mercredi 3 septembre 2014


Une noisette, une interview

 

Michel Mompontet

 
 
 

"Mieux vaut parier sur l’intelligence du téléspectateur et non sur sa bêtise "



Journaliste réalisateur, Michel Mompontet a parcouru le monde pour les infos de France 2. Après avoir été chef du service culture, soudainement en 2007, sa voix devient visage dont se détache un regard direct/perçant/incisif/instructif, il incarne #MonOeil sous la bénédiction des créateurs du magazine "13H15 le samedi" : Jean-Michel Carpentier et Laurent Delahousse. Cinq ans plus tard, l’oeil devient borgne mais la verve du journaliste ne faiblit pas et son public, nombreux, attend encore et toujours, son retour... en vain !


1 - Selon Christian Morgenstern, "seul un regard peut créer l’univers", en le paraphrasant est-ce que #MonOeil pouvait créer un réveil cathodique ?
#MonOeil était un objet de conception maïeutique afin de faire accoucher les esprits, le regard critique. En une phrase : croire ou ne pas croire l’info pour amener le débat, donner un esprit critique subtil, pas uniquement binaire, pas uniquement, justement, "j’y crois, j’y crois pas". Parfois, on m’a dit "après ton émission, le débat était houleux, on s’interpellait, on discutait entre les pour et les contre", c’est le plus beau compliment que l’on pouvait me faire. Je donnais naissance à un esprit nouveau où je laissais un espace de discussion, où le téléspectateur avait son propre avis.
 

2 - Votre marque de fabrique, que vous continuez à utiliser sur les réseaux dits sociaux à, je crois, une origine Bukowskienne, pouvez-vous nous en dire plus, ou pas ? ;-)
Avec le musicien André Minvielle, un soir, nous avions imaginé la présence de Charles Bukowski à l’enterrement du Pape, tous deux décédés à peu près au même moment. Et dans cette hypothèse, disons, burlesque nous avons créé le "ou pas". Une blague d’étudiant que petit à petit j’ai repris car, en fait, cette expression ouvre considérablement un espace et donc ouvre le débat. Elle signifie aussi "je ne suis sûr de rien" ce qui permet l’humilité.


3 - L’utopie, une raison de vivre pour certains, un mirage pour d’autres. Vos carnets ont été abandonnés en cours de route et pourtant ils offraient une vitrine encore bien différente du traitement de l’info. A l’heure du “tout environnement”, vous deviez aborder le phénomène vert de Curitiba, vous qui connaissez bien l’Amérique Latine, quelques lignes de votre part seraient les bienvenues ?
Curitiba est un exemple extraordinaire, une ville verte, une responsabilité écologique et ça marche. Le maire est réélu automatiquement, ils gagnent de l’argent et font des économies. Vous savez au XXI° siècle, l’utopie n’est plus une idéologie, les utopistes sont devenus des gestionnaires, ils sont pragmatiques. Ce que je voulais montrer face à l’échec sanglant de cette société, c’était des jeunes gens qui étaient capables de créer des utopies économiques et humaines qui fonctionnent et sont rentables. Ne pas faire de l’idéologie pour de l’idéologie mais pour ouvrir une nouvelle voie.
En Amérique Latine, plus d’une vingtaine de villes offre le transport gratuit mais dans un souci de gestion, et ça fonctionne ! Avec ces Carnets d’Utopie, j’avais une nouvelle fois envie d’essayer de donner une alternative aux mauvaises nouvelles.


4 - Comme aurait dit le personnage de Zurga dans les Pêcheurs de perles  “Oublions le passé” et quels sont les projets pour l’orfèvre Mompontesquien ?
Tout simplement continuer avec le magazine 13H15 qui est une émission formidable et une équipe qui l’est tout autant. 

 
5 - Parmi les nombreuses citations de Thomas More (1478 – 1535), une apparaît être d’une étrange modernité : “la principale cause de la misère publique, c’est le nombre excessif de nobles, frelons, oisifs, qui se nourrissent de la sueur et du travail d’autrui, et qui, fait cultiver leurs terres en rasant leurs fermiers jusqu’au vif, pour augmenter leurs revenus, ils ne connaissent pas d’autres économies”. Qu’en pensez-vous ?
C’est une réalité éternelle. D’ailleurs, c’est exactement la philosophie de Occupy Wall Street. Je ne partage pas toujours exactement leurs opinions, mais c’est une théorie de plus en plus d’actualité.

 
6 - L’impertinence a t-elle encore une place dans une petite lucarne qui semble trop souvent suivre le concept d’un pas en avant, deux pas en arrière ?
L’impertinence est plus nécessaire que jamais mais à la seule condition d’offrir de la réelle réflexion. Si l’impertinence est comme dans certaines émissions en access qui s’attaquent au spectacle anecdotique de la politique (il est petit, il est gros, il est tombé par terre...), aucun intérêt. Se moquer du théâtre politique ce n’est pas de l’impertinence. Mieux vaut parier sur l’intelligence du téléspectateur et non sur sa bêtise.

Aujourd’hui, la nouvelle génération est techniquement hyper douée mais hélas la plus obéissante, ce qui est forcément inquiétant sur le plan démocratique. On a expliqué à cette génération que l’originalité était le meilleur moyen pour ne pas faire carrière... Résultat, ils sont formidables mais tous pareils...


7 - Avez-vous quelques remèdes pour lutter contre l’info marketing ? Et nous pauvres moutons rabelaisiens, que pouvons-nous faire pour catalyser ?
Ralentir. Un bon journalisme n’a qu’à faire de la vitesse. Il faut exiger des professionnels de l’info de l’analyse et de la compréhension. C’est un des premiers pas pour lutter contre le "fast news" qui est une aberration. Si les MacDo ne sont pas devenus la référence culinaire, hélas, les chaînes d’info le sont désormais en Europe et c’est dramatique. Les télévisions n’iront jamais plus vite qu’Internet, une bataille qu’elles ont engagé et qu’elles vont perdre forcément. Si la télévision ne mise pas sur la compétence, l’expertise et le temps, elle va mourir et ne restera que pour le sport. 

 
8 - Vos détracteurs vous accusent, parfois, d’être trop politiquement orienté, ce à quoi vous répondez ?
Un journaliste digne de ce nom est toujours dans l’opposition. Un journaliste doit écrire ce que vous ne voulez pas qu’il écrive. Si vous faites un travail qui ne dérange absolument personne, vous ne faites pas du journalisme, ce que disait George Orwell d’ailleurs.

 
9 - Petit questionnaire rapide et impersonnel pour... mieux vous connaître...

- un roman : La recherche du temps perdu

- un personnage : Bartleby d’une nouvelle d’Herman Melville

- un/e écrivain/e : Montaigne

- une musique : Cecil Taylor

- un film : Le dernier que j’ai vu : L’enlèvement de Michel Houellebecq

- une peinture : Les Ménines

- un animal : le taureau

- une devise/citation : "Il faut vivre avec cette désinvolture panique, ne rien prendre au sérieux, tout au tragique" Roger Nimier

 

Merci infiniment Michel Mompontet pour avoir pris le temps de répondre à mes questions, et, j’espère à très bientôt.

https://twitter.com/mompontet
 


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