emploi de mots comme "journaleux". S'ils ne comprennent pas la sanction, c'est qu'ils ont reçu une mauvaise éducation.

7 - Au début de chacun de vos tweets, il y avait une pastille bleue ou rouge, parfois noire, (⚫️⚫️⚫️) quelle signification ?
Très simple: le bleu pour les unes de la presse, les agendas, "verbatweets" et les infos pas très importantes. Nous nous sommes consacrés aux informations que nous jugions importantes. Précédés d'un point rouge donc. Encore plus important, un point rouge et la mention "urgent". On nous a souvent demandé ce qu'il y avait d'urgent ? Ça n'a aucun rapport, c'est un code universel d'agence qui signifie que c'est important. Au dessus de l'urgent il y a "alerte" et encore au dessus "flash". En 25 ans de métier j'ai dû voir une dizaine de "flash" comme le décès d'un pape ou d'un président de la République. En général, dans un "flash", il y a 2 mots. Je me souviens du 8 janvier 1996: FLASH Mitterrand décès. C'est brutal, mais c'est ça un Flash. Autrefois l'Alerte s'appelait Bulletin. "Urgent", il y en a des dizaines par jour. La pastille noire, en toute logique, pour les décès.  

8 - Respecter les 140 caractères a-t-il été un souci pour vous ?
Philippe et moi avons été formés à la radio. La règle d'or de ce média c'est: sujet, verbe, complément. Des phrases courtes. L'autre caractéristique et avantage par rapport à la télé (avant les chaines d'info), c'est la rapidité, la spontanéité de la radio. Faute d'image il faut aussi savoir décrire, accrocher l'auditeur. Mais parfois, c'est vrai, avoir un ou deux caractères de plus serait plus confortable. On est obligé de jouer sur la ponctuation. Dommage car la ponctuation peut changer totalement le sens d'une phrase. Comme l'intonation d'ailleurs. Si nous avions pu lancer notre application Infos140, nous aurions pu publier avec ce confort, en restant dans un format proche des 140 caractères. C'est d'ailleurs l'explication du nom d'Infos140.

9 - Beaucoup d'internautes étaient déjà très attachés à votre fil d'information. 25800 abonnés, un beau chiffre. Pourquoi cet arrêt soudain ?
Dans la vie il faut faire des choix. Mon associé dans cette aventure a eu une opportunité. J'aurais sans doute fait la même chose si j'avais eu cette chance. Impossible de continuer seul. Je cherche donc une rédaction intéressée par mon profil. Ces 17 mois m'on appris beaucoup de choses sur le plan professionnel et j'aimerais apporter cette expérience, cet atout supplémentaire.

10 - Infos140 c'est vraiment terminé ?
Il ne faut jamais dire jamais. Si des partenaires, des investisseurs sont intéressés par le projet, ils peuvent bien sûr nous contacter.

11 - Le pluralisme de l'information est-il important dans une démocratie ?
Oui, par définition. En France, la presse a toujours été diversifiée et encore plus après la Libération. Pour la radio, c'était aussi le cas avant la guerre. Pour des raisons historiques un monopole d'État a vu le jour pour la radio et la télévision après la guerre. Il y avait bien des radios périphériques (RTL, Europe 1, RMC et Sud Radio) mais elle étaient contrôlées par l'État. Il a fallu  attendre le début des années 80 pour avoir accès à des radios, puis des télévisions privées. La concurrence a toujours du bon, elle permet l'émulation, la création, le choix tout simplement. C'est important de pouvoir choisir. Certains pays n’ont pas encore cette chance comme la Chine ou Cuba, pour ne citer qu’eux. L’information est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie. Les anglo-saxons sont peut être plus rigoureux parce qu'ils séparent l'information brute du commentaire et de l'éditorial. En France, certains disent qu'on est "surinformé". On n'est jamais trop informé. Je préfère le "plus" au "moins". Et on peut toujours tourner le bouton.

12 - Le traditionnel questionnaire impersonnel...pour mieux vous connaître

Un roman : Des souris et des hommes

Un personnage : plutôt deux, différents et complémentaires, Charles De Gaulle et Jean Moulin

Un(e) écrivain(e) : Alexandre Dumas

Une musique : Carmina Burana de Carl Orff

Un film : Si tous les gars du monde de Christian Jaque, un chef-d’œuvre humaniste qui parle aussi de radio

Une peinture : Le radeau de la méduse de Théodore Géricault

Un animal : Un écureuil, bien sûr. Vous m'offrez une noisette ?

Une devise/citation : Liberté, Egalité, Fraternité. C'est la plus belle.

13 - avez-vous un message à faire passer ?
Les gens veulent tout gratuitement. C’est le cas pour la musique ou les films et c’est non seulement une catastrophe pour l’économie mais aussi pour la diversité, l’offre et la création. Il en est de même pour la presse. J’ai peur de voir ce secteur disparaître par manque d’intérêt, par manque de moyens. Alors, un message, oui j’en ai un : lisez et informez-vous !


Merci beaucoup Karim Hacène pour cette interview, je vous souhaite toute la réussite possible pour l’avenir et pour les personnes souhaitant vous contacter ou vous follower, votre compte Twitter est @KarimHacene

 

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